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Bali Nébié, écrivain : « Au village, il arrive que les autorités coutumières brûlent des fétiches »

Publié le mercredi 5 mai 2021 par sdiop

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L’incinération de fétiches à la paroisse de Gounghin à Ouagadougou a entraîné une polémique sur les réseaux sociaux à propos du traitement réservé aux objets de culte des religions traditionnelles. Nous avons approché Bali Nébié, auteur de plusieurs ouvrages sur les religions traditionnelles, la sorcellerie, les fétiches, pour avoir sa compréhension.

Vous avez écrit plusieurs ouvrages sur les questions de sorcellerie en Afrique ; pouvez-vous nous rappeler les principales thèses que vous défendez sur ces questions ?

Merci pour l’occasion que vous m’offrez encore une fois de plus de partager avec les internautes mes opinions sur la sorcellerie en Afrique. Les principales thèses défendues dans mes trois ouvrages sont :

Premièrement, l’idée que la population se fait du sorcier est complètement erronée. Personne n’est friand de la chair humaine ; personne n’est doué d’un quelconque pouvoir surnaturel lui permettant par exemple de voler comme un oiseau, de se volatiliser à volonté, de se transformer en un animal ou en tourbillon, d’exercer un contrôle sur le vent ou la foudre, etc. Une telle perception du sorcier est de la pure fiction.

Par contre, le sorcier perçu comme étant une personne qui a accepté d’adhérer à une organisation clandestine de son village (ou société secrète) dont l’ambition est d’exercer une influence sur la vie sociale, religieuse et politique de la communauté, est une réalité. Une telle organisation encore appelée confrérie dont le fonctionnement est régi par des lois rigides et sévères, se donne pour mission de défendre la tradition et d’instaurer l’ordre, la discipline et la justice au sein de la communauté. Les moyens qu’utilise la confrérie pour atteindre ses objectifs sont principalement la mystification, la peur et la terreur.

La confrérie est ce qu’on pourrait appeler de nos jours la police des mœurs. C’était les confréries qui faisaient régner l’ordre et la discipline dans nos villages. Pour jouer efficacement leur rôle, les sorciers ont mis en œuvre la stratégie suivante : faire croire aux membres de la communauté que les sorciers sont des personnes aux grands pouvoirs surnaturels illimités et que personne ne peut leur échapper. Les sorciers existaient bel et bien et formaient les confréries des sorciers. Ces confréries constituaient un des piliers importants de nos traditions.

Partant de cette définition du sorcier, par rapport à la question récurrente sur l’existence de la sorcellerie, je pourrais dire ceci : la sorcellerie est comparable à un épouvantail des champs confectionné pour éloigner les oiseaux granivores pendant la période des semis. Pour les oiseaux granivores comme les francolins, l’épouvantail est un être humain et par conséquent un danger potentiel pour eux. Par contre, pour celui qui a confectionné l’épouvantail, cet « homme » n’est qu’un mannequin fait de branchage habillé de haillons et d’un chapeau en paille. L’épouvantail (la sorcellerie) n’est pas une vue de l’esprit ; la perception qu’on en fait est variable selon qu’on est à la place des oiseaux granivores (population) ou à celle de la personne qui l’a confectionné (le sorcier)

Deuxièmement, il n’y a que des sorciers en Afrique noire. Les confréries ne sont animées que par des hommes parce que les conditions d’adhésion à ces confréries et les types d’activités qu’elles mènent excluent les femmes. Le concept de sorcière nous a été apporté par des religions étrangères. En Europe par exemple, il était plutôt question de sorcières et rarement de sorciers.

Troisièmement, Nous croyons presque tous à la sorcellerie en Afrique parce que, grâce à un système éducatif bien conçu par la classe dirigeante avec l’appui des confréries, nous avons été formatés dès notre naissance par l’environnement familial et la société entière pour intérioriser ces croyances. Elles sont incrustées dans nos subconscients si bien que nous éprouvons beaucoup de difficulté pour nous en défaire.

Quatrièmement, en Afrique, ces croyances à la sorcellerie ont des impacts négatifs multiples aux niveaux individuel, collectif et national au point qu’elles constituent un obstacle majeur au développement social, économique et politique de nos nations.

Cinquièmement, les principales causes de ce facteur limitant du développement d’une nation qu’est la croyance à la sorcellerie étant la pauvreté et l’ignorance, on peut l’éradiquer par :
- l’instauration d’un système éducatif approprié à la portée des populations ;
- l’amélioration des conditions de vie des populations ;
- l’application avec rigueur de la loi à tous les acteurs impliqués dans l’accusation en cas de procès en sorcellerie (devins, féticheurs, porteurs de dépouilles mortelles, chefs coutumiers , etc.)

Nous assistons à une polémique ces jours-ci sur la notion de fétiches ; dans les religions traditionnelles, qu´est-ce qu’un fétiche ?

Selon le dictionnaire Larousse : ”Le fétiche est un objet culturel auquel sont attribuées des propriétés surnaturelles bénéfiques pour son possesseur”.
Je ne maitrise pas les aspects ethnologiques, philosophiques et anthropologiques du mot “fétiche”. Par contre, je peux, à partir des connaissances que j’ai des traditions en pays gourounsi, apporter un éclairage aux internautes. Je pense que les internautes originaires des villages africains qui n’ont pas subi beaucoup d’influences des religions étrangères se retrouveront aisément.

Les Gourounsis font la différence entre Divinités et fétiches. Les divinités sont communautaires alors que les fétiches sont personnels. Exemples : les trois divinités présentes dans tout village qui a gardé ses traditions sont : Tia (divinité-Terre) Yaali (divinité-forge ou divinité de réconciliation), Siou (divinité du masque). Il en existe d’autres en fonction de l’environnement du village. Une montagne, une rivière, un arbre, etc. peuvent présenter des divinités.

Ces divinités, bien qu’elles soient sous la responsabilité de lignages, appartiennent à la communauté entière. Elles sont symbolisées par des objets (galet, fragment de fer, statuette en bois ou en argile cuite, etc.). Ces objets sont gardés à des endroits protégés qui sont des autels sur lesquels des sacrifices sont faits. Outre leurs rôles de protection des membres des communautés contre tout malheur, de renforcement de la cohésion sociale et de sollicitation de pluies abondantes, ces divinités sont à l’origine de la procréation. Ainsi presque tous les prénoms des enfants sont liés à elles. Exemples : Béli, Bali, Kéli sont des dons de la divinité « Yaali » ; Batian, Betia, Katian, de la divinité « Tia », etc.

Tout sacrifice sur une divinité est officiel et mobilise toujours des membres de la communauté. Les vœux de l’individu ou de la famille ou même de la communauté entière sont énoncés à haute et intelligible voix à l’attention des participants. Les types de sollicitudes sont : la santé, la réussite dans la réalisation des projets, la fécondité, la protection contre les mauvais sorts, la promotion, les pluies abondantes, etc. Jamais on ne demandera à la divinité de tuer ou de rendre malade un concurrent ou un ennemi. De telles intentions sont absolument proscrites.

Le fétiche quelles que soient sa taille et sa forme a un caractère personnel. Il peut devenir familial. Tout homme qui désire acquérir un fétiche pour ses propres besoins, a l’obligation d’informer le chef de famille. S’il s’agit d’un fétiche dont les attributs dépassent le cadre familial, il doit demander une autorisation spéciale au chef de terre. Ce dernier réunit alors les notables pour apprécier la demande.

Tant que le fétiche a pour rôle de contribuer au bien-être d’un individu ou des membres d’une famille, il est accepté car il renforce les actions des divinités. Si ses attributs sont en contradiction avec la mission des divinités, l’autorisation sera refusée. Exemples de fétiches : le « nebela » , confectionné à partir d’une queue d’âne, de hyène ou de tout autre animal reconnu mystique ; le « lambwa », de forme circulaire orné de cauris ; d’autres fétiches sont représentés par des canaris en argile cuite avec des couvercles, des objets hétéroclites de petite ou de grande taille, etc.
Le « djandjou » est un fétiche qui a été importé d’un autre pays. Il était connu chez les Nouna ; son possesseur a réalisé la prouesse de supplanter les divinités locales avec son fétiche.

Les fétiches sont hautement spécialisés : il y a des fétiches pour la chasse, la pêche, la production agricole, l’élevage, la guerre, le commerce, la lutte, le succès auprès de la gente féminine, etc. De nos jours, les fétiches sont créés en fonction des besoins des membres de la société. Les détenteurs de ces objets, de façon générale, prétendent les avoir reçus des génies de la brousse. Ces propriétaires ont aussi de petits autels implantés dans leur case. Cependant, il faut retenir que les rites et les invocations qui accompagnent un sacrifice effectué sur l’autel d’une divinité sont différents de ceux auxquels fait appel le féticheur. Une autre spécificité du fétiche : tout adhérent porte sur lui de façon permanente un objet symbolisant le fétiche. Ce symbole peut être une bague, un bracelet, une ceinture, etc.

Il arrive souvent que les autorités coutumières estiment que le féticheur ne respecte pas ses engagements par rapport aux attributs de son fétiche. Si elles jugent qu’il porte atteinte à la cohésion sociale, elles le convoquent à la place publique, et font brûler son fétiche.

Vous voyez donc qu’au village, il arrive que les autorités coutumières brûlent des fétiches. C’est une pratique courante. Dès qu’un homme est accusé de sorcellerie, les prêtres du « Tia » vont ramasser tous ses fétiches et les brûlent à la place publique. L’acte en tant que tel ne constitue nullement une violation de nos traditions. J’insiste sur le fait que le fétiche est personnel. Toute personne qui désire se débarrasser de son fétiche pour une raison ou une autre, n’a de compte à rendre qu’au dépositaire des secrets de la souche du fétiche. Par contre, saccager les autels des divinités est une atteinte grave aux traditions. Je pense que les dernières polémiques sur des fétiches brûlés dans une église de Ouagadougou s’expliquent par l’ignorance de nos traditions à moins que derrière ce geste ne se cachent d’autres intentions inavouées.

Y a-t-il de bons fétiches et de mauvais fétiches ?

On apprécie le fétiche par rapport à ses attributs (pouvoirs) supposés d’une part et aux conditions exigées pour manifester sa « puissance » d’autre part. Un fétiche qui exige des sacrifices de vies humaines est rejeté par la société quels que soient ses pouvoirs. Tout fétiche qui est à l’origine des conflits sociaux ou des malheurs de personnes cibles est condamné par la société. Par contre, les fétiches dits de la fécondité, ceux qui protègent les familles contre les malheurs et ceux qui donnent des récoltes abondantes sont beaucoup recherchés par les membres de la communauté.

Vous croyez donc aux pouvoirs surnaturels des fétiches ?

(Rires !) Pour moi, le pouvoir de tout fétiche correspond au pouvoir que lui attribue la personne qui y croit. Autrement dit, si l’on donne le même fétiche à une autre personne qui ne croit pas à ses pouvoirs, il ne sera rien d’autre qu’un objet comme n’importe quel objet. C’est une question de force de croyance et de conviction. Un fétiche utilisé à bon escient peut constituer une puissante source de programmation positive du subconscient de la personne qui croit à ses pouvoirs.

