: Bon marché, mais de qualité inégale, ces eaux ont pourtant conquis un important segment du marché
Bamako, en cette fin de mars, le thermomètre affiche les 40°C. Ces fortes températures épuisent les organismes et multiplient les risques de déshydratation chez les enfants et les personnes âgées. Mais la canicule ne fait pas que des malheureux, car c’est en cette période que le petit commerce de glace et d’eau fraîche explose. Le filon, car c’en est un, attire beaucoup de gens qui se sont lancés dans le conditionnement artisanal et la vente de l’eau en sachet. Ils ne disposent d’aucun accessoire adéquat à cette fin et travaillent le plus souvent dans des conditions d’hygiène douteuses.
La marchandise est alors directement puisée au robinet et conditionnée dans des emballages aux formes et couleurs diverses. Certains esprits malins pour donner une saveur minérale à leur eau y ajoutent une pincée du sel marin. Le marché est porteur, la demande est là, les prix suivent. Le sachet d’eau se vend ces temps-ci entre 25 et 50 Fcfa selon le volume et la qualité de l’emballage. Certains sachets portent le logo du fabricant d’autres, par contre, ne présentent aucun signe distinctif. Mais tous trouvent preneur sur un marché enfièvré. Certes ce sont les fabricants les moins fortunés qui opèrent dans l’informel. Il s’agit généralement de particuliers comme le patron de Tidiane, un vendeur ambulant d’eau que nous avons croisé au détour d’une rue.
Ces particuliers arrondissent leurs fins de mois par la vente de petits sachets d’eau rafraîchie dans le congélateur du domicile. Tidiane constate que la canicule est une bonne affaire. « En période de chaleur, je peux écouler parfois plus d’une centaine de sachets d’eau par jour à 50 Fcfa l’unité. Je suis employé chez un particulier à Bagadadji et je suis payé au nombre de sachets que je vends », explique-t-il avant d’ajouter que son activité lui permet largement de couvrir ses petites dépenses. Founè aussi est vendeuse d’eau en sachet à la place des Sotrama sur l’avenue de la République.
Cette jeune fille qui slalome à longueur de journée entre les voitures, indique que ces principaux clients sont les chauffeurs de taxi, de minibus Sotrama, les apprentis chauffeurs et les passagers des minibus. « Une fois, une femme au volant d’une voiture m’a lancé au visage qu’elle ne voulait pas d’une eau sale. Cela ne me décourage pas pour autant, dès lors que je gagne honnêtement ma vie ». La conductrice n’avait pas tort. A l’évidence, toutes les eaux proposées sur le marché ne sont pas propres à la consommation. En outre l’absence de contrôle des moyens de distribution peut s’avérer désastreux pour les consommateurs. C’est pourquoi la mission de veille de l’Agence nationale de la sécurité sanitaire des aliments (ANSSA) est très importante.
Mais sur le terrain, les difficultés ne manquent pas. La vérification des méthodes de production et de purification d’eau des entreprises qui opèrent dans ce secteur laisse très souvent à désirer. Le contrôle sanitaire des eaux n’est pas toujours assuré et d’ailleurs les fabricants qui opèrent dans l’informel ne disposent d’aucune autorisation et ne sont assujettis à aucun contrôle. Une division de l’ANSSA s’occupe de la réglementation des unités industrielles de production d’eau minérale, explique le Dr. Youssouf Konaté, le directeur de l’Agence nationale de la sécurité sanitaire des aliments. Mais “à l’exception de quelques unités de production d’eau minérale comme Diago ou Oasis ”, ajoute le Dr Konaté cette division reçoit rarement des demandes d’autorisation d’unités de production des particuliers. Selon Youssouf Konaté, les rares fabriques qui déclarent leurs activités et qui se présentent à l’agence ne remplissent pas les critères exigés pour conditionner et commercialiser cette denrée.
Celles qui obtiennent une autorisation sont régulièrement suivies par l’agence. Les consommateurs ont-ils réellement le choix ? La consommation de l’eau minérale ne s’est pas encore généralisée dans notre société en raison de leur prix et d’une forte concurrence des eaux bon marché puisées au robinet, laquelle eau du robinet est d’ailleurs de bonne qualité et d’un goût agréable à Bamako. « On n’a pas trop le choix, avec la chaleur on est obligé de se désaltérer comme on le peut. On ne se soucie pas de la provenance. Puisque l’eau est dans un sachet soigneusement conditionné, on estime qu’elle est saine », plaide un consommateur régulier de sachets.
Ce n’est toujours pas le cas comme en atteste la mésaventure de cet autre consommateur. Après avoir bu une eau qu’il avait achetée à un coin de rue, il fut pris par une terrible douleur d’estomac et une diarrhée. Le médecin qui l’a examiné, a diagnostiqué après des examens une infection amibienne due à la consommation d’eau impure. Depuis ce jour, ce jeune homme ne boit plus que de l’eau minérale. De nombreux consommateurs doutent des règles essentielles d’hygiène de production des eaux en sachet.
Les spécialistes en contrôle des eaux leur donnent raison en relevant que pour doser efficacement les agents purifiants, il faut établir un diagnostic de l’eau, une lacune systématique chez les particuliers. De plus, ces fabricants utilisent rarement des filtres. S’ils le font, ils ne savent pas les entretenir. Pour garantir la qualité à ce niveau et préserver la santé des consommateurs, un effort de communication s’impose. Il est nécessaire d’informer, sensibiliser et éduquer les fabricants sur les risques qu’ils font peser sur les consommateurs. Les autorités compétentes doivent inciter à l’application de la réglementation sur la vente d’eaux en sachets et procéder à des contrôles de qualité tout au long des processus de production et de distribution. Beaucoup de travail pour que l’on puisse se désaltérer dans la rue, les yeux fermés.
Aissata Traoré
Article publié le dimanche 3 avril 2011
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