:Redouté par de nombreuses femmes, le cancer du sein est diagnostiqué chaque année chez 1 372 femmes au pays des Hommes intègres, avec près de trois décès par jour, selon Globocan, l’observatoire mondial du cancer. A Didyr, commune rurale située à 160 km de Ouagadougou, dans la province du Sanguié (Réo), accéder aux services de cancérologie ou à un spécialiste de cette pathologie est un luxe pour des milliers de femmes rurales. Démunies, elles vivent le tourment pour prévenir ou dépister ce mal. Constat, ce mercredi 23 octobre 2024, au passage de la clinique mobile au centre médical de Didyr !
Egnomo Kantoro : « se faire dépister par un spécialiste est un rêve pour moi ». Tronçon Koudougou-Didyr. Le soleil commence a distillé ses rayons quand nous abordons la RN13. Encore 60 kilomètres (Km) à parcourir. Sur le tronçon, des motocyclistes roulent à vive allure. Dans leurs champs, des paysans récoltent le mil, le maïs, le sorgho… en cette fin de saison hivernale. Après 45 mn de route, le temps de bien contempler dame nature, notre regard « tombe » sur une plaque : « Didyr ». Un coup d’œil de part et d’autre de la chaussée, pour administrer les premières concessions de cette bourgade du pays gourounsi, un groupe de femmes s’empressent d’entrer dans un vaste domaine. A l’intérieur, la musique assourdissante que distille le disc joker ne laisse aucun usager de la route indifférent. Nous sommes au Centre médical (CM) de Didyr. Ce mercredi 23 octobre 2024, à l’entrée de ce centre de santé, un parking de fortune s’y est créé. Des centaines de vélomoteurs y sont parqués pêle-mêle. A pieds, à vélo, bébés au dos, des femmes continuent de rallier l’établissement sanitaire. Un coup d’œil dans la cour, des centaines de femmes sont assises sous une bâche, au soleil, à l’ombre d’une clinique mobile… De petits commerces d’eau, d’arachide, de jus de bissap ont poussé dans ce centre santé. Calepin et stylo en main, accompagné de notre chasseur d’images, notre passage suscite regards et interrogations. Les plus curieux n’arrêtent pas de nous dévisager. A la recherche d’un interlocuteur, nous nous frayons un chemin entre ces dames, la peau décharnée, les cheveux grisonnants, assises à même le sol. Des bambins obstruent le passage par endroit. Au milieu d’une ribambelle de femmes, nous apercevons un homme d’environ 1m80, svelte. Micro en main, nous l’assimilons à un confrère. Lorsque nous l’approchons, après les salamalecs, l’Agent de santé à base communautaire (ASBC), ne cache pas sa joie de l’arrivée de la presse en vue de contribuer à la réussite de la campagne de dépistage contre le cancer du sein dont, il est l’un des artisans de la grande mobilisation. Le temps d’échanger quelques mots avec « Loctoré, (docteur en lange mooré) » comme on entendait les incessants appels dans la foule, une dame, blouse rose nous accoste. « Soyez les bienvenus. Le responsable demande à vous rencontrer », lance-t-elle. Responsable maternité du CM, Adjaratou Bayoulou nous conduit au « bloc médecine » où, Dr François Kiswensida Semdé, responsable du CM de Didyr, nous attend. « J’ai été informé de votre arrivée, mais je ne savais pas que vous étiez là », dit-il avec un large sourire. Après les civilités, il nous donne son « ok » pour poursuivre notre reportage.
De longues distances Un examen d’écho-mammographie. Il est 8 heures. Des cohortes de femmes continuent de converger au centre de santé. Après 4 km de pédale, Kadidiatou Badolo, âgée de 21 ans et mère de deux enfants, vient enfin de franchir la porte du CM. Visiblement épuisée, sa fille au dos, la sueur ruissèle partout sur son visage. Avec la bénédiction de son époux, elle a bravé le soleil, les automobilistes … pour venir se faire ausculter. Lorsque nous l’accostons, elle n’hésite pas à lâcher : « les agents de santé nous ont invitées à venir pour un test gratuit du cancer des seins. J’ai très peur de cette maladie et c’est une chance pour moi qui n’aie jamais fait le test de cette maladie mortelle. Je n’avais pas les moyens financiers pour venir me faire consulter ». Dans la famille Badolo, débourser même un centime de F CFA pour un test de cancer est un luxe que Kadidiatou et son époux ne peuvent pas se permettre. La distance ne vous a pas découragée ?
