:Les associations féminines et les unités de transformation ou de fabrication du beurre de karité à base des amandes traversent des moments difficiles. Ces femmes rurales qui, autrefois, faisaient de la collecte et la vente des noix, leur gagne-pain, se retrouvent désœuvrées pour absence de la matière première. Et les causes sont multiples : mauvaise répartition des pluies, canicule ou phénomène cyclique de l’arbre à karité, effets du changement climatique … Dans les régions du Centre-Ouest (Koudougou) et des Hauts-Bassins (Bobo-Dioulasso), cette situation fait chuter le chiffre d’affaires de certaines unités de transformation. Constat en ce mois d’octobre 2024.
Elles sont toutes des collectrices de noix de karité du groupement « Dwi Nyee » (l’union fait la famille, en langue Lyélé) qui se retrouvent dans ce centre de tri, de traitement et de séchage muni d’une clôture grillagée d’un hectare à Po, un village de la commune rurale de Kyon, dans la province du Sanguié, région du Centre-Ouest. Ces femmes font de la collecte et la vente des noix de karité, une source de revenus. 9h15mn, ce lundi 21 octobre 2024. A proximité de la guérite, vers l’entrée du centre, certaines d’entre elles nous accueillent avec une chanson de bienvenue en Lyélé.
Du hangar de tri en passant par le magasin de stockage et le hall de traitement des noix, casseroles, seaux et marmites sont maîtres des lieux. Le visage des autres femmes, assises à même le sol, leurs enfants sur les pieds, laisse croire qu’elles vivent un
… Evelyne Kantiono, secrétaire générale de « Dwi Nyee » arrêtée au milieu des sacs est déçue des résultats après campagne. évènement malheureux. C’est après un tour aux foyers améliorés, au séchoir solaire et à l’aire de séchage que l’on réalise ce qui les plonge dans un tel état. Un foyer amélioré couvert de rouille, quelques tas de noix d’amandes étalés, un magasin de stockage contenant uniquement une vingtaine de sacs de 80 kilogrammes de noix …, le centre ressemble plus à un lieu de rencontre d’échanges.
L’air triste, Evelyne Kantiono, secrétaire générale de « Dwi Nyee », explique les raisons : « actuellement, nous ne sommes pas en activité, car les noix n’ont pas assez donné cette année. Sinon, l’année passée, à pareil moment, nous étions en train de piler pour extraire les saletés. Pour la présente campagne, nos prévisions sont loin d’être atteintes. Cette situation nous chagrine », tente-t-elle d’expliquer toute peinée. A quelques dizaines de mètres d’elle, se trouve le magasin de stockage. A l’intérieur, trois femmes dont l’âge est compris entre la quarantaine et la soixantaine, sont déjà dans la transformation des graines de néré en soumbala.
Pendant ce temps, Marthe Bako, la chargée du comité de surveillance du centre est en train de roder d’un angle à un autre du bâtiment. Son regard pensif laisse croire que quelque chose la tenaille. « D’habitude, les bénéfices que l’on pouvait enregistrer annuellement nous permettaient de payer la scolarité des enfants et d’assurer la santé. Certaines d’entre nous achètent des animaux domestiques pour élever. Cette année, la situation nous plonge dans le désarroi », fulmine-t-elle.
Une baisse des bénéfices Les collectrices se convertissent dans la transformation du soumbalapour subvenir à leurs besoins. Pas très loin du centre, derrière les collines, se trouve un parc d’arbres à karité d’une dizaine d’hectares. C’est sur ce terrain et dans la forêt classée de Tiogo, où Evelyne Kantiono et ses camarades se relayaient au quotidien pour aller à la recherche des noix. Désespérée de la faible moisson de noix, dame Kantiono ne connaitra plus le bénéfice après-vente, comme l’année précédente, estimé à 1,9 million F CFA. Pire, le contrat signé pour la livraison des noix à l’Union des groupements féminins « Ce Dwane Nyee » (UGF/CDN), spécialisée dans la transformation et la fabrication du beurre de karité est revu à la baisse.
D’un montant de 7 millions F CFA en 2023 pour 102 tonnes, exécuté sans difficulté, ce contrat est passé à 3 millions F CFA pour la présente campagne avec 12 tonnes à livrer. « Avec la rareté des noix, les prix ont brusquement augmenté. Les collectrices individuelles hors du centre, avec qui nous avions l’habitude d’acheter les produits pour les revendre n’en disposent même pas. D’autres en ont, mais le prix d’achat est élevé. Compte tenu de ces paramètres, vous constatez que le montant du contrat semble être élevé, mais la quantité est faible », justifie la secrétaire générale de « Dwi Nyee ».
Un moment incertain pour elle et ses collaboratrices qui n’espèrent pas avoir un bénéfice de 500 000 F CFA. Les attentes des femmes se sont transformées en de véritables cauchemars. Alors qu’elles sont parfois des piliers dans la prise en charge de certaines dépenses familiales, ces collectrices vont devoir dorénavant se rabattre sur d’autres activités rémunératrices.
