Partager vers les réseauxParmi les onze communes relevant du département de Dosso figure en bonne place la commune rurale de Sambera. La singularité de cette commune frontalière avec le Bénin tient au fait qu’elle est dotée d’une ressource naturelle extrêmement importante aussi bien dans la vie des êtres humains que celle des animaux. Cette ressource n’est autre que le sel. Cet ingrédient culinaire dont on ne saurait nullement faire économie dans la préparation du repas quotidien. Le sel de Sambéra est un sel fin n’ayant visiblement rien à envier au sel de table industriel importé qui inonde surtout les marchés des centres urbains du Niger, un sel importé qui coûte malheureusement cher aux consommateurs nigériens. Alors qu’il existe au Niger des zones de production de sel de bonne qualité défiant ainsi toute concurrence. L’exemple du sel de la commune rurale de Sambéra constitue une illustration parfaite et un témoignage éloquent sur la nécessité pour les autorités nigériennes et la population dans son ensemble de valoriser nos richesses naturelles à l’ère de la conquête de la souveraineté et de la dignité du peuple nigérien.
Une étape de l’opération d’extraction du sel
Il est 13 heures passées de quelques minutes, ce mercredi 27 novembre 2024 à Dosso. Les appels à la première prière de la journée se font entendre à travers les haut-parleurs des différentes mosquées de la cité des Djermakoyes. Quelques échanges avec l’administrateur délégué de la commune rurale de Sambéra, l’Adjudant Chef Abdou Saley Issa, dans les locaux de la préfecture de Dosso, sur l’extraction du sel de cette localité ont suffi pour nous convaincre de la pertinence de la thématique. Sans protocole aucun, le reflexe du reporter prend le dessus sur les petites hésitations qui surviennent naturellement en pareille circonstance. Mais la décision est finalement prise d’aller à la rencontre des exploitantes des différents sites d’extraction du sel de Sambéra. Un autre voyage s’improvise tout bonnement. La commune rurale de Sambera n’est pas à un jet de pierre de la ville de Dosso. En effet, une distance de 87 km sépare la commune de Sambera du chef lieu du département. Elle est située sur la route de Gaya.
Cette année, la campagne agro-sylvo-pastorale a été bonne dans plusieurs localités, comme en témoignent le paysage champêtre et la végétation encore verdoyante tout au long de la route. Le voyage n’est guère pénible en ce début de la période de froid et en plus sur la route qui venait d’être réhabilitée. On réalise déjà en quelques minutes 62 km pour rallier le village Guirtodo où se trouve une voie latéritique construite dans le cadre de la coopération entre le Niger et le gouvernement américain à travers le Millenium Challenge Coorporation (MCC). Cette voie latéritique est à droite du tronçon principal, sur une distance de 25 km menant ainsi jusqu’à la commune de Sambera. La conversation entre l’équipe de l’ONEP et l’administrateur délégué de la commune rurale de Sambera continue comme si on se connaissait, il y a belle lurette. Cette atmosphère rassure de part et d’autre les occupants du véhicule de marque Hilux 4×4 et installe un climat de confiance, toute chose qui concourt à la réussite des objectifs fixés. On aperçoit de loin une plaque aux écritures visibles annonçant notre imminente entrée dans le village de Sambera. Légèrement à droite de la voie latéritique avant l’entrée du village, on aperçoit à nouveau des tentes érigées et quelques véhicules méticuleusement positionnés. C’est une zone d’opération militaire pour contrecarrer les incursions terroristes venant des pays voisins. Les passants sur la voie latéritique ne soupçonnent pas facilement la présence militaire même si par ailleurs les militaires campés sur leur position scrutent avec minutie le moindre mouvement. Un excellent travail est accompli dans toute cette bande par les militaires, nous susurre l’administrateur délégué de la commune rurale de Sambera. En effet, le camouflage des éléments de forces de défense et de sécurité sur ce théâtre d’opérations participe de la stratégie, un concept aux origines militaires.