« Au contraire, venir rencontrer les spécialistes m’a beaucoup motivée. Sinon, pour nous qui sommes au village, sans ressources financières, à part ces occasions, où allons-nous les rencontrer pour se faire dépister gratuitement », lance-t-elle. Difficile de lui arracher encore quelques mots. Zoubera Bakouan, son bébé de 30 jours seulement au dos, vagit à tue-tête. Des gestes de la main droite, elle la tapote pour le clamer. Peine perdue ! A proximité, ses « vrombissements » déchirent le silence apparent. Arcboutée à l’arrière d’une mobylette, Marguerite Kando met ses pieds à terre lorsque l’engin pousse son « dernier souffle ». Venue de Bouldié, localité située à 3 km de Didyr, la sexagénaire ne veut pas rater l’unique occasion de consultation.
« Nous n’avons pas de centre de santé dans notre village. Le CM de Didyr et les CSPS n’offrent aucun service d’écho- mammographie. Donc, nous sommes obligées de venir ici pour bénéficier des avantages de la clinique mobile, malgré la distance », indique Edié Kando. Cheveux blanchis, le foulard impeccablement noué sur la tête, la démarche lente, la main sur les reins, Edié Kando scrute du regard les femmes, sans perdre de vue la clinique mobile. Aidée par son fils, Drissa Pawa, elle, avance vers « Loctoré ». Chargé de la mobilisation sociale et communautaire, il a sillonné les villages, hameaux de cultures, yaars (marchés) … pour convaincre les femmes à venir se faire dépister. En sueur, stylo en main, il a du mal à enfiler son gilet estampillé : « ASBC ». 8h20. Difficile de contenir la foule de femmes qui n’hésitent pas souvent à tirer la chemise de l’ASBC pour se faire enrôlées. Sur une feuille blanche tachetée de sueur et de poussière, il dresse la liste de présence par ordre d’arrivée. « Pour éviter les bousculades, nous prenons les noms pour qu’elles rentrent par ordre dans la salle de tri et la clinique. Nous sommes à 200 inscrites pour le moment et nous remercions l’équipe médicale pour la santé qu’elle donne à notre population », lance-t-il.
« Avoir un spécialiste, un rêve pour nous … » Chacune voulait se procurer un carnet de consultation. 9h00. Soudain, une voie retentit. Peu audible, dans un brouhaha, Arouna Tondé, un agent de l’équipe médicale du haut de la clinque demande l’attention de l’assistance. Tous les regards sont désormais tournés vers lui. Il procède à l’appel : Egnomo Kantoro … présente ! Emelie Bazié … oui ! Ekia Kassané … oui ! Marie Kanzongo … oui ! Ouf de soulagement pour Egnomo Kantoro, 67 ans. Après cinq longues heures d’attente et d’impatience, la veuve, venue de Tonton, village situé à 3 km du centre de santé, dès l’aube, se plaint de douleurs au sein gauche. Faute d’argent, aucun membre de sa famille n’a pu lui assurer un examen d’écho-mammographie depuis qu’elle se tord de douleurs. Cheveux blanchis, démarche difficile, elle est invitée à monter à bord de la clinique. Débarrassée de sa béquille « mami Kantoro » ne veut pas d’une quelconque aide pour gravir les marches de la clinique. A pas de tortue, les mains solidement agrippées de part et autre de l’escalier, elle avance. Après deux minutes de pénibles efforts, la sexagénaire est à bord. Une bonne volonté qu’elle ne cesse de remercier, lui transmet sa béquille. Essoufflée par la longue attente et la canicule, elle pousse de grands soupirs. Béquille posée au sol, confortablement assise sur une chaise, elle scrute la fiche de renseignements du technicien supérieur en imagerie médicale, Claver Ouédraogo. C’est le début de l’entretien, l’étape préliminaire de la mammographie. Dans un français limpide, « mami » décline au radiologue son