Rencontre avec Fatimata Mounkaila
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« Je crois qu’il y a des valeurs dans nos sociétés que l’on doit préserver. Ces valeurs sont souvent contenues dans les textes comme ceux que nous avons rassemblés ici. Il faut les lire, les analyser et même les enseigner. »


 Fatimata Mounkaila est enseignante de lettres modernes spécialisée en littérature orale et littérature comparée à l’université Abdou Moumouni de Niamey. Elle a publié en 2008 une anthologie en quatre volumes sur la littérature orale sonraï-zarma intitulée saveurs sahéliennes.



Quelle a été votre motivation pour rédiger cette anthologie ?



Ma langue (le sonraï-zarma), pour moi, était en train de devenir une langue véhiculaire, c'est-à-dire juste bonne pour faire le marché. Lorsque j’ai débuté ma thèse, je me suis dit que j’allais  la faire sur la littérature qui m’était le plus accessible, une littérature où j’aurai la possibilité de demander aux uns et aux autres ce que signifiait telles ou telles choses, de m’interroger sur la finalité de cette littérature. C’est comme ça que je me suis lancée. Cela a donné « Mythe et histoire dans la geste* de zabarkâne ». Je n’ai jamais soutenu cette thèse pour diverses raisons dans le Niger de l’époque et elle est devenue  cette anthologie.



*La geste : Cycle de poèmes



 Comment avez-vous réalisé cette anthologie ?



Il s’agit d’une compilation de textes. C’est le résultat de plusieurs recherches qui ont été faites en partie par d’autres.  Je n’ai pas moi-même enregistré les quelques 170 textes que contiennent les quatre volumes, j’en ai pris certains qui avaient déjà été publiés et que j’ai complété.



Au Niger on a eu une chance que les gens n’apprécient pas toujours à sa valeur. Cette chance c’est d’avoir eu des gens comme Boubou Hama et Djouldé Laya qui se sont  intéressé très tôt à la culture locale et à  toute la culture africaine d’une manière générale. Pour ce qui est de Boubou Hama il a encouragé les recherches au CNRSH de l’époque devenu IRSH aujourd’hui. Grâce à cette vision il a aussi encouragé l’émergence du CELHTO/UA (anciennement le CRDTO) chargé de la collecte et de la valorisation de l’histoire, de la sociologie, de la littérature, etc.



Les textes oraux contenus dans ces 4 volumes sont des textes que j’ai pris à l’IRSH et dans la réserve du CELHTO. J’en ai également collecté à l’université Abdou Moumouni auprès d’étudiants qui faisaient leur maitrise en lettre moderne et qui ont collecté, transcrit, traduit, et analysé certains textes.



Il y a à peu près une vingtaine d’années je me suis trouvée engager avec une équipe de nigériennes dans un projet monté aux Etats-Unis par des africains et des américains appelé « women writing Africa » (des femmes écrivent l’Afrique). Ce projet rassemblait le Sénégal, le Mali, le Niger, le Burkina Faso, le Ghana, le Nigéria, la Côte d’Ivoire. Il s’agissait au départ d’éditer des textes de femmes. Lorsque la personne qui nous a contactées est venue au Niger, on lui a fait comprendre que chez nous il n’y avait pas beaucoup de femmes écrivains et que si vraiment on voulait rassembler ce que racontent les femmes d’elles-mêmes, de leur société, de leur rêve, il fallait dans ce cas se référer à la littérature orale. Dans ce domaine elles parlent, elles chantent, elles dansent, c’est ainsi que ce projet a produit le Tome 2 « des femmes écrivent l’Afrique » dont j’ai repris certains textes pour cette anthologie.



En 1994 nous avons monté à l’UAM un groupe de recherches « littérature genre et développement/visions et perspectives nigériennes » qui a été financé par une organisation française de recherches. Grâce à cette coopération avec ce groupe français, mes collègues Talibi Moussa, Antoinette Tidjani, Salamatou Sow, Tandina Ousmane (actuellement doyen de la faculté de lettres) et moi-même avons pu mener à bien nos recherches et permettre à nos étudiants non seulement de faire du terrain (ce qui était extrêmement difficile compte tenu de la situation financière et économique de l’université de Niamey) mais aussi de collecter des textes leur permettant de faire leur Maitrise de Lettres. Cette collaboration, cette mise en commun de nos efforts a permis aussi à certains de ces enseignants de pouvoir faire des articles à verser dans leurs dossiers pour leur avancement académique.



Avec l’appui de la coopération Suisse, les collègues Alimatou Sidibé, Abdoulaye Seydou et moi-même nous nous sommes retrouvés dans un groupe de recherches pluridisciplinaire qui faisaient du terrain sur le développement. La dimension que nous, nous apportions à ce travail de recherche c’était la dimension socioculturelle. En réalité ce qui est vrai dans nos pays c’est que les développeurs ont souvent fait des programmes qui ont soit échoué, soit donné des résultats mitigés, parce que pendant longtemps la dimension culturelle a été quelque peu occultée des programmes de développement. En faisant le terrain avec ce groupe de recherche constitué de géographes, de zootechniciens, de pédologues, d’économistes mes collègues qui étaient (linguiste et sociologue) et moi-même avons travaillé sur le savoir local et ses représentations. Nous sommes allés dans les villages observer et discuter avec les gens. Même si on est nigérien, au fond il y a des tas de choses que l’on ne connait pas, ça a été une expérience très enrichissante pour nous.



