Ma fête du Guéréwol – septembre
2005
Me voici en route pour assister une nouvelle fois à la fête des Peuls Wodaabe ou
Bororo,
le Guéréwol. Elle a lieu cette année à Foudouk, à une centaine de kilomètres
d’Agadez.
La route est longue et monotone depuis Niamey.
Nous arrivons en fin d’après midi dans un vaste espace de savane arbustive. Des
camions chargés de Bororo affluent. Quelques touristes ont déjà installé leurs
tentes à proximité.
Dans la lumière dorée de cette fin d’après-midi, nous apercevons au loin, un
groupe d’hommes qui dansent et chantent. De l’autre côté, des groupes de femmes
chantent en tapant dans leurs mains. De longs étalages de calebasses s’alignent
à perte de vue. Les femmes exposent fièrement leurs calebasses décorées, leurs
kaakol et elletel (calebasses entourées de fibres végétales et décorées de clous
argentés), qui constituent toute leur richesse et contribuent à leur prestige.
Elles passent en revue les plus beaux étalages et les loueront en chantant et en
dansant.
On nous dit d’aller voir les danseurs se maquiller. On ne sait par où commencer…
Des jeunes filles viennent vers nous, elles sont charmantes, et le plaisir de se
rencontrer a l’air réciproque.
On ne sait plus où donner de la tête, tant le spectacle est partout, et les gens
bienveillants. Tout ce petit monde est là finalement, pour se faire admirer et
pour une grande fête de la séduction.
Des campements de fortune sont installés dans tous les coins. Certains resteront
plusieurs jours. C’est le temps des retrouvailles pour tous ces nomades.
Sous les acacias, un groupe de danseurs se maquille, s’enturbanne et se pare
avec soin. Ils éclaircissent leur peau avec une couleur jaune pâle, noircissent
leurs lèvres avec de la cendre et leurs paupières avec du khôl pour faire
ressortir la blancheur de leurs dents et de leurs yeux. Les jeunes filles ont
passé des mois à broder les tuniques qu’ils portent sur une sorte de jupe en
peau. Chaque motif brodé a un nom et une histoire.
Enfin, nous nous dirigeons vers les danseurs. Ils sont grands et très
longilignes. Des cercles se constituent en plusieurs endroits. Le chant commence
par une note profonde lancée par un soliste, que les autres chanteurs
reprennent. Les basses et les aigus se superposent. Puis la danse commence. Les
danseurs se soulèvent sur la pointe des pieds en balançant avec grâce les bras
en avant. En même temps, ils écarquillent les yeux et exhibent la blancheur de
leurs dents par des sourires exagérés. Puis, ils claquent des mains et partent
dans des mélopées entêtantes.
Des femmes âgées honorent un interprète en criant et en lui frappant le torse de
la tête pour l’encourager. Ils vont danser ainsi, des heures durant, en pleine
chaleur, avec leurs chants obsédants.
Quelques hommes juchés sur des chameaux, admirent le spectacle. De temps en
temps, ils lancent leur chameau dans une course effrénée.
A la nuit tombée, nous retournons voir les danseurs. Il fait nuit noire. Nous
estimons incongru d’allumer nos lampes de poche. Le lendemain, des néons seront
installés, mais ils préféreront s’en tenir éloignés. Autour des danseurs, des
jeunes hommes et jeunes filles déambulent bras dessus, bras dessous. On dirait
que ça drague ! Tout cela semble très libre…Derrière moi, quelqu’un me prend la
taille…Je n’ose pas me retourner ! Des jeunes filles me caressent les bras, la
joue. Elles sont très intriguées par mon ensemble pantalon brodé des motifs
bororo traditionnels (brodé par une amie Bororo, Deila) et peut-être par la
couleur de ma peau.
Il parait que les hommes volaient à leur mari, la femme qui leur plaisait (avec
son consentement). Je ne sais pas si cela se fait encore…
Les chants résonneront jusqu’à 3 heures du matin.
Le lendemain, nous passerons la journée parmi eux, on nous invite à prendre le
thé. La vie quotidienne s’organise. Ici, on pile le mil, là on cuisine, ailleurs
on lave les enfants. Visiblement, il y a un problème d’eau, des camions citerne
arrivent, c’est la queue pour s’approvisionner.
La nuit suivante, ils chanteront et danseront jusqu’à 7 heures du matin. Je me
réveille à 4 heures et les écoute. Que c’est beau, ces mélopées au rythme
entêtant et hypnotique qui résonnent dans le silence de la nuit. J’ai envie
d’aller voir…mais, je n’ai pas le courage de me lever…
Mais vient le temps des adieux à mes correspondants bororos qui m’avaient
avertie de la date de ces fêtes depuis plusieurs mois…Nous espérons nous revoir…
Sur la route, nous rencontrons des groupes de nomades en transhumance avec leurs
troupeaux. Ils transportent tout avec eux, armatures de cases, calebasses,
outres…Quel dénuement ! Nous, qui accumulons tant !
Il y a plus de 5000 ans, s’installa dans ces régions, un peuple de pasteurs
nomades, les Peuls, qui proviendrait d’Afrique orientale du nord ou du
Moyen-Orient. J’admire ces peuples qui offrent ces dernières poches de
résistance à une acculturation et une sédentarisation progressive plus ou moins
inévitable à long terme. Cette fascination doit remonter à l’époque de nos
lointaines origines où nous étions tous des nomades ! Mais pour combien de temps
encore ?
« S’adapter ou disparaître est souvent le choix auquel est confronté tout
peuple. L’homme est devenu le plus dangereux prédateur de l’homme. Des peuples,
des civilisations entières ont disparu, victimes du choc de la rencontre avec le
monde occidental. » *
* Les peuples premiers, des mémoires en danger – Jérome Bimbenet (Larousse)
Danièle Luyckx