Prenons l’exemple du fétiche qui aurait le pouvoir de faire réussir les élèves à l’examen du BEPC : le candidat sur lequel un tel fétiche peut avoir un effet positif doit répondre à ces deux critères : avoir obtenu au moins la moyenne de passage en classe de 3è d’une part et avoir le désir de réussir au BEPC d’autre part. Le fétiche aura pour rôle de créer et de maintenir chez le candidat la conviction soutenue qu’il réussira à son examen. Ainsi sera programmé son subconscient qui se chargera de trouver les voies et moyens pour stimuler mentalement et physiquement l’organisme du candidat afin de le conduire au succès. Il en est de même pour le fétiche représenté par une poupée dans le corps de laquelle sont enfoncées de longues épines : le féticheur fait en sorte que la personne cible soit informée du sortilège. Si cette dernière croit avec force aux effets du sortilège, son subconscient les programmera et son organisme réagira en secrétant des substances pour s’autodétruire.
Je me résume : l’objet (fétiche) que vous tenez entre les mains ou le canari couvert de plumes sur lequel vous immolez un poulet n’a aucun pouvoir propre à lui. Son pouvoir réside dans la tête de celui qui croit profondément que l’objet a un pouvoir.

Comment distinguer les gris-gris des fétiches ?

Je pense que les deux mots sont synonymes par leurs fonctions sauf que le mot “gri-gri” semble avoir une connotation africaine et fait plutôt référence aux symboles des fétiches que portent les adeptes (bagues, bracelets, etc.).

Un individu peut-il impunément décider de se débarrasser des fétiches de sa famille ?

Je ne pense pas qu’un tel comportement soit démocratique (Rires !). Chacun de nous est libre d’avoir ses opinions et ses croyances religieuses. Je crois que c’est inscrit dans la constitution. Le Burkina Faso est un pays laïc. De tels comportements relèvent de l’extrémisme religieux. Malheureusement, lorsqu’un individu atteint ce stade, il devient tellement borné qu’il est impossible de le raisonner. A mon avis, une plainte doit être déposée contre lui parce qu’il constitue un obstacle à l’épanouissement des autres membres de la famille.

Les fétiches sont-ils des réalités propres aux religions traditionnelles africaines ?

Dans la religion traditionnelle, les fétiches sont tolérés mais, ils sont sous le contrôle strict des confréries des sorciers qui sont, comme je l’ai dit plus haut, les polices des mœurs. A ma connaissance, l’Islam et le Christianisme ne nient pas la réalité des pouvoirs des fétiches. Par contre, ils attribuent ces pouvoirs à Satan. Mais cela n’empêche pas des adeptes de ces religions de s’adonner à des pratiques fétichistes. Le mot “marabout” qui désignait un grand érudit en connaissances des textes de l’Islam est aujourd’hui synonyme de “charlatan”. Chez les chrétiens le culte des reliques est loin d’être partagé par tous.

Le christianisme et l´islam interdisent généralement le recours aux fétiches ; comment comprenez-vous cela ?

C’est tout à fait logique. Je viens de dire que pour ces religions, les pouvoirs surnaturels attribués aux fétiches sont des œuvres de Satan. Vous comprenez donc qu’ils ne puissent accepter que leurs fidèles se réfèrent à l’ennemi de Dieu.

Ces religions peuvent-elles cohabiter avec des fétiches ?

La réponse est évidente ! Cohabiter avec le diable, c’est se renier soi-même ! Par contre, ces deux religions peuvent bien cohabiter avec notre tradition pour peu que leurs responsables cherchent à la connaitre pour la comprendre . Si des efforts notables sont faits par certaines de ces religions dans ce sens, d’autres par contre ont gardé intacts les clichés que les pionniers de ces religions étrangères ont véhiculés sur notre tradition. Ils ont confondu à dessein nos divinités et les fétiches. C’est de bonne guerre. Quand des envahisseurs arrivent sur un continent en vue de s’y installer, leur premier objectif a toujours été de détruire la religion des autochtones afin d’implanter la leur. C’est le meilleur moyen d’imposer sa culture et son idéologie aux autres peuples.

Interview réalisée par Lefaso.net

Bali NEBIE est professeur certifié des Sciences de la Vie et de la Terre (SVT) à la retraite et écrivain. Il est Chevalier de l’Ordre national du Burkina Faso.
Contacts : +22666158655 ; bedoa@gmx.fr
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