: Le Calame : Le Conseil Constitutionnel vient de valider les résultats provisoires proclamés par votre institution, la CENI. Ils confirment la réélection du candidat Mohamed Cheikh Ghazouani. C’est un ouf de soulagement pour le président de la CENI que vous êtes ?
Dah Abdel Jelil : C’est un ouf pour tout le monde. L’élection présidentielle est en effet un évènement majeur qui préoccupe toute l’opinion. Le fait que le Conseil Constitutionnel ait, en l’absence de tout recours, validé les résultats que nous avons réunis est pour nous un grand motif de satisfaction.
- De l’avis des observateurs nationaux et internationaux, le scrutin présidentiel s’est déroulé dans des « conditions transparentes » alors qu’il a été, pour au moins deux candidats, marqué par la fraude à plusieurs niveaux. Comment avez-vous accueilli ces avis pour le moins contradictoires ?
- Les témoignages, élogieux en certains cas, des observateurs nationaux et internationaux est un autre motif de satisfaction que nous accueillons avec modestie et humilité. Certains d’entre eux, notamment les chancelleries occidentales et le système des Nations unies à Nouakchott, étaient en contact permanent avec nous pour suivre notre manière de gérer le processus électoral.
- Cette proclamation est le résultat d’un long processus électoral. Comment la CENI s’y est-elle prise pour piloter ce processus? De quels moyens dispose-t-elle pour accomplir sa mission ? Et quelles ont été les principales difficultés rencontrées au cours de ce scrutin ?
- La CENI a abordé l’élection présidentielle en tirant les leçons qu’imposaient son expérience de 2023. Les faiblesses constatées lors des législatives, régionales et municipales nous ont été d’un grand profit. Nous les avons évaluées lors des séminaires organisés en collaboration avec tous nos partenaires internes et externes. Nos difficultés étaient d’ordre objectif, d’abord : notamment l’immensité du territoire et l’obligation de rendre les résultats en 48 heures, la nécessité de recourir à des imprimeurs extérieurs dans le très court intervalle fixé entre la validation des candidatures et le jour du scrutin… Par contre, les moyens financiers ne nous ont pas manqués, grâce à l’assistance financière du gouvernement. C’est ici l’occasion de l’en remercier.
- Les résultats de la présidentielle ont été contestés par certains candidats de l’opposition qui ont accusé la CENI d'avoir roulé pour le candidat du pouvoir, d’être une « officine du ministère de l’Intérieur ». Que leur répondez-vous ?
- Vous évoquez des candidats qui auraient contesté les résultats. Je n’ai pas les mêmes informations que vous. Selon les informations de la CENI, le Conseil Constitutionnel, seul juge en matière, a déclaré n’avoir reçu, de la part des candidats, aucune contestation des résultats. Par contre, ce que nous avons appris, par la presse, est que trois candidats ont reconnus la conformité des résultats centralisés à leur niveau avec ceux publiés par la CENI, que trois autres ne se sont pas prononcés et que le septième, s’attendant, paraît-il, à un meilleur score selon ses pronostics, a exprimé sa déception par une contestation sans preuves des résultats publiés et du préjudice qu’il aurait éventuellement subi.
- La proclamation des résultats provisoires a été suivie par des contestations des partisans de divers candidats, aussi bien à Nouakchott qu’à l’intérieur du pays. Comment le président de la CENI a-t-il réagi à ces incidents qui ont entraîné la mort de quatre jeunes à Kaédi ?
- Ma réponse à cette question est l’expression d’un profond regret. Regret des pertes humaines enregistrées vis-à-vis desquelles la CENI présente ses condoléances attristées aux familles endeuillées ; sans oublier d’adresser ses souhaits de bonne guérison aux blessés ; regret ensuite que notre démocratie ne soit pas encore suffisamment mûre pour que les perdants assument leur échec.
- Dans une de vos déclarations précédant le scrutin, vous aviez tenu à rassurer les partis politiques de ce que la CENI resterait indépendante et assurerait la transparence de celui-ci. Le pari a-t-il été gagné ? Quelles dispositions avaient été prises pour assurer celle-ci ?
- Je pense honnêtement que la CENI est restée indépendante, à équidistance de tous les candidats. C’est ainsi que nous avons convenu, avec tous les candidats sans exception, une périodicité de rencontres pour écouter leurs doléances et régler les éventuels problèmes soulevés. C’est ainsi également que nous avons ouvert, avec les mêmes candidats, un groupe WhatsApp pour faciliter le contact. Au plan local, il avait été tenu compte de leurs avis pour le choix des présidents et membres des bureaux de vote, de même qu’ils ont bénéficié d’un traitement égal, quand il s’est agi d’apporter une aide en matière de transport de leurs représentants auprès de ces bureaux.
- Si je ne m’abuse, la CENI est le fruit d’un consensus entre les partis politiques représentés au Parlement. Quelle était l’ambiance entre eux au sein de l’institution? Comment les décisions sont-elles prises au sein de celle-ci ?
- Effectivement, l’actuelle CENI est le fruit d’un accord politique établi, en Septembre 2022, entre le gouvernement, d’une part, et les partis politiques, toutes sensibilités confondues, d’autre part. Ses membres appartiennent donc à des familles politiques différentes. J’apporte ici un témoignage qui ne risque pas d’être démenti : depuis sa fondation, le Comité directeur n’a cessé de constituer un groupe homogène et solidaire, animé d’un grand esprit de responsabilité et dépourvu de toute sensibilité partisane. Sans exception aucune, toutes ses décisions ont été jusqu’ici prises à l’unanimité. Il est souvent arrivé que des critiques émanant des partis politiques adressées à la CENI suscitent des réponses contradictoires de ceux qui étaient censés les représenter au sein de notre Comité.
- Au lendemain de sa réélection, le Président s’est dit ouvert au dialogue avec l’ensemble des acteurs politiques du pays. Arrivé second lors du scrutin, le candidat Biram Dah s’est lui-même dit disposé à dialoguer. Que vous inspirent ces sorties ?
- La CENI n’est pas directement concernée par ces différents messages mais elle souhaite vivement toute initiative, d’où qu’elle vienne, qui vise à apaiser le climat politique.
- L’élection présidentielle est intervenue une année après les élections locales. Laquelle des deux expériences aura été la plus difficile ? Quels enseignements tirez-vous de ces épreuves ?
- Les deux scrutins présentent plus de similitudes que de différences. Similitude quant à l’espace géographique où ils se sont déroulés, similitudes quant au nombre de bureaux de vote, aux effectifs nécessaires à la supervision de ces bureaux et aux questions relatives au dispatching du matériel électoral.
Propos recueillis par Dalay Lam
Article publié le lundi 5 août 2024
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