identité, son âge … -Aviez-vous des antécédents de cancer dans la famille… ? Non ! Etes-vous ménopausée ? Oui ! -Aviez-vous déjà utilisé des méthodes contraceptives ? Oui ! Avez-vous des signes de douleurs ? Oui !Après ce bref entretien, place à l’écho-mammographie, une radiographie des seins qui permet de détecter des anomalies. En salle d’examen, hermétiquement fermée, le technicien Ouédraogo l’invite à se dévêtir jusqu’à la taille. Arrêtée près du mammographe, le sein droit est posé sur une plaque. Une seconde plaque vient se poser sur ce sein et l’aplatit de haut en bas. Le sein est ensuite passé aux rayons X pour détecter des nodules, des masses. Le technicien se place derrière un écran protecteur. Il lui demande de ne pas bouger pendant la réalisation du cliché afin que celui-ci soit bien net. La compression du sein permet d’obtenir une bonne qualité d’image et une irradiation moindre. Elle n’est pas douloureuse. Elle dure moins d’une minute. Assis derrière un écran, à moins d’un mètre, son binôme, Arouna Tondé actionne à distance, le mammographe pour prendre une première image. La radiographie est enregistrée, la compression se relâche automatiquement. L’appareil pivote à 45 °. Le sein est alors placé de côté, toujours entre les deux plaques, pour obtenir une deuxième image en oblique. Le technicien répète les mêmes étapes pour l’autre sein. Pas d’inquiétude, il existe une sécurité qui limite la pression maximale du sein. Afin de mieux examiner le sein, plusieurs clichés (habituellement 2 par seins) sont réalisés sous différents angles. Sur l’écran, Arouna Tondé développe les images et vérifie leur qualité. Moins d’une minute, les images obtenues apparaissent immédiatement sur son écran et sont imprimées sur des films. 15 mn. Fin de l’examen. Le diagnostic : « les seins de la vieille sont clean. Aucun problème », précise le technicien Ouédraogo, le cliché en main. A vu d’œil, aucune masse visible, pas de nodules sur le cliché. Tout sourire, Egnomo Kantoro lance : « je craignais d’être malade du cancer. Je repars vraiment soulagée au vu de mes résultats.
Se faire dépister par un spécialiste est un rêve pour nous. Cette campagne, c’est du Dieu donné. Sinon, où allais-je trouver l’argent pour me faire consulter et me soigner en cas de cancer ». Accotée sur le fer de la clinique, depuis 7 heures, Emelie Bazié avance, lentement. Amaigrie, elle ploie sous le poids de ses 51 ans. Las d’attendre dans la foule, la vieille Bazié s’empresse de monter à bord de la clinique. Elle en a cure d’attendre son tour. Assise face au radiologue, Emelie Bazié marmonne quelques mots en langue locale, lyélé. Dialogue de sourd … La quinquagénaire ne comprend rien du français. L’agent de santé se retire de la table d’entretien. Il jette un regard dans la foule, la tête oscillant de gauche à droite à la recherche d’un traducteur. Il porte son choix sur Rachelle Bassané, 16 ans. Cheveux bien coiffés, le visage juvénile, la collégienne a quitté l’école pour venir se faire dépister. Frappée d’inéligibilité à cause de son jeune âge (moins de 40 ans), à défaut d’une écho-mammographie, elle attend impatiemment son tour, pour un auto examen des seins. Très déçue, elle avoue : « j’ai entendu parler que le cancer tue les femmes. Donc, je suis venue me faire dépister. Malheureusement, les agents de santé m’ont dit que je n’ai pas l’âge ». Comme un messie venu sauver les siens, Rachelle Bassané est vite repérée dans la foule. Assise sur une banquette, en tenue scolaire, d’un geste de la main, elle est invitée à rejoindre le car. Désormais, elle doit assurer le rôle de traductrice-bénévole.
