Ghislaine Sathoud
Connaissez-vous l’impératrice de la chanson congolaise ? Vous souvenez-vous de la chanteuse Mamie Claudia ? En ce qui me concerne, je ne l’oublierai jamais.
Le Mois de l’histoire des noirs est l’occasion propice pour valoriser les réalisations des ressortissants de la communauté noire. Dans le cadre de ces festivités, j’ai choisi d’honorer une artiste congolaise. Les femmes sont les grandes oubliées de l’histoire, il faut donc les soutenir.
Cela dit, j’apprécie tout autant les chanteuses de chez nous que leurs collègues masculins…
On pourrait dresser une longue liste pour énumérer les noms des femmes noires exceptionnelles.
Cependant, je veux rendre un hommage particulier à une compatriote qui s’est distinguée dans son domaine. Mamie Claudia, ce nom vous dit peut-être quelque chose ? C’est à travers sa musique, notamment les clips diffusés régulièrement sur la chaîne de télévision nationale que je fis la connaissance de cette diva. En effet, la télévision congolaise nous bombardait souvent l’image de notre vedette. Cette popularité était due au fait que la charmante chanteuse défendait valablement les couleurs musicales de notre patrie dans son pays de résidence : la Côte-d’Ivoire.
J’étais conquise !
Peu à peu, toutes sortes d’idées commencèrent à tourmenter mes méninges. Ainsi naquirent des rêves, des rêves puissants et bouleversants m’envahirent : j’eus une envie pressante de la rencontrer, de lui serrer la pince et de la découvrir davantage. J’y pensais fortement et je confiais mes préoccupations à qui voulait m’entendre.
Et mes rêves se réalisèrent ! Un beau jour, pendant les vacances scolaires, vers dix heures du matin, une amie arriva chez moi, essoufflée après avoir vidé son énergie dans une course effrénée, pour me dire que « MA» chanteuse rôdait dans les parages, qu’elle venait de rentrer dans une maison située à quelques mètres de mon domicile. Je ne pouvais pas laisser passer cette opportunité. Nous nous dirigeâmes aussitôt vers le lieu où Mamie Claudia avait été aperçue.
Il faut dire que je n’avais pas d’attentes particulières, mon objectif était simplement d’extérioriser ces sentiments qui devenaient de plus en plus incontrôlables. Je voulais lui parler franchement. Sa réaction ? Je dois avouer que je n’y pensais même pas, c’était le cadet de mes soucis.
Je fus agréablement surprise ! Notre première « confrontation », qui se fit à Pointe-Noire, se passa bien. Après mon exposé dans lequel j’exprimais mon admiration pour son talent artistique, mon interlocutrice décida de pousser notre relation beaucoup plus loin que le simple cadre professionnel. Les actions s’enchaînèrent pour circonscrire cette nouvelle relation, à la grande joie de l’admiratrice qui se réjouissait de ce dénouement des plus inattendus.
Quelques instants après notre entretien, nous nous rendîmes chez moi. En fait, puisqu’elle retenir bien longtemps, nous avions convenu de rassurer mes parents. Mamie Claudia rassura ma mère en s’engageant de me ramener elle-même à la fin de la journée. Mes parents étaient très exigeants, j’avais peur d’essuyer un refus, comme c’était souvent le cas lorsque je voulais sortir avec mes amies. Remarquez que je reproduis la même chose avec mes enfants…
Bref, il faut dire que l’adulte qui m’accompagnait ne demandait pas l’avis de ma mère, mais l’informait simplement. En fait, les procédures, les armes utilisées pour réaliser un projet peuvent déterminer la suite, n’est-ce pas ?
Aussitôt après la discussion avec ma mère, cette dernière prit tout de même le soin de rappeler que mes sorties étaient contrôlées, nous allâmes chez les parents de l’artiste, dans le quartier Foucks, à Pointe-Noire. C’est en ce lieu que se déroulèrent de preuves convaincantes qui confirmèrent un changement de cap majeur dans nos liens. Elle me présenta à ses parents, je fis aussi la connaissance de ses frères et sœurs. Et, à ma grande surprise, à aucun moment Mamie Claudia n’évoqua le mot admiratrice. Elle me présenta comme sa petite sœur. J’étais vraiment impressionnée. En passant, Mamie Claudia était une femme franche et sincère, une femme de convictions. Dès cette première journée, nous nous entendions bien, comme si on se connaissait depuis longtemps. Elle me couva de son amour, multiplia des signes d’affection à mon égard.
Nous développâmes une grande complicité. Nous mêlâmes les pinceaux en changeant la nature de notre relation. Il faut dire que le fait de passer du cadre public au cadre privé n’altéra pas nos liens, au contraire. Pour tout dire, on ne se quittait plus !
Quand Ya Mamie disait que j’étais sa sœur, ses actes prouvaient la profondeur de sa pensée. En tout cas, elle le pensait réellement, ces paroles n’étaient pas lancées en l’air. Dans un monde où les rapports humains sont teintés de fourberie et de malhonnêteté, un monde où ceux qui prétendent êtres nos amis sont parfois nos pires ennemis, comment ne pas s’attacher aux personnes honnêtes qui entretiennent des relations sincères avec leurs semblables ! Bien souvