Enfant, Alhousseini Yayé Touré rêvait déjà en couleur au bord du fleuve Niger à Tillabéry. Délaissant très jeune les bancs de l’école, il rentre au centre d’apprentissage du Musée National de Niamey pour apprendre l’art du batik en 1987. Il suivra par la suite quatre années de cours de dessin artistique au Centre Culturel Oumarou Ganda de la capitale avant d’obtenir son diplôme de fin de d’étude en 1992 avec la mention Bien. S’en suivra de nombreux stage qui façonneront au fil des années le style du peintre, consacré en 2005 par sa sélection à représenter le Niger aux cinquièmes Jeux de la Francophonie à Niamey.
De ses tableaux abstraits émergent des personnages aux silhouettes vagues et fugitives. L’inspiration, Touré la puise dans la nature et dans les maux de notre société ou pauvreté et corruption s’entremêlent.
Dans ses œuvres le peintre utilise des pigments naturels du Niger mélangés à des liants industriels dans lesquels s’incrustent souvent différents matériaux de récupération tels que le tissu et des objets de la vie quotidienne.
De nombreux prix et voyages à travers le monde font aujourd’hui de celui que l’on qualifiait il y’a vingt ans de ‘benjamin des artistes peintres du Niger’, l’un des maîtres incontournable de cet art.
FOFO : Quoi de neuf en 2011 ?
TOURE : Je reviens récemment de France ou j’anime des ateliers de formation pour les enfants depuis 2008 grâce à la fondation Léo Lagrange. Je viens de décrocher également le premier prix du concours organisé par les Ministère de la Culture et des Affaires étrangères. Il s’agissait de sélectionner un peintre nigérien pour décorer l’une de nos ambassades à l’étranger.
FOFO : Tu as beaucoup voyagé, quel est ton meilleur souvenir ?
TOURE : En 2008, j’étais invité en Espagne pour le Salon International des Arts Contemporains en tant que commissaire d’exposition. Trois pays africains avaient été invités : le Niger, le Ghana et le Sénégal, nous étions trois peintres nigériens a faire le déplacement : Ali Garba, Fati Seyni et moi. La reine d’Espagne est venue visiter l’exposition, la rencontrer a été un très grand moment pour moi.
En 2005 en tant que représentant du Niger aux cinquièmes jeux de la Francophonie j’ai bénéficié d’une bourse qui m’a permis d’entreprendre une tournée dans les pays de la sous-région et en France, ça a été une expérience très enrichissante.
FOFO : Au Niger il n’y a pas de galeries d’Arts, où exposes-tu ?
TOURE : À Niamey j’ai des expositions permanentes au restaurant du Grand Hôtel et au restaurant le Pilier. De plus les principales banques du pays ont acheté mes œuvres pour décorer leurs agences. L’Hôtel les Roniers a mis à ma disposition un atelier ou je travaille et où j’expose. Je profite de cette interview pour remercier la gérante de cet établissement qui m’a beaucoup soutenu dans mon parcours artistique.
Dans le temps le CCFN organisait souvent des expositions de peinture, ce lieu avait l’avantage d’être fréquenté par toutes les couches sociales du pays ce qui permettait de sensibiliser un large public à l’art mais avec l’ancienne direction ils ont cessé. Pour exemple j’ai invité un artiste plasticien togolais en résidence en 2008 mais le CCFN ne nous a pas soutenu et nous avons du exposer nos œuvres au Grand Hôtel… La nouvelle direction à l’air de vouloir relancer la peinture, c’est une très bonne chose pour tous les peintres du pays.
Au Musée National il y a une salle spéciale pour les expositions mais la location est vraiment très chère, du coup aucun artiste nigérien ne peut y faire découvrir ses œuvres, c’est vraiment dommage. Le Musée aurait pourtant tout intérêt à favoriser les artistes nigériens à même d’organiser une exposition afin de promouvoir l’art du Niger et donner la chance au public de découvrir ces œuvres.
FOFO : On vit de la peinture au Niger ?
TOURE : Cette année les artistes et les artisans ont beaucoup souffert à cause des multiples évènements (coup d’Etat, enlèvements, …). Beaucoup d’expatriés sont partis et beaucoup d’artistes ont changé de métier parce qu’ils ne vendent plus.
FOFO : Ca veut dire qu’il n’y a que les étrangers qui achètent l’art nigérien ?
TOURE : Les nigériens achètent très peu, c’est un problème de mentalité, tant qu’il n’y aura pas d’enseignement artistique à l’école les nigériens resteront réfractaires à l’art et à leurs artistes. Ils ne vont pas acheter parce qu’ils ne peuvent pas comprendre, même si tu leur donne gratuitement une œuvre ils n’en veulent pas. Je profite de cette occasion pour rappeler aux institutions de l’Etat qu’il y’a une loi qui a été voté pour qu’elles achètent un certain pourcentage d’œuvres nigériennes chaque année… Il y’a certains nigériens qui apprécient mais c’est une proportion infime de la population.
FOFO : Tu formes des jeunes ?
TOURE : Oui. Les peintres de ma génération on a eu la chance de bénéficier d’une solide formation au CCOG, c’était un projet financé par les Peace Corps mais dès qu’il s’est terminé l’Etat n’a pas pris le relai ce qui fait qu’il n’y a plus d’école d’arts pour les jeunes alors Ali Garba, Alichina et moi-même nous tentons de transmettre cet art aux jeunes artistes. Nous avons monté une association qui s’appelle Gamouart et qui œuvre pour le développement de la peinture nigérienne. Quand j’ai débuté dans la peinture personne ne me soutenait. Aujourd’hui grâce à la peinture je suis à l’aise et les gens me respectent, j’ai envie de transmettre ça.
FOFO : L’Etat vous soutient dans vos actions ?
TOURE : Avec le Ministère de la Culture c’est toujours compliqué… Par exemple pour le projet de l’Ecole des Arts, moi-même et de nombreuses autres personnes ressources dans ce domaine n’avons pas été contacté.
FOFO : Quels sont tes projets ?
TOURE : J’ai un projet dans le cœur depuis de nombreuses années : la création d’une résidence d’artistes à Tillabéry. C’est un projet qui demande beaucoup de moyens. Depuis 2008 j’ai acheté un terrain de 3000 m2 au bord du fleuve et j’ai commencé la clôture en matériaux définitifs. Je suis en train d’écrire le projet pour rechercher des financements.
Ca sera un espace où les artistes pourront venir créer et échanger leurs connaissances pour des projets individuels ou collectifs. Il y’aura des ateliers et une partie hébergement. J’aimerais à terme y instituer une grande rencontre des arts visuels tous les ans, ou tous les deux ans. Il n’y a pas de véritables opérateurs culturels dans ce pays. Ceux qui font ça le font pour le biseness, pour exploiter les artistes mais pas pour les appuyer dans leurs projets de créations. C’est pour cela que les artistes doivent encore aujourd’hui au Niger faire tout eux-mêmes pour espérer s’en sortir.our
vendredi 14 octobre 2011
Article publié le lundi 17 octobre 2011
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