Les industries affectées Fuyant les regards, les collectrices font face à des difficultés financières liées à la rareté des noix de karité. Parce que, avec la rareté de l’amande de karité, la pauvreté commence à s’installer. Les mains en l’air, Marthe Bako ne souhaite qu’une seule issue : avoir un financement pour booster d’autres activités de contre-saison. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, selon le poète et philosophe français, Paul Valery, l’insuffisance d’une telle matière première impacte la rentabilité des usines de transformation. Après avoir pris congé des femmes du groupement « Dwi Nyee », nous cheminons vers la ville de Réo où se trouve leur acheteur principal, l’Union des groupements féminins, Ce Dwane Nyee.
En cet après-midi, dans cette usine de fabrication du beurre de karité, un conducteur de tricycle, transportant des noix vient de faire son entrée. Il se dirige vers le magasin de stockage d’une capacité de 250 tonnes quasi vide. Des femmes vêtues de blouse rose font le pesage et le levage des sacs à l’aide des transpalettes manuelles qu’elles convoient aux autres équipes chargées de piler, d’extraire, de concasser et de transformer la pâte. Même si le coordonnateur de l’UGF/CDN, Bahuomé Bationon, se dit comblé du dynamisme des femmes, il s’inquiète de la quantité des amandes pour satisfaire la demande des clients.
« La productivité de l’arbre à karité a presque diminué de 80 à 90%. Cela fait que la matière première n’est pas très accessible. Les coûts ont presque triplé sur le marché. Le prix du plat (yoruba) est passé de 250 à 1 000 F CFA. Pire, même avec ce prix, sur le marché, on n’en trouve pas. Cette flambée a même mis en difficulté certains transformateurs qui ne pouvaient plus s’approvisionner », déplore-t-il. Les répercussions sur la production sont évidentes.
A l’UGF/CDN, la livraison des noix d’amande se poursuivent, malgré tout. Alors qu’annuellement, il pouvait fournir plus de 300 tonnes de beurre de karité aux clients dont L’Occitane en France, Savana food en Portugal et les boutiques locales, cette année, la quantité risque de ne pas excéder 60 à 80 tonnes.L’entreprise enregistre, en ce moment, une perte financière de près de 60% de son capital, foi de M. Bationon. Habituellement, confie le coordonnateur, elle enregistre un chiffre d’affaires de 500 millions F CFA.
A ce stade, ce montant ne peut pas aller au delà de 300 millions F CFA. Dans cette usine, les femmes se donnent corps et âme en maniant les machines. De la salle de concassage pour la torréfaction, en passant par celles de la déshydratation et du filtrage, elles sont motivées à transformer la pâte pour obtenir le beurre de karité brut non raffiné.
L’exportation de l’amande suspendue Les déchets provenant des noix de karité sont transformés aussi sur place pour confectionner des briquettes combustibles. Parmi elles, certaines sont des permanentes et d’autres des contractuelles. Pourtant, toutes ces tâches engendrent des charges sans omettre les dépenses courantes, soutient Bahuomé Bationon. Difficile de supporter ces charges et surtout de faire face au remboursement des crédits empruntés auprès des institutions financières avec la rareté des noix.
« Nous prenons des crédits avec des institutions financières nationales qui ont un fonds vert climat. Elles ont déjà mobilisé les ressources pour nous. Nous avons tenu à leur
Les femmes travaillent sans relâche pour améliorer leurs revenus. expliquer la situation. Mais de toute façon, le taux de remboursement a connu une hausse de 18%. Avant, il était compris entre 11 et 15% », révèle le coordonnateur de l’UGF/CDN. Le gouvernement, conscient de toutes ces difficultés a opté de soutenir les entreprises locales en suspendant temporairement l’exportation de l’amande de karité à travers un communiqué conjoint signé le 18 septembre 2024, par les ministres en charge de l’économie et du commerce.
L’objectif est de rendre disponible l’amande de karité utilisée comme matière première par les unités industrielles de transformation au niveau national. Mais, les commerçants, indique sieur Bationon, ne cautionnent pas cette mesure. En réponse à l’annonce de la décision, les acteurs de la filière karité ont tenu, le mardi 8 octobre 2024, une assemblée générale extraordinaire à Ouagadougou. Une rencontre qui s’est voulu une tribune pour trouver des solutions consensuelles afin de faire un plaidoyer pour la levée de la mesure. Toutefois, les chefs d’entreprises des unités de transformations pointent du doigt les difficultés d’approvisionnement et sont d’avis avec la suspension.
Dans la matinée du mardi 22 octobre 2024, sur le site du magasin de stockage des amandes de l’Entreprise Traoré Tenin production (ETT Pro), installée dans la zone industrielle de Bobo-Dioulasso, le Directeur général (DG), San Ouattara, retient son souffle. Des sacs vides entassés ça et là et seuls quelques dizaines sont remplis de noix. Sur la base d’un contrat de livraison signé avec une dizaine de coopératives de femmes collectrices dans les provinces du Houet, de Tuy et des Balé dont « Serilo », « N’Gniban », « Venoussan »…, ETT Pro est toujours dans l’attente.