« La seule chance de se dépister » Après le test, Claver Ouédraogo enregistre les résultats du diagnostic. A deux mètres de Rachelle Bassané, bébé au dos, arrêtée sous le soleil, Ebouma Kando a le regard rivé sur la clinique. Angoissée, l’air triste, la peau sur les os, en compagnie de la sage-femme Lucie Tiendrebeogo, elle tient son carnet de consultation. Venue de Lapio, près de 3 km, elle traine depuis plusieurs mois, une douleur au sein gauche. Sans kopek, elle n’a eu aucune consultation depuis les premières douleurs. Mère de 4 enfants, sans ressources financières, Ebouma Kando dort avec la hantise que le cancer ne la décime à petit feu. A l’aube, elle n’a pas hésité à enfourcher son vélo pour rallier le centre de santé. Trouver un remède à son mal, c’est l’équation qu’elle tente de résoudre en vain. « C’est lors de la campagne de chimio prévention du paludisme qu’elle a signalé à l’ASBC ses douleurs au sein. Il l’a référée au CM. Par manque de spécialistes, les agents de santé l’ont aussi recommandé d’attendre l’arrivée de la clinique mobile pour un diagnostic approfondi », explique Loctoré, son « médecin-référant ». Cas suspect, elle prend rapidement place dans la clinique. La traductrice Rachelle l’aide à passer son interrogatoire. 2 mn s’écoule. Ebouma Kando n’est pas éligible à la l’écho-mammographie. La raison ? « C’est une mère allaitante et elle a 28 ans. Donc, elle n’a pas les 40 ans requis pour le test », tranche Claver Ouédraogo, à l’issue de l’entretien. Tristesse et désolation se lisent sur son visage. Presqu’en larmes, en langue locale, elle laisse entendre quelques mots : « sans moyens financiers, c’était la seule chance de savoir de quoi je souffre. J’ai très peur. Maintenant, que vais-je faire ? ». Illico presto, ses seins gauche et droite passent au « scanner » de la palpation. « Elle a un nodule au sein gauche au niveau du cadran supéro-externe. Cela ne veut pas forcément dire que c’est un cancer. Il faut qu’elle complète son examen par une échographie », confie Claver Ouédraogo. Démoralisée, à pas lents, elle descend difficilement les marches de la clinique. Solidement agrippée à la barre des escaliers, les lèvres séchées par la canicule et le vent sec, Nathalie Kanwar (53 ans) ne la quitte pas du regard. Un coup d’œil dans notre direction, commencent les supplications et lamentations.
« Mon fils, c’est mon tour d’entrer. Aide-moi à me faire consulter », supplie-t-elle. Sur le bout de feuille qu’elle nous brandit, son numéro de passage est mentionné : 65. Depuis 6 h, elle fait le pied de grue pour espérer connaitre son diagnostic. Déshydratée par la chaleur, les yeux écarquillés, elle ne tient plus sur ses jambes. Elle supplie les agents de santé à chaque passage, de la faire monter dans le camion. Doléances acceptées… « J’ai des douleurs régulièrement aux seins. Je sens des boules depuis des jours … », dit-elle au spécia-liste. Diagnostic : « néant ». Plus de peur que de mal. Sourire aux lèvres, elle disparait dans la foule.
Plus de carnets de consultation Dr François Kiswensida Semdé, responsable du CM de Didyr : « nous allons négocier pour que la clinique revienne ». 11h00. La foule continue de grossir. 45 degrés Celsius à l’ombre. Le soleil de plomb ne les dissuade guère. En face de la clinique, l’ASBC continue d’enregistrer les nouvelles candidates à l’écho-mammographie et l’auto examen des seins. Un clin d’œil sur sa fiche : 321 inscrites. « Ces femmes viennent d’arriver. Nous ne sommes pas sûrs qu’elles pourront toutes passer pour le test », se lamente « Loctoré ». Plus de carnets de consultation. L’ASBC décide d’arrêter les enregistrements de nouvelles patientes. Une pilule difficile à avaler dans la foule. Les lamentations fusent de partout. « Les carnets sont totalement finis à cause de l’affluence. Les toutes premières ont eu, celles qui viennent d’arriver, non », soutient-il. Sans crier gare, il enfourche sa moto pour disparaitre dans un nuage de poussière. 13h20. Des dizaines de femmes convergent toujours vers le bloc maternité. Elles viennent rallonger la file de patientes devant l’entrée principale. Des sexagénaires, aux démarches difficiles, tentent de rejoindre la foule.