Il règne un calme olympien dans le village de Sambera, chef lieu de la commune du même nom. Quelques rares habitants circulent sur la voie principale qui traverse le village. Un peu plus loin, en allant vers les sites d’extraction du sel, un groupe clairsemé de bras valides est assis sous un arbre. Ce sont des éléments appartenant au comité de vigilance du village, nous souffle à l’oreille l’adjudant-chef Abdou Saley Issa, administrateur délégué de la commune. Un arrêt temporaire du véhicule est observé pour demander la bonne voie menant sur le site d’extraction. Dans le groupe du comité de vigilance, un jeune homme physiquement bien bâti, de taille courte, se lève immédiatement. Un long couteau accroché à sa hanche, il tente de répondre à la question sur un ton ferme, témoignant visiblement un manque notoire de respect à notre l’égard. « Attention ! Il y a une voie bourbeuse lorsque vous empruntez le chemin qui mène vers les champs du village », lâche le jeune à l’air fougueux. Mais l’avertissement de l’Administrateur délégué de la commune rurale de Sambera a été beaucoup plus courtois, préfèrent envoyer un émissaire auprès du géniteur de ce jeune garçon impoli. « Il faut qu’il apprenne à respecter les gens, sinon il verra de quel bois je me chauffe », lance-t-il sous un ton de fermeté.
L’épicentre de l’extraction du sel de Sambera
Le site de Sambera Beri s’étend sur un bas-fond situé à quelques encablures du village. C’est un bas-fond marécageux à perte de vue où la mare se retire progressivement, laissant apparaitre l’affleurement du sel. Ce dernier se manifeste par la couleur blanchâtre collée au sol argileux. Le début de la période de froid est le moment de prédilection ou par excellence pour l’extraction du sel. D’où la présence d’une foule immense composée entièrement des femmes et des jeunes filles sur le site. Munies de leur kit d’extraction du sel composé de couteaux de forme oblique pour ramasser le sable et des récipients en caoutchouc et en métal. Les femmes exploitantes du sel de Sambéra Béri sont en pleine activité. Des petits monticules de sable salé ainsi que des minis hangars sur lesquels sont soigneusement déposés des récipients en caoutchouc se font voir un peu partout sur le site. Ces récipients remplis du sable pâteux et salé, recueilli après un travail de fourmi, reçoivent une quantité énorme d’eau. Au bout de quelques heures, l’opération de décantage se réalise afin que l’eau salée puisse passer à travers un récipient en caoutchouc sous forme de passoire. Ce dernier, à l’aide d’un système de goutte à goutte, fait passer une autre eau salée chapeautée par la mousse et prenant la couleur du fond de son contenant. Cette opération de suintement dure aussi quelques heures. C’est un écoulement impeccable qui donne quand même une idée par rapport à la pénibilité de l’extraction du sel. En outre, le liquide précieux salé ainsi recueilli va faire l’objet de cuisson à la maison.
Les vertus du sel de Sambéra
Il est connu de tous que le fonctionnement normal de l’organisme humain requiert indiscutablement la présence d’un taux du sel, sans lequel il y’a bien évidemment anomalie. Et aucun spécialiste de la santé ne saurait dire le contraire. C’est dire que le sel joue un rôle éminemment important dans le fonctionnement de l’organisme. En plus de cet aspect qui est quasiment connu de tous, le sel de Sambéra va au-delà. En effet, certaines expériences vécues ont souvent une valeur scientifique dans la mesure où plusieurs d’entre elles se confirment après avoir été soumises à la rigueur scientifique. Et pour cause, les habitants de Sambéra Béri se traitent avec le sel qu’ils exploitent. Les témoignages des exploitantes ayant fait l’expérience à plusieurs reprises sont légion. « Avec le sel que nous exploitons, nous traitons plusieurs maladies telles que les maux de cœur, de ventre, des oreilles, de l’estomac, etc. Lorsqu’une femme en travail éprouve de difficulté lors de l’enfantement, nous la faisons boire un verre d’eau salée. Si la femme en travail n’a pas d’autres obstacles particuliers qui bloquent l’accouchement, le soulagement interviendra dans les minutes qui suivent », raconte Hadiza Issa, le voile accroché au cou. Dans la même veine, Salamatou Hainikoye, qui ignore totalement son âge, dit avoir fait l’expérience du traitement de plusieurs maladies avec le sel de Sambéra. « Nous faisons recours au sel pour traiter les maux que Hadiza vient d’énumérer. Mieux, la particularité du sel de Sambéra réside dans le fait qu’il relève le goût de la sauce. Nous n’avons pas besoin d’utiliser les bouillons qui sont malheureusement à l’origine de plusieurs maladies aujourd’hui », explique-t-elle.
