:Pour la 21e édition du Festival panafricain de la télévision et du cinéma de Ouagadougou, des journalistes, des réalisateurs ivoiriens ont fait le voyage en car. Infernal!
- Quoi ? Tu vas prendre le car pour aller à Ouaga ? Tu sais où tu vas ?
- C’est la porte d’à côté, tout de même…
- Eh bien, tu verras !
Les questionnements du confrère qui en disent long, nous font réfléchir certes, mais ne nous poussent pas à renoncer à ce voyage. Nous avons décidé d’y aller par la route, nous irons !
«Eh bien, tu verras !». C’est ce que nous verrons.
Nous ? Ce sont une quarantaine de passagers, journalistes, réalisateurs, cameramen, assistants. Coût du voyage : 50 mille Fcfa, en aller et retour. En car climatisé. L’organisatrice principale rappellera à tous l’heure de départ : 05h du matin ! «Eh bien, tu verras !». Tout commence à partir d’Abidjan, comme si cela annonçait ce que nous allions voir. Pour un voyage-départ prévu pour 5h du matin – Ah, la négraille ! L’heure, c’est pour les autres !-, nous ne prenons la route qu’à 08h30. Trois heures de retard, déjà !
Fatigué la veille, réveillé tôt pour respecter l’heure de départ, nous n’aurons guère le temps de compter le nombre d’arrêts que le chauffeur a été obligé de faire. Toujours est-il que l’inscription sur la vitre avant : « Délégation des journalistes ivoiriens pour le Fespaco », ne sera guère un passe-droit. Nous arrivons, cahin-caha, après de nombreux arrêts, sur le territoire burkinabé. Seulement trois arrêts : à la Police des frontières, à la douane, puis à un autre poste. Seulement trois !
Nous arrivons à Bobodioulasso à minuit, après plus de 15h de route. Continuer sur Ouaga distante de 360 km ou dormir, pour attendre le lever du jour ? Une solution est trouvée par les organisateurs : on attendra une escorte qui viendra à 2h du matin. Et, finalement, nous arrivons à 5h du matin et plus, dans le petit froid, mélangé à la poussière, à Ouagadougou, à quelques petites heures de l’ouverture officielle de la fête du cinéma panafricain. Tous fatigués !
Pour le retour, les organisateurs informent tout le monde qu’on partira plus tôt. A 3h du matin. Comme toujours, la grande indiscipline! , on ne quittera Ouaga qu’à 5h 30 du matin. De Ouaga à l’entrée sur le territoire ivoirien, seulement trois arrêts. Comme à l’arrivée.
Notre calvaire va commencer, sitôt entré sur le territoire ivoirien. Il est 13h 32. Fin de l’arrêt du premier barrage. Pas de tampon dans les passeports, pour ceux qui en ont, comme ce fut le cas dans la zone burkinabé, pas de contrôle à proprement parler : il faut donner quelque chose. Niet ! La forte gueule de l’organisatrice épargne les passagers de ce racket. De la frontière, du premier poste à Abidjan, nous avons compté 26 arrêts. Hormis les barrages qui ont été levés à cause de la nuit. Heureusement, pour nous. Mais le constat est là, et suivez le périple, l’écœurement des festivaliers, face au rythme ralenti du voyage. Une pratique qui est aux antipodes des cantiques sur la fluidité routière. Comptez avec nous :
13h35. 2e barrage. Un rondouillard des Forces armées des Forces nouvelles (Fafn), dans un treillis douteux, fait signe au chauffeur de partir. Un autre, en revanche, nous signifie de nous arrêter. Nous descendons du car, pour y remonter sans vraiment savoir les raisons de cet arrêt.
13h56. 3è barrage. Nous entrons à l’intérieur d’un espace entouré de barbelés. Nous sommes à Ouangolo. Nous y resterons 15mn. Pourquoi ? Il faut donner quelque chose. C’est encore Niet.
14h11, on quitte enfin Ouangolo pour tomber, au bout d’une vingtaine de minutes, sur un 4e barrage. Des éléments de ce secteur contrôlé par les Fafn dévissent tranquillement, assis auprès de leurs motos. On a l’impression que c’est devenu un tic pour eux, d’arrêter les véhicules, surtout les cars de transport en commun. Pour des raisons faciles à deviner, évidemment. Il est 14h 40. Trois minutes après, le car redémarre. Pour s’arrêter, à nouveau, après une heure de route. Une vaine !
