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LETTRE OUVERTE DU POLITOLOGUE JUSTE CODJO AUX HONORABLES DÉPUTÉS | L'Autre Fraternité

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Manhattan, le 20 mars 2017.

Juste Codjo Politologue Kansas State University Manhattan, KS, USA Email : justecodjo@gmail.com

Lettre Ouverte A L’Assemblée Nationale

Chers Honorables Députés,

Par la lettre N˚ 0373/PR/SGG/SP-CC du 15 mars 2017, le gouvernement a transmis à votre auguste institution le projet de loi portant modification de la constitution du 11 décembre 1990 et sollicité son examen en « session extraordinaire et en procédure d’urgence ». En ma double qualité de citoyen béninois, préoccupé du bien-être de notre société commune, et d’enseignant chercheur en sciences politiques, possédant une expertise sur les questions des institutions politiques, je voudrais partager avec vous mes réflexions au sujet des propositions contenues dans ledit projet de loi.

Avant de vous faire part de mon analyse, je voudrais d’abord insister sur les motivations qui sous-tendent ma démarche. Je suis père d’un garçon, qui d’ailleurs célèbre son 11e anniversaire en ce jour, 20 mars 2017, où je vous écris. A cet âge, il ne peut certes pas influencer le cours des décisions relatives aux réformes proposées mais il est évident qu’il en subira les conséquences, surtout au cours de sa vie d’adulte. En tant que père, je fais donc mien le devoir, au risque d’être exposé à d’éventuelles représailles, d’apporter en son nom ma pierre à la construction de cet édifice qui l’abritera. C’est cela qui motive mon implication dans le débat des réformes institutionnelles. D’ailleurs, mes premières sorties publiques dans ce sens remontent au mois d’avril 2016, bien avant la mise en place d’une commission technique sur le sujet. Bien que n’ayant pas été associé aux travaux de cette commission, je lui ai néanmoins fait parvenir une lettre et une copie de mon livre « Consencratie » contenant mes réflexions et mes propositions de réformes. La présente lettre s’inscrit aussi dans cette même logique.

A la lecture du projet qui vous a été soumis, je ne peux m’empêcher de conclure qu’il s’agit d’une œuvre ambitieuse mais largement perfectible au regard des objectifs qui ont conduit à son initiation. Contrairement aux dispositions constitutionnelles actuelles, le projet est guidé par une approche systémique. Ceci est salutaire et est d’ailleurs en phase avec l’approche que j’ai prônée dans les réflexions contenues dans mon livre “Consencratie” paru en mai 2016. Toutefois, en examinant le fond du présent projet, il est un constat que les modifications proposées ne concourraient pas nécessairement à réduire « la surpuissance nuisible » du Président de la République, ni à renforcer le parlement et le système partisan dans le sens souhaité, encore moins à assurer l’indépendance de l’administration publique vis-à-vis du politique. Il est même à craindre que certaines des dispositions envisagées ne fragilisent l’unité nationale à moyen et long termes.

Par rapport à l’objectif visant à la réduction de la « surpuissance nuisible du Président de la République », il faut noter que les nouvelles dispositions ôtent au Président les prérogatives de désignation des membres et responsables de certains organes clés tels que la Cour Constitutionnelle, la Cour Suprême et la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication. Il s’agit là d’une démarche louable. Mais malheureusement le président conserve d’autres prérogatives importantes dont il peut toujours user pour indirectement contrôler la désignation des membres de ces organes publics majeurs.

En outre, les modes de désignation proposés produiraient d’autres effets néfastes. Par exemple, au regard des nouvelles dispositions, toute personne privée, qu’elle soit physique ou morale, de nationalité béninoise ou étrangère, a la possibilité de contrôler la justice béninoise si elle détient des moyens de pression suffisants (financiers ou autres) pour influencer le choix de ceux qui sont munis du pouvoir de sélection des membres des organes judiciaires. On peut donc en déduire que l’Etat béninois se dessaisit du contrôle sur l’administration judiciaire, le socle de l’ordre public dans toute société, au profit d’autres acteurs dont nous ne maitrisons l’identité et les motivations. Pour mieux cerner cet aspect, je voudrais respectueusement vous demander de vous référer au cas des dysfonctionnements récurrents au sein de la Fédération Béninoise de Football dont la sélection des membres échappe à tout contrôle étatique.

Un autre aspect du projet qui mérite une attention particulière est celui du renforcement du parlement et du système partisan. L’article 81 nouveau prévoit que « seules les listes ayant recueilli un minimum de 10% des suffrages exprimés au niveau national seront admises à l’attribution de sièges. » J’ai souligné le mot liste qui est ici capital. Cet article implique, s’il est adopté en l’état, que le parlement ne compterait que 10 listes. Ceci est louable. Toutefois, sans savoir ce que le mot liste indique, il est difficile de prédire le nombre de partis politiques qui seraient représentés au parlement.

