Ahmadou Kourouma, né en 1928 dans un petit village du nord de la Côte d’Ivoire, a été longtemps considéré comme l’auteur d’un seul roman : Les soleils des indépendances. Ce roman, d’abord refusé par les éditeurs français, est publié en 1968 au Québec. Apprécié par la suite par ses premiers lecteurs pour son originalité, il est alors repris par les éditions du Seuil. Il est très vite devenu une œuvre majeure de la littérature africaine de langue africaine.
Il faut dire que l’écriture de Kourouma tranche nettement d’avec l’écriture « sage », parfois même très classique de la première génération des romanciers africains tels Cheickh Hamidou Kane, Sambène Ousmane, Mongo Beti, Camara Laye… La rupture stylistique était évidente. Kourouma a adopté une narration romanesque minée par les marques de l’oralité, par la présence quasi permanente de la langue malinké. La particularité de Ahmadou Kourouma est d’avoir introduit dans son récit des codes littéraires venus des genres oraux africains comme la généalogie ou l’épopée dynastique. Ajoutons que Kourouma a surtout pris le contre-pied de la vision positive de l’Afrique jusqu’alors donnée par certains romanciers africains : l’Afrique heureuse à travers l’Enfant Noir de Camara Laye, l’Afrique en lutte des romans militants de Sembène Ousmane…
Le roman « Les Soleils des indépendances » relate les événements sociaux survenus en Côte d’Ivoire à l’époque de la guerre froide. Kourouma dénonce avec un sang-froid ponctué de l’humour et de violence, les souffrances d’une Afrique ravagée par ses abus de pouvoir, ses abus économiques et sociaux, sa violence au quotidien. Avec « Allah n’est pas obligé », Ahmadou Kourouma stigmatise un fait d’actualité très grave : l’utilisation des enfants pour faire la guerre. On devient enfant-soldat pour « manger et égorger aussi », puisqu’on n’a personne au monde. A la violence de l’arrachement à la famille, succèdent irrémédiablement des actes de barbarie. C’est cet engrenage de la violence au quotidien que Kourouma dénonce ici. Le récit est rapporté par un enfant de 12 ans, Birahima devenu enfant-soldat, un « child-soldier » pendant les guerres tribales qui déchirent le Liberia et la Sierra Leone. Cet enfant « qui n’a plus personne sur terre, ni père, ni mère, ni frère ni sœur et qui est petit, un petit mignon dans un pays foutu et barbare où tout le monde s’égorge », est ici à la fois témoin et acteur d’une sauvagerie, une sauvagerie qu’il exprime par une parole intime, sans cesse traversée par l’ironie du… désespoir !
En rupture avec l’écriture classique, Kourouma « tord le cou » à la langue française en la « malinkisant » afin de mieux transcrire et dénoncer une réalité d’une violence difficilement soutenable malgré la présence quasi permanente d’un humour croustillant. Cette charge ironique qui traverse tout le récit, apparaît comme seul rempart à la souffrance et à l’horreur, comme unique revanche sur le désespoir et la fatalité.
Quant aux répétitions et jurons (Walahé ! A faforo, Gnamokodé…), ce sont les marques de la volonté de l’auteur de renforcer la rage de Birahima face à la cruauté et aux outrages subis et perpétrés. C’est aussi et surtout pour rendre le récit plus clair, plus compréhensible aux lecteurs, qu’ils soient Français, Africains ou d’ailleurs.
Depuis son roman « Allah n’est pas obligé » lauréat du prix Renaudot 2000, Ahmadou Kourouma s’est imposé comme l’un des auteurs le plus en vue de l’Afrique.
Il est aussi l’auteur de :
- Monné, Outrages et défis (1990)
- En attendant le vote des bêtes sauvages (1998).
Il est important d’ajouter que le titre de son dernier roman « Allah n’est pas obligé » est tiré d’une phrase prononcée par Bourahima lorsque ses amis et lui ont abandonné Kit, un autre enfant-soldat qui a sauté sur une mine, à la vindicte des villageois. « Et Allah n’est pas obligé, n’a pas besoin d’être juste dans toutes ses choses, dans toutes ses créations, dans tous ses actes ici bas » et d’ajouter : « Mo
Article publié le vendredi 21 janvier 2005
5866 lectures