Les palettes en bois, entreposées à l’extérieur du bâtiment n’attendent que des colis. « Comparativement à l’année dernière, nous sommes en deçà de nos quantités prévues. A pareil moment, nous étions autour de 2 000 tonnes. Cette année, nous n’attendons que 1 500 tonnes. Nous travaillons avec 13 coopératives composées de 4 100 femmes. L’insuffisance des noix nous touche. Nous n’allons pas arriver à satisfaire la demande locale et les nouveaux partenaires », regrette-t-il. Conséquence, le délai de remboursement des crédits ne sera pas respecté.
Promouvoir la plantation de l’arbre à karité Les déchets provenant des amandes, confectionnés en briquettes combustibles sont réutilisés pour compenser l’utilisation du bois de chauffe. Comme l’ETT Pro, certaines unités transformatrices, avoue San Ouattara, sont contraintes de repartir vers les institutions financières afin de renégocier un report des délais de remboursement. Les difficultés liées à l’approvisionnement de la matière première aux industries locales expliquent en partie la mesure de protection prise par l’autorité. Il juge avantageux la décision qui consiste à améliorer la question de la demande des unités de transformation en matières premières.
Elle vient non seulement redynamiser le fonctionnement des unités de transformation, mais aussi assainir le marché local. « Nous avons tenu une rencontre avec les commerçants. Nous avons posé nos problèmes en vue de trouver un accord consistant à ravitailler et satisfaire la demande des entreprises locales et d’exporter le surplus », soutient-il. San Ouattara encourage le gouvernement à mettre en place un comptoir d’achat en vue de lutter contre la fixation hasardeuse des prix. Chose désormais faite par le ministère en charge du commerce dans une note publiée le 12 novembre 2024. Pour alléger les charges et éviter de mettre le personnel au chômage, l’ETT Pro se lance dans la commercialisation du soja et du sésame. Si la situation perdure, prévient San Ouattara, la direction va devoir prendre sa responsabilité en réduisant le personnel.
Le karité est une richesse naturelle. A l’effet d’accroître la productivité de l’arbre à karité dans les années à venir, Bahuomé Bationon dit avoir initié la plantation d’un parc de karité d’une superficie de 52 hectares à Kyon, Lati et Boulsin, dans la région du Centre-Ouest. Malgré tout, la demande reste insuffisante. Il invite le politique à faire la promotion de la plantation de l’arbre à karité comme on le fait pour les vergers de manguiers. Des partenaires au développement doivent accompagner ces initiatives, tout en intensifiant les luttes contre la coupe abusive du bois et les feux de brousse.
Oumarou RABO
Inverser la tendance
Selon les données de l’Institut national de la statistique et de la démographie (INSD), entre 2020 et 2023, les exportations de beurre de karité du Burkina Faso ont connu une baisse significative de 14,35 % par an, passant de 22 700 tonnes en 2020 à 12 215 tonnes en 2023. A l’opposé, les exportations d’amandes de karité ont augmenté de 19,37 % en moyenne par an sur la même période, passant de 104 700 tonnes en 2020 à 212 600 tonnes en 2023. Cette tendance montre que le pays exporte davantage de matières premières non transformées, réduisant ainsi le potentiel de création de la valeur ajoutée sur le marché local. Avec la rareté des noix, si la politique de suspension est bien mise en place, non seulement elle pourrait générer plus de valeur ajoutée mais aussi améliorer les conditions de vie des femmes qui constituent l’essentiel de la main d’œuvre dans la filière.
O.R
Un coup dur à l’international
Nombreux sont les commerçants qui dépendent de la vente brute des amandes hors du Burkina. Avec l’insuffisance des noix pour satisfaire l’industrie locale, suivie de la suspension de l’exportation de l’amande de karité, ils sont désormais entre deux feux : le remboursement des crédits auprès des institutions financières et la pression des partenaires internationaux. Les grandes entreprises cosmétiques et pharmaceutiques, qui, d’ailleurs se fournissent en karité burkinabè vont devoir se tourner vers d’autres fournisseurs ou envisager de tisser un partenariat avec les industries locales en vue d’assurer un approvisionnement durable. Cela pourrait permettre aux entreprises nationales d’être plus résilientes et compétitives sur le marché mondial.
O.R
Moult tentatives vaines
Pour en savoir davantage sur la rencontre des acteurs de la filière karité, nos multiples tentatives pour entrer en contact avec le président de l’interprofession Table filière karité du Burkina Faso, Théophane Antoine Bougouma, sont restées vaines. La première remonte au 28 octobre 2024. Joint au téléphone, il disait quitter Ouagadougou pour se rendre ailleurs et promet recevoir l’équipe de Sidwaya dès son retour. A la suite d’un deuxième appel le 31 octobre 2024, l’intéressé n’a pas décroché. Relancé le 1er novembre 2024, il rejette l’appel et prétextera être en réunion. Les messages envoyés à l’intéressé sont restés sans suite.
O.R
Article publié le jeudi 21 novembre 2024
143 lectures