Devant la première porte, un petit attroupement se forme. Une petite bousculade se déclenche. Chacune veut un bulletin de consultation. C’est le brouhaha. Dans le couloir du bâtiment, les incessants va-et-vient irritent les agents de santé. La cacophonie se généralise. Envahis de patientes, les agents enregis-treurs tentent de mettre de l’ordre. Lucie Tiendrebeogo, la sage-femme crie à tue-tête de libérer la salle. « Laissez la porte, laissez la porte », dit-elle, haut et fort. C’est peine perdue. Personne ne bouge d’un iota. L’horloge du téléphone affiche 15h00. Scotchée devant la porte, Ebouma Kando est en larmes, la fiche de son examen complémentaire en main. « Lorsque je l’ai référée pour la consultation au CM, son époux n’a pas pu honorer ses ordonnances. Si on la réfère à Koudougou pour une échographie, ce n’est pas évident il arrive à prendre en charge les frais de déplacements et d’examens. C’est une famille très démunie », dit l’ASBC. Arrêté sous le hangar à proximité de la clinique, la présence d’Amédée Bassolet, autour des centaines femmes embarrasse. Approché, il décline d’abord notre désir de lui arracher quelques mots. Présent au centre de santé par curiosité confie-t-il, il finit par laisser entendre : « l’initiative de la clinique mobile est à saluer parce que nos populations n’ont pas la possibilité d’accéder aux grands centres de santé pour exposer leurs problèmes. Même, si elles ont la possibilité, les moyens leur font défaut. Si ces examens sont subventionnés, c’est une très bonne chose ».
Il n’en dira pas plus. Soudain, des cris déchirent le silence. Des femmes accourent dans tous les sens. Dans leur « sprint », certaines perdent leurs sandales. D’autres abandonnent leurs enfants, foulards … Aux cris de joie, s’entremêlent des applaudissements. Carnets de santé en main, en sueur, Loctoré est au centre d’un attroupement. De son périple dans les centres de santé à proximité, il est de retour avec des carnets de consultation, ces précieux sésames qui ouvrent la porte à tout examen mammographique. Trimballé de partout comme une balle de ping-pong, il a du mal à contenir la foule. Chacune veut se procurer le précieux sésame pour espérer passer dans le mammographe. Ces incessants appels à la retenue ne servent à rien. Que nenni ! Après une âpre lutte, Reine Kazongo finit par arracher sa carte contre la somme de 200 F CFA. « Je suis très heureuse d’avoir pu obtenir ce carnet », lâche-t-elle dans un éclat de rire. Présente au centre de santé depuis 6 heures du matin, Nathalie Kankouan fait partie des plus chanceuses. Emoussée, elle raconte qu’avoir ce carnet sonne pour elle comme un début de guérison contre le mal de sein et de poitrine qui la traumatise depuis quelques semaines.
« J’ai mal au sein depuis quelques jours. Avoir ce carnet me donne l’espoir de rencontrer un spécialiste. Si je rate cette occasion, comment vais-je faire pour savoir de quoi je souffre et le traiter », affirme-t-elle. A peine 2 mn et le stock de carnets est épuisé. « Il faut que j’aille voir dans un autre CSPS, si je peux en trouver pour d’autres », dit l’agent de santé communautaire, en démarrant en trompe. Tristesse et désolation se lisent encore sur des visages. Justine Bakouan ne fait pas partie des veinardes. « Je ne suis pas découragée, je garde espoir que j’aurai la consultation », espère-t-elle. « Il y a un monde dehors. Nous ne sommes pas surs de pouvoir les consulter toutes. Mais, nous allons prendre le maximum. Si les femmes ont à cœur de venir se faire dépister, c’est une bonne chose. La clinique mobile nous permet d’aller dans les endroits les plus reculés, d’être en contact direct avec les populations les plus éloignées. Cela nous fait vraiment plaisir qu’il y’ait de l’engouement », se réjouit Claver Ouédraogo.
