:Les 31 août et 1er septembre 2023, et sur initiative du ministère des Infrastructures et du désenclavement, s’est tenue dans la capitale burkinabè, la première édition de « Africa Infrastructure Forum » sous le thème « Investir dans les infrastructures africaines pour impacter la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) ». Outre le financement et la construction de voies durables, il a été question dans les échanges entre participants, du manque d’entretien et de maintenance qui caractérise les infrastructures et les biens publics dans les pays africains. Et dans ce mal, le Burkina Faso n’est pas à la traîne …
« Aujourd’hui, lorsque nous construisons une infrastructure d’une durée de quinze ans, et que l’entretien ne suit pas, c’est sûr qu’en moins de cinq ans, il faut reprendre l’infrastructure et cela revient encore plus cher. Nous devons nous donner les moyens de respecter la stratégie d’entretien pour avoir une certaine durabilité des infrastructures », a posé le ministre des infrastructures et du désenclavement, Adama Luc Sorgho. Ces propos arrivent dans cette révoltante actualité dite de rénovation du stade du 4-août, dont la profondeur du mal s’explique en partie par le manque d’entretien qui a favorisé la dégradation continue de l’infrastructure.
Prenant d’ailleurs prétexte de cette infrastructure sportive, l’ingénieur de génie civil, Vincent Dabilgou, alors ministre des transports, de la mobilité urbaine et de la sécurité routière, a, en mars 2021, regretté : « Les pays africains, que nous sommes, sont beaucoup versés dans les constructions nouvelles, les travaux neufs. La maintenance, l’entretien pose problème en Afrique. Il n’y a pas d’entretien tant qu’il n’y a pas de pression. Même dans les formations, quand on y va, les gens nous forment à construire, mais pas à entretenir. Ce qui fait que la culture de la maintenance devient très difficile ».
Pis, l’ancien président de l’association des ingénieurs des villes d’Afrique, M. Dabilgou, a confié s’être battu (en vain), lorsqu’il dirigeait le ministère de l’Urbanisme et de l’Habitat, pour la mise en place d’un budget pour l’entretien du patrimoine bâtiment. Le cas du stade de 4-août, qui n’est qu’une partie de l’iceberg du comportement vis-à-vis des infrastructures et des biens publics au Burkina, montre bien la débauche d’énergies, le gaspillage de ressources, le risque encouru face à certains enjeux (l’équipe nationale et les clubs burkinabè qui n’ont plus droit au soutien de leurs publics des matchs à domicile…)… que comporte ce manque de stratégie d’entretien.
Toutes les promesses de réouverture du stade, depuis octobre 2021 (date de lancement des travaux) ont abouti à la conclusion sans équivoque de la mission d’inspection de la CAF , en fin août 2023, et au moment où le public burkinabè s’attendait enfin à une bonne nouvelle, qu’« Il y a des choses qui ont franchement besoin de rénovation et de changement de plans » (https://lefaso.net/spip.php?article123932).
Si le stade du 4-août, a, lui, eu la chance, dans les conditions sus-évoquées, d’être soumis à des retouches, combien sont-ils, ces infrastructures et biens publics, à payer les frais, jusqu’à l’irréparable, de ce manque d’égards ? Bien malin qui saura les répertorier. Les actualités liées aux infrastructures de la célébration tournante du 11-décembre (fête de l’indépendance) dans les régions en sont bien l’illustration ; en plus de la qualité piètre fréquemment décriée par les populations et même des spécialistes, le manque d’entretien est patent.
Le Burkina est donc devenu maître des constructions neuves, luxueuses ou dans l’acquisition de matériel nouveau, mais « nase » dans ce qui s’en suit, le volet capital. Et cette attitude touche tous les secteurs ; du matériel à l’immatériel. Cela devient encore crucial, quand le jeu politique s’y mêle. Dans une conférence de presse qu’il a animée le 16 novembre 2021 sur des manquements, le Syndicat des travaux publics, du bâtiment, de l’hydraulique et assimilés (SYTTPBHA\MI) a par exemple déploré que « l’entretien courant (des routes), qui disposait d’un programme annuel, a été purement et simplement abandonné pour laisser place à des travaux d’urgence dictés par les politiciens et les mouvements d’humeur de certaines populations ».
Pourquoi le problème se pose avec acuité, sans qu’une solution soit trouvée ? Certains cadres des administrations, qui déplorent la situation, trouvent des explications, autres que les motivations politiques. « Dans les hôpitaux et centres de santé publics par exemples, on est amers sur ce plan. Il ne suffit pas de construire les infrastructures, payer le matériel, il faut savoir les entretenir. Je dirai que le volet entretien et maintenance est même plus important que l’acquisition.
C’est toute une politique et une volonté qu’il faut pour cela. Mais les gens ne sont pas prêts à ce sacrifice, parce qu’il n’y a pas grand-chose à retenir là-bas. Dans les nouvelles constructions et les commandes de nouveau matériel, ça bouffe plus que dans l’entretien et la maintenance ; les gens ne veulent pas gagner petit, ils veulent gros. C’est cela le Burkina d’aujourd’hui, malheureusement. Tout le monde parle, mais chacun a sa petite idée derrière la tête et n’hésite pas à faire le tort au patrimoine national lorsqu’il peut « avoir pour lui ».
Dans nos administrations publiques, nos chefs, …. celui qui a une petite portion de pouvoir, ce n’est pas pour arranger les choses, c’est pour créer des occasions pour donner le maximum de gros marchés à des entreprises qu’il a lui-même créées, aux membres de sa famille, à ses amis, etc. Quand c’est ainsi, le patrimoine national n’existe plus, chacun cherche à s’en faire plein les poches, rapidement, parce qu’il ne sait pas quand est-ce qu’il va partir de son poste.
A l’hôpital où je bosse, je vous assure que la majeure partie du matériel qu’on déclasse n’est pas gâté ; les appareils ont besoin d’une simple maintenance, d’un entretien, qui ne prend même pas parfois une journée. Mais au lieu de cela, on va dire que cet appareil est gâté, le service ne fonctionne pas pendant des semaines, voire des mois, les gens vont s’occuper maintenant à lancer des commandes, souvent même sans concerter les spécialistes. Ils s’en foutent que les malades meurent. (…).
C’est triste, et même très triste. Même les pays qui ont plus de moyens ne font pas comme nous ici, on gaspille les ressources pour rien et en plus ce n’est pas efficace. Et si tu arrives et que tu veux poser le sujet, on peut t’en vouloir jusqu’à mort pour cela », se souvient-on des confidences de cet agent de santé, révolté par des cas illustratifs qu’il cite en appui.
Ainsi va, soupire-t-il, le Burkina dans sa marche paradoxale vers le développement durable : construire en déconstruisant. Alors…, faut-il encore ressasser que les citoyens ont droit à des infrastructures et à des biens publics de qualité, bien entretenus, parce qu’ils sont le fruit des taxes et impôts qu’ils paient, parfois, avec plein de difficultés ?
Oumar L. Ouédraogo Lefaso.net
Article publié le mardi 5 septembre 2023
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