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Tribune libre
Entendons-nous d’emblée : l’onde de choc maghrébin dévalera inévitablement le désert sahélien, et viendra tôt ou tard s’échouer dans la forêt équatoriale qui cache encore sous ses immenses branchages ; des dictatures inamovibles, moyenâgeuses. C’est que, face à l’exaspération du peuple, qui subit dans sa chair, les affres imposées par le satrape d’Oyo, on se demande pourquoi jusqu’alors, la légendaire fureur du vaillant peuple congolais n’en a pas fait d’une bouchée de ce régime rétrograde ?En outre de ratiociner, beaucoup d’analystes politiques se perdent en conjectures quant aux exégèses à donner sur les mouvements d’exaspération sociale du Maghreb. C’est le temps du Maghreb. Dans une certaine mesure, l’Afrique francophone avait déjà connu sa révolution à la suite de la chute du mur de Berlin en 1989 et du discours de François Mitterrand de la Baule de 1990. Ces bouleversements avaient atteint son paroxysme avec la tenue des CNS dans certains pays, et s’étaient soldés soit par un changement radical avec enracinement des valeurs démocratiques (alternance démocratique, élections transparentes etc.. cas du Bénin et du Mali), soit par un véritable échec (retour de la dictature- cas du Congo). On s’en souvient. Contrairement aux pays d’Afrique subsaharienne, pour la plupart englués dans la nébuleuse Françafrique, les pays du Maghreb ont leur propre histoire, leur propre contexte politique, économique et social. Et gèrent de ce fait la crise à leur manière.Les évènements de la Tunisie - hypocentre de ce séisme social - ont pris tout le monde par surprise, y compris les Tunisiens eux-mêmes, étonnés de leur propre audace, de leur propre capacité à renverser un dictateur en place depuis plus de deux décennies. En réalité, ce régime schizophrénique contenait en son sein des subtiles fragilités. La relative bonne gestion économique avec une croissance régulière et une scolarisation exemplaire pour cette région du monde, étaient paradoxalement l’œuvre d’un régime policier et totalement corrompu ou le clan Ben Ali possédait toutes les richesses du pays.Les mêmes causes se retrouvent au Congo. En pire. Les Trabelsi en ont rêvé, les Sassou & Nguesso l’ont fait ! Tous les secteurs essentiels de l’économie sont en coupe réglée. Du secteur pétrolier (aval, sécurité, gestion etc..), en passant par les transports aériens, jusqu’à l’exploitation forestière ou l’audiovisuel, aucun secteur n’échappe au clan Sassou, comme si leur slogan était devenu : «nous pillons, non pour vivre, mais pour empêcher la grande masse de vivre !».Les similitudes s’arrêtent là. La jeunesse tunisienne, largement scolarisée, manie l’outil informatique comme sa langue maternelle, il a été le vecteur essentiel dans la mobilisation des acteurs anonymes et dans cristallisation de ses revendications. La vulgarisation de l’outil informatique au Congo reste encore au stade d’utopie. Seuls près de 0.2% des Congolais ont accès à Internet alors que la Tunisie a obtenu le prix du meilleur utilisateur d’Internet en Afrique avec 38 % de taux de pénétration (1). De même, la jeunesse congolaise, qui fit à l’origine des premières contestations qui avaient fragilisé l’autorité du pouvoir du parti unique dans les années 80, subit actuellement la stratégie des autorités, fondée sur la déstructuration délibérée du tissu éducatif, dans le but d’abrutir le citoyen pour qu’il n’ait plus les moyens intellectuels appropriés afin de mettre en lumière leur incompétence par une analyse des résultats des politiques engagées. Le démantèlement de l’Université de Brazzaville n’a jamais obéi à des contingences financières imposées par les Institutions Financières Internationales, il répond à des considérations d’ordre stratégique : anéantir ce pôle de contestation par excellence. La déscolarisation avancée du Pool n’est pas fortuite, elle procède d’une réelle volonté du pouvoir d’anéantir toute velléité contestataire, dont cette région a le secret, en privant les futures générations d’un accès à la connaissance. C’est de notoriété publique. La crise tunisienne puise sa source dans l’étouffement des libertés. Certes. Mais il me semble que la cause fondamentale qui transparaît, est le pillage des ressources nationales par une minorité déshumanisée. Dans la masse spoliée, émerge la jeunesse, qui crie son manque désespérant d’emploi, donc d’avenir. L’aspect central de cette quête chez les jeunes, vient d’apparaître éloquemment en Tunisie. Cette jeunesse délaissant la liberté si chèrement acquise, vient de se jeter à corps perdus dans les eaux de la Méditerranée, en direction de la si inhospitalière Europe, à la recherche d’emploi. Toute proportion gardée, l’œuvre d’Alexis de Tocqueville - ce brillant penseur politique français du XIXe - nous permet de comprendre la dimension de la torpeur dans laquelle est plongée notre jeunesse. Il avait en effet observé qu’une société se battait d’autant plus contre l’autorité que le niveau de satisfaction des besoins y était élevé. En d’autres termes, les revendications se font plus agressives qu’elles ont déjà été largement couronné de succès, et surtout l’espérance de conquérir des avantages toujours supérieurs ne paraît pas illusoire, ce qui suppose un acquis substantiel de prospérité et de liberté. Donc, le préjugé répandu selon lequel un détenteur de pouvoir devrait déguerpir sous prétexte que ses sujets sont mécontents, meurent de faim ou de maladies, est une élucubration fantasque dont l’histoire humaine atteste de la triste rareté. La capacité de survie d’un système dictatorial ne dépend donc pas de son aptitude à satisfaire les besoins de ses membres, mais peut on être tenté de dire, de l’intensité du mépris à l’égard de son peuple. Un système devient d’autant plus périssable qu’il résout davantage de problèmes, et sa longévité d’autant plus assurée qu’il en résout moins. Le Colonel KADHAFI en sait quelque chose. Ce dictateur qui a réussi l’exploit de fertiliser le désert, de loger les jeunes diplômés, et même d’avoir mis un terme à une monarchie dont l’occident se servait pour piller les richesses de la Libye à moindre frais, est aujourd’hui traqué comme un malpropre.Fort de cette réalité, le pouvoir de Brazzaville a donné des consignes claires à ses sbires en lâchant du lest au niveau des services de douane par exemple. Moins de tracasseries. Ne donner aucun prétexte à un éventuel Mohamed BOUAZIZI congolais. Ils redoutent la survenance d’un évènement rapide et implacable. Comme en Juillet 2008 lors des obsèques de J.P Thystère Tchikaya, le vent qui risque d’emporter ce régime ne viendra pas des partis marionnettes du pouvoir. Mais de la rue, dont le réveil a toujours fulgurant.Aucun pays n’est vacciné contre un soulèvement populaire, surtout si les gouvernants foulent aux pieds toute règle de bonne gouvernance, notamment les libertés fondamentales, et prive ses populations de moyens pour une vie décente. Les arcanes de l’histoire sont jonchés d’innombrables dictatures, même les plus féroces ont été finalement vaincues par la volonté populaire. Aucune armée ne peut garantir à un dictateur quel qu’il soit, de ne pas subir le sort inéluctable qui leur est réservé à eux tous, un jour prochain. A bon entendeur salut !(1) Internet World StatsDjess dia Moungouansi
« La plume libre au service du peuple » Membre du Cercle de Réflexion « LA RUPTURE »Le Blog de Djesshttp://demainlecongo.kazeo.com/
Article publié le samedi 28 mai 2011
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