« Nous gardons espoir » Les heures s’égrènent. 15h40. L’attente est longue et lassante. Le soleil continue sa course vers l’Ouest. Sur des centaines de visages, l’optimisme commence à faire place au désespoir. Pauline Kando a désormais déchanté. « Je me demande si j’aurai encore cette chance de croiser un spécialiste du cancer pour avoir le cœur net sur mon état de santé », se désole-t-elle. Assis sur son vélo, sous le soleil de plomb, son époux, Joseph Moukassa Bakouan ne cesse de se lamenter. Crieur public émérite de Didyr, il a sillonné les villages de Yamadjô (5 km), Kouéi (3km), Lapio (5 km), Bouldié (1km), les marchés, les concessions… pour apporter « la bonne nouvelle » du dépistage aux femmes.
« Depuis, le 19 octobre 2024, jusqu’à ce jour, je ne cesse de mobiliser les femmes. Je reviens même du marché », relate-t-il, les yeux rivés sur la foule. Artisan de la grande mobilisation du jour, il est désespéré du fait que sa femme soit clouée sous la chaleur d’une tente à attendre son tour. Sur le ticket que son épouse Pauline Kando nous présente, il est marqué : 262.
« Je suis venu à 5 heures au CM. J’ai trouvé une trentaine de femmes et je suis reparti. Si j’avais su, j’allais lui réserver une place », regrette-t-il. Plein de remords, il affirme : « Si grâce à moi, toutes ses femmes sont là et ma chérie n’arrive pas à voir un spécialiste, je ne serai pas content ». 16H17. Le ciel commence à gronder à Didyr. Les regards scrutent les nuages. A grand pas, Awa Traoré, bulletin en main, a un large sourire aux lèvres. Agée de 23 ans, elle ne présente aucune lésion précancéreuse. « Mieux vaut mieux prévenir que guérir. Le cancer du sein n’est pas une maladie pour les pauvres comme moi. Même si, je n’ai pas bénéficié de l’écho-mammographie, j’ai pu faire l’auto-examen de mes seins et bénéficier de conseils sur l’autopalpation.
Je ne savais pas qu’il faut palper les seins avant et après les règles pour déceler les lésions précancéreuses. J’ai raté la campagne à Koudougou. J’ai tenu à venir, pour avoir la chance de bénéficier de précieux conseils des spécialistes », détaille celle qui a parcours plus d’une soixantaine de km pour bénéficier d’une consultation. Elle se désole pour les dizaines de femmes qui n’auront pas la même chance qu’elle de rencontrer des spécialistes ou de se faire dépister. « Mon vœu, c’est que la clinique revienne 2, 3 … fois pour sauver nos mamans et nous les jeunes filles », plaide-t-elle. Dr François Kiswensida Semdé, respon-sable du CM de Didyr, de reconnaitre : « cette campagne a connu un grand succès ». Il fait également savoir que Didyr est un grand centre et que le besoin en termes de prise en charge spécialisée est énorme. « Nous sommes dans la désolation que nous ne pourrions pas consulter toutes les femmes. Beaucoup de femmes sont très déçues de ne pas être prises en charge. Nous allons négocier pour que la clinique revienne une deuxième fois », rassure le spécialiste. 17h30. La clinique mobile referme ses portes. Fin des consultations. Une fine pluie commence à arroser le CM. Désespérées, des dizaines de femmes commencent à quitter l’hôpital. D’autres, la main sur le menton, assises face à la clinique, se demandent si elles auront, un jour, la chance de passer au mammographe. Elles formulent un seul vœu : le retour rapide de la clinique mobile.
Abdel Aziz NABALOUM emirathe@yahoo.fr
Article publié le mardi 3 décembre 2024
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