En attendant des précisions sur le contenu du terme liste, l’on peut néanmoins anticiper et faire des prédictions sur la base de deux éventualités. La première: si seuls les partis politiques sont autorisés à présenter des listes en vue des élections législatives, le nombre de partis représentés au parlement serait de 10 au maximum. Par contre, ce nombre pourrait être beaucoup plus élevé si la loi électorale actuelle reste inchangée et continue d’admettre les listes émanant des alliances de partis. Dans l’hypothèse de 5 alliances composées de 10 partis chacune par exemple, 50 partis seraient donc représentés au parlement. En outre, il faudrait garder à l’esprit qu’une fois au parlement, ces partis ne seraient en rien contraints de rester fidèles à la coalition qui les a portés au pouvoir. Il apparait donc que l’article 81 nouveau, contrairement à ce qu’indique le projet de loi dans son exposé des motifs, n’est pas un moyen suffisamment efficace pour « renforcer l’homogénéité et la représentativité des forces politiques au sein du parlement. »

Par ailleurs, le projet introduit une innovation salutaire sous la forme du financement des partis politiques. Dans ce sens, l’article 5 nouveau prévoit l’octroi d’un financement public au profit des partis politiques ayant obtenu au minimum 1/5 des sièges dans au moins 1/5 des circonscriptions électorales. Dans les contextes sociologique et institutionnel actuels, ces dispositions accentueraient davantage, à moyen et long termes, l’ethno-régionalisation des partis politiques. A titre d’exemple, un parti politique qui arrive à conquérir la fidélité d’un électorat dans 2 départements (Ouémé et Plateau par exemple) en plus d’une circonscription de Cotonou, une ville plutôt cosmopolite, pourrait bénéficier du financement public et ne verrait donc aucune incitation à étendre son assise électorale à d’autres départements. A moyen et long termes, ceci constituerait une menace pour l’unité nationale.

Le dernier aspect du projet qui captive l’attention est celui de l’instauration du mandat unique quant à l’exercice des fonctions de Président de la République. Il est regrettable que depuis l’annonce de cette proposition lors des élections présidentielles de mars 2016 aucun document écrit n’ait été publié pour éclairer l’opinion publique sur le bien-fondé d’une telle institution. Une réforme relative au mandat présidentiel est suffisamment importante pour n’être appréciée qu’au regard d’opinions défendues dans les médias.

En effet, pour un débat judicieux, il faut au préalable avoir formulé des réponses élaborées, soutenues par des preuves empiriques, par rapport aux questions suivantes. Puisque la plupart des pays du monde ont institué le mandat renouvelable, en quoi le double mandat constitue-t-il un frein à la bonne gouvernance du Président de la République dans le contexte béninois? Comment l’instauration du mandat unique améliorerait-elle, mieux que ne le fait le double mandat, ladite gouvernance? Mais en l’absence d’arguments écrits justifiant de sa pertinence, je puis néanmoins prédire que l’adoption du mandat unique, dans les contextes sociologique et institutionnel actuels, hypothèquerait la bonne gouvernance, surtout en raison de l’admissibilité de candidatures indépendantes quant à l’élection du Président de la République.

Voilà, chers Honorables Députés, un résumé de ce que m’inspire le projet de loi qui vous a été soumis. Il vous échoit à présent la responsabilité de décider s’il faut l’adopter en l’état, en session extraordinaire ou non, et en procédure d’urgence ou non. Il vous appartient de décider si les dispositions dudit projet amélioreraient la qualité de la gouvernance mieux que ne le feraient les institutions actuelles ou les alternatives qui ont été proposées ailleurs.

Pour ma part, j’ai consacré des mois à produire des solutions alternatives qui sont consignées dans le livre « Consencratie » dont j’ai d’ailleurs fait distribuer des copies aux plus hautes personnalités sociopolitiques de notre pays, y compris les membres du bureau de votre auguste institution ainsi que ceux de la commission des lois. J’espère que vous prendrez la peine et le temps, loin des bruits de la rue et des réseaux sociaux, de vous en inspirer pour évaluer en profondeur le projet à vous transmis.

Pour finir, je voudrais vous rassurer que le contenu de la présente lettre ouverte n’engage que ma modeste personne. Je trouve important d’apporter cette précision parce que, quoiqu’étant à l’extérieur du territoire en ce moment, je suis un officier supérieur des Forces Armées Béninoises. En tant que membre de cette noble institution soumise à la neutralité politique, je ne souhaite point que ma démarche lui soit imputée, ni de près ni de loin. Je réaffirme ici ma disponibilité à assumer la pleine responsabilité de ma démarche, qui je l’espère, concourra à améliorer la destinée de notre pays commun.

Face à la polémique suscitée par le projet que vous avez en face de vous, la seule certitude du moment est celle-ci : indépendamment des contraintes et des contingences qui pèsent sur vous en ce moment, votre décision aura des conséquences, glorieuses ou alarmantes, sur l’avenir de notre pays. Votre principale tâche aujourd’hui est donc d’anticiper et d’identifier, malgré la bonne intention des initiateurs des nouvelles dispositions, les effets néfastes qu’elles pourraient induire à moyen et long termes. Et c’est justement dans ce sens que s’inscrit ma démarche. Dans l’espoir que votre décision contribuera au progrès de notre pays, veuillez agréer, mesdames et messieurs les Députés, l’expression de mon inaliénable sens de patriotisme et d’adhésion entière aux valeurs démocratiques de notre pays.

*Juste Codjo*

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Article publié le mercredi 5 avril 2017
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