Cet ensemble d’expériences, plus tout ce que j’ai entendu autour de moi, ont fait que je me suis retrouvée avec une masse de textes  et mon travail au fond, si j’ai un mérite, c’est d’avoir pu faire lire ces textes et d’en faire une sélection. C’est comme ça que ces quatre volumes ont pu être réalisés grâce à la coopération internationale, à la coopération scientifique interne de l’université Abdou Moumouni et aux relations que l’on a tissé avec d’autres universités à travers le monde. Je citerais l’université de Lausanne en Suisse mais aussi des universités françaises, des universités américaines en particulier Pennsylvany state university et le Pr Thomas Hale qui a fait un travail remarquable sur Askia Mohamed.



Le premier titre que j’avais choisi pour cette anthologie était le beurre des mots. D’ailleurs elle s’ouvre sur une citation de Tombokoye Téssa qui était quelqu’un que j’admirais beaucoup parce qu’il était vraiment un orfèvre de la langue sonraï-zarma. C’est lui qui dit, qu’en tant qu’homme du verbe, son but c’est de faire en sorte que la parole devienne savoureuse comme le beurre. Or au sahel dès que vous parlez de bonne nourriture, le beurre est la saveur que les agropasteurs ajoutent à leur alimentation afin de la rendre savoureuse. La deuxième saveur c’est évidemment le mil.



Si on regarde par exemple le nigérien ou le sahélien d’une manière générale qui ne mange que du mil, il a quand même une belle silhouette, il est beau et il reconnait qu’il doit cette beauté au mil. Il est tellement savoureux et se marie bien avec la saveur du beurre du lait de vache. A force de piler le mil on obtient du beurre (affirment les pileuses). La symbolique du beurre ici c’est d’abord la saveur alimentaire qu’il représente. De l’autre côté aussi pour avoir du beurre il faut barater le lait. Donc il y a là la saveur et le travail qui constituent un ensemble qui fait que j’ai été tentée d’appeler cette anthologie « le beurre des mots ».



Finalement je l’ai intitulé « Saveurs Sahéliennes » en référence au beurre que les pasteurs offrent et au mil que les agriculteurs offrent.



Quel est le contenu de ces différents volumes ?



Le Tome 1 est constitué de textes que j’ai appelé « textes circonstanciels », ce sont des textes qu’on ne dit qu’à certaines occasions. Cette littérature n’est dite que par des professionnels qui s’entourent de précautions. Ce sont des textes qui servent à évoquer, à invoquer et à convoquer.



Les textes qui évoquent rappellent l’histoire. Lorsque le griot dit les textes il évoque l’ancêtre. Le premier des textes que j’ai retenu dans cette catégorie c’est « le tilwati » qui est un texte offert par la famille des griots de Liboré dont le père est Badié Bangna le diassaré dounka (le maitre griot), son frère Garba Bangna et son fils Djéliba Badié.



Le tilwati, c’est le chant du trône. On ne le dit vraiment que pour le chef. Le griot Badié Bangna le récite dans une langue appelée soulantché sanni qui est la langue de conservation des traditions sonraï-zarma et que nous, nous avons identifié comme étant du soninké. Les griots disent leurs textes en soninké parce qu’ils affirment qu’ils sont des descendants des Niamkala et des diassaré du monde de l’empire soninké du Ghana d’où ils sont venus et d’où ils ont emmené cette langue et la profession. Ils racontent la tradition et l’histoire des sonraï-zarma en soninké et dans cette forme de tilwati qui est un chant polyphonique à trois voix. La voix du maitre griot dit le texte en soulantché sanni, son frère le traduit en sonraï-zarma, le fils ainé Djéliba fait le chœur avec ses frères et cousins en faisant un refrain solennel.



Le tilwati ne se dit qu’à trois occasions : à la mort d’un chef sonraï-zarma, lors de son intronisation et lorsque des clans sonraï-zarma sont sur le point de  se livrer une bataille fratricide. Le griot leur rappelle alors qu’ils sont des descendants du même ancêtre en récitant les textes et du coup les clans se retiennent de combattre.



Il y a aussi le manta qui est à la fois du molo qui accompagne le texte mais aussi une évocation qui, comme le tilwati cite les noms des ancêtres et des descendants du chef. C’est l’hymne des sonraï-zarma.



Ensuite il y a les textes d’invocations parmi lesquels les textes religieux. Pour son mémoire un étudiant (Abdourhamane Soumana) a travaillé sur les chants religieux d’Alpha Mamane Diobbo de Say. Il s’agit de chants qui rappellent aux fidèles musulmans comment vivre sur terre afin de préparer son lendemain. Cela va de la connaissance, de la juridiction, du comportement, de la relation humaine, du devoir conjugal, etc. Ce sont des chants qui rappellent aux fidèles comment éviter de succomber à l’action du tentateur.



Dans ce même volume il y a également les incantations qui sont des traditions autochtones. Ces textes sont dits pour chercher un remède ou pour insuffler la force du remède.



Le Tome 2 contient des textes d’intégrations sociales. On y trouve des chants d’initiations (chants de circoncision, chants de mariage, chants de travail, etc.). Le Tome 3 est constitué des histoires épiques qui sont des chants qui parlent des chroniques et des épopées. Le Tome 4 parle des chants et histoires d’amour. Les formes théâtralisées, les jeux, les danses et les critiques sociales.                            



Interview réalisée par Walter Issaka                






lundi 8 décembre 2014








Article publié le jeudi 8 janvier 2015
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