15h37. 5e barrage. Le décor banal : quelques pneus usés, tirés grâce à une petite corde. Ici, la chance nous sourit. Un soldat à la tenue défraîchie lève le barrage de fortune. L’âge d’or de la rébellion est fini ! Et nous voici à Ferké, après sept (7) petites minutes sans interruption. Cela relève de l’extraordinaire sur ce tronçon. Seulement, nous allons devoir marquer deux arrêts. Deux barrages. Un à l’entrée, l’autre à la sortie. Cela fait sept. Dialogue entre le garde et le convoyeur.
Que chacun se débrouille pour payer 3000Fcfa, lance avec désinvolture le premier.
Ce sont des journalistes, lui répond le convoyeur
Ils ont l’argent.
Finalement, nous ne payerons rien. Juste après, un 8e barrage. Encore à Ferké. Arrivé à 15h44, nous y perdons du temps à cause de la manie stupide de certains gardes. Trois barrages sur six kilomètres ! Nous quittons le lieu à 16h23. Nous roulons, pour une deuxième chance, pendant plus de… vingt minutes. En route pour Niakara. Comptons encore : toutes les dix minutes, il faut s’arrêter. Soit l’apprenti doit descendre du car, soit ce sont les passagers. Nous atteingnons le 9è barrage à 16h49mn. Huit minutes d’arrêt. Ce n’est guère pour un contrôle, mais pour que «chacun se débrouille à donner quelque chose». Niet encore. Deux minutes après, un 10e barrage, à côté d’une station service, devant une guérite quelconque. Nous ne mettrons pas plus de cinq minutes pour arriver au 11e barrage. Il est 17H05. Cela fait plus de onze heures de route. La fatigue se lit sur les visages ; la nervosité aussi.
Pour la troisième occasion. Nous roulons pendant… trente minutes. Sans arrêt. A 17H33mn, le 12e barrage. Arrêt obligatoire. Ce que nous remarquons à tous ces nombreux arrêts, c’est l’absence de contrôle digne… d’un contrôle ! De vérification de ci ou de ça, Non ! C’est sans doute l’application de la libre circulation des biens et des personnes, flanquée de son mode de fonctionnement logique : le racket. 12 minutes à peine et voici le 13e barrage. Il faut encore s’arrêter avant d’atteindre, 4 minutes à peine, le 14e, à Niakara.
Il est 18h 45, quand nous atteignons Katiola, le 15e barrage. A partir de Katiola, la fréquence des arrêts deviendra insupportable. Comptez avec nous : 18h53, 16e barrage ; 19H08, le 17e ; puis le 18e, à 19H34. C’est à cette heure que nous arrivons à Bouaké. Après 14h de route ! Nous ne sommes pas sortis de l’auberge. Car combien de barrages nous attendent de Bouaké à Abidjan ? Nous ne mettrons pas longtemps à le savoir. L’inquiétude gagne les uns et les autres. Si nous n’arrivons pas au corridor d’Abidjan, avant minuit, nous passerons la nuit dans le car. Les uns et les autres prennent conscience de leur… discipline. Au moins 4h pour faire les 389 kilomètres restants.
A 20h10, à Bouaké, recommence notre supplice : le 19e barrage, puis le 20e à 20h27, à Djébonoua ; le 21e à Tiébissou, à 21h. Deux autres arrêts à 21h14 (22e) et 21h40 (23e) avant d’arriver à Yamoussoukro, indiquent bien que l’entrée sur Abidjan ne sera plus possible.
Indulgentes, les forces de l’ordre nous donnent rapidement l’autorisation de repartir. Mais, à moins de 100m de cet arrêt, un autre se dresse : le 24e. Inouï ! Puis un 25e à 21h59. A la sortie de Yamoussoukro. L’espoir de gagner Abidjan n’habite plus les cœurs. L’essentiel, c’est d’arriver. A 23h48, après avoir échappé à un autre arrêt (le 26e), en l’absence des Forces de l’ordre, nous arrivons à N’Zianouan. Le 26e arrêt, exténués. «Grand frère, on dit qu’il y a des coupeurs de route sur l’autoroute. Et si on restait dans le car, pour attendre le jour ?», s’inquiète un jeune journaliste. Je lui réponds, un peu exaspéré : «Tu les as vus, ou on t’en a parlé ?». Refroidi par la sécheresse de mon interrogation, il choisit de se rasseoir.
«C’est la presse, la délégation ivoirienne. Nous venons du Fespaco et nous revenons de mission».
Nous avons le feu vert des agents de la route, mais l’inquiétude
Article publié le lundi 13 avril 2009
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