Hadiza Issa, une exploitante du sel à Sambéra Beri
Les enjeux écologiques de l’extraction artisanale
L’exploitation du sel nécessite une forte consommation en bois de chauffe. C’est à ce niveau qu’intervient la saignée du bois de chauffe. Toute chose qui impacte de façon négative l’environnement dont les manifestations se traduisent, dans les zones d’extraction, par la dégradation du couvert végétal, la perte accélérée de la biodiversité. Bref, un déséquilibre écologique sans précédent est en train de s’opérer dans un silence tout aussi absolu. Les monticules de sable issus de l’extraction du sel se reversent systématiquement dans les bas-fonds, engendrant ainsi un ensablement de ces derniers, d’année en année. Les arbres et arbustes qui sont autour de ces bas-fonds n’échappent guère à la coupe abusive. Il y a donc péril en la demeure, si rien n’est fait pour contrecarrer cette folle course durant laquelle même le bois vert est mutilé de façon systématique. Dans cette optique, les agents chargés de l’environnement interceptent de temps en temps et punissent sévèrement les contrevenants, témoigne l’administrateur délégué de la commune rurale de Sambéra.
Plusieurs femmes travaillent sur ce site d’extraction du sel pendant des années. Elles bénéficient tout de même de façon timide des retombées de cette extraction haut combien harassante. En dépit de l’expérience qu’elles ont acquise dans l’extraction du sel, force est de constater qu’elles n’ont pas de structure formelle d’organisation : pas de groupement, encore moins une union faitière pour prétendre à un quelconque soutien de partenaire ou même de l’Etat.
Hadiza Issa est une exploitante du site de Sambéra que nous avons rencontrée sur le site. La cinquantaine révolue, elle affiche une mine sereine, elle dit avoir fréquenté l’école jusqu’en classe de CM2. « Nous exploitons le sel de façon artisanale pour pouvoir subvenir à nos besoins et ceux de la famille tout entière. C’est un travail qui est certes pénible, mais il nous permet quand même de joindre les deux bouts sans pour autant tendre la main à quelqu’un. Il n’ya pas plus de déshonneur ou encore de honte que d’être un éternel assisté », relève-t-elle avec un air loquace. Sur ce site d’extraction du sel, les hommes sont aux abonnés absents. Et pour cause, la division sociologique du travail énoncée par Emile Durkheim semble pleinement se justifier ici. Les sociétés traditionnelles ont tendance à reproduire de façon mécanique les habitudes léguées par les générations anciennes ; ce que confirme d’ailleurs Hadiza Issa. « Depuis notre tendre enfance, ce sont les femmes qui extraient le sel. Les hommes s’occupent d’autres tâches dans la société », a-t-elle expliqué avec un sourire aux lèvres.
Une vue de l’étendue du site d’extraction des trois villages (Kayan Kaina, Lisso et Dogo Santché)
L’extraction du sel Sambéra Béri remonte selon elle à plus d’un demi-siècle. Les activités autour de l’extraction du sel suscitent toujours de l’enthousiasme chez les braves femmes qui y voient un véritable moyen d’atteindre leur autonomie financière. La pénibilité majeure du travail est liée à la cuisson qui nécessite énormément de bois de chauffe. « En plus du calvaire que nous rencontrons par rapport à la recherche du bois, la cuisson du sel est comme une épine dans le pied. Chaque femme larmoie pendant la préparation qui demande à la fois un suivi et un entretien réguliers de la marmite, ainsi qu’une bonne dose de patience », relate au détail près Hadiza Issa. En plus, un autre problème non des moindres auquel les exploitantes du sel sont confrontées régulièrement, c’est le vol des récipients sur le site. Etant donné que l’extraction du sel est ennuyante, les femmes de Sambéra n’hésitent pas à initier leurs filles, une façon pour elles de léguer à la jeune génération les connaissances acquises auprès de leurs parents dans l’extraction du sel.
Une vue du sel
Manque de structures formelles pour les femmes exploitantes du sel
L’extraction du sel de Sambéra se fait par les femmes qui n’ont reçu aucune formation spécifique en dehors de celle acquise de génération en génération. Mieux, les braves femmes qui exploitent au quotidien cet ingrédient, pièce maitresse de la sauce, ne sont pas organisées. Elles viennent sur le site, soit individuellement ou en groupe selon leur calendrier journalier. Ainsi, ce manque de structure formelle ou d’organisation sérieuse autour de l’extraction du sel n’est pas sans conséquences sur les retombées de cette activité commerciale. Au marché hebdomadaire de Sambéra, les exploitantes du sel sont grugées par les commerçants véreux qui frottent les mains en tirant leur épingle du jeu économique. La pauvre brave femme qui passe le plus clair de son temps sur le site pour extraire le sel s’en sort avec quelques sommes dérisoires. « Au marché de Sambéra, nous vendons la tasse moyenne du sel à 500 F et l’autre à 1000F seulement aux commerçants. Ces derniers achètent notre sel avec un air méprisant et soupçonnent ou remettent même en cause la qualité. Toute chose qui rend compte de leur stratégie pour nous décourager et éventuellement céder le fruit de notre dur labeur à vil prix. Nous sommes contraintes de brader ce que nous exploitons avec sueur pour subvenir à nos besoins quotidiens », déplore Hadiza Issa, qui reconnait le cercle vicieux ou encore « un piège sans fin » pour reprendre le beau titre du célèbre ouvrage d’Olympe Bhely-Quénum, dans lequel elles se trouvent prises. Hadiza espère tout de même une lueur à l’avenir ou qu’elles auront une unité industrielle à proximité qui peut véritablement valoriser leur activité.
Hadjo Amadou, exploitante du village de Kayan Kaina
L’extraction du sel de Sambéra concerne plusieurs villages de la commune rurale. C’est l’exemple des villages de Kayan Kaina, Lisso et Dogo Santché. Les femmes de ces trois villages se rencontrent chaque jour sur le site situé à 7 km de Sambéra Beri. C’est un bas-fond ou disons un bras du dallol Foga qui est exploité par les femmes et jeunes filles réunies sur ce site. Des chants et applaudissements nourris accueillent les visiteurs du jour. Le soleil s’incline vers le coucher, avec un ciel aux couleurs belles annonçant ainsi l’imminence du crépuscule. A l’orientation opposée au coucher du soleil, des nuages chargés annoncent aussi le froid dont la manifestation visible est sans nul doute la température basse maintenue pendant toute la journée avec un air frais qui caractérise la période. Là aussi, il n’existe pas de structure d’organisation féminine autour de l’activité. Elle se fait de façon individuelle et chacune propose aux commerçants son produit le jour du marché. Comme les femmes de Sambéra Beri, celles-là aussi n’échappent pas à la dure réalité, au déséquilibre patent qui caractérise les rapports entre l’exploitante du sel et le commerçant. L’une souffre terriblement pour extraire le sel, à l’issue d’un processus fastidieux, exténuant et l’autre vient sans pitié aucune proposer un piètre prix avec un langage rigide frôlant l’insulte du genre « à prendre ou à laisser ». Hadjo Amadou, exploitante du site de Kayan Kaina affirme que les femmes passent une bonne partie de la journée à extraire le sel et vendre à un modique montant aux commerçants qui partent le revendre cher. L’extraction du sel de Sambéra s’apparente à une exploitation de l’homme par l’homme. Ce que l’administrateur délégué de la commune, l’adjudant-chef de la Gendarmerie, Abdou Saley Issa s’attèle à minimiser en demandant aux exploitantes des différents sites de s’organiser en groupements féminins pour bénéficier de plusieurs avantages. Mieux, il n’est pas exclu qu’un jour, le sel de Sambéra fasse l’objet d’une exploitation industrielle. A cet égard, le secteur privé nigérien est vivement invité pour investir dans ce domaine porteur.
Hassane Daouda (ONEP), Envoyé Spécial
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Article publié le vendredi 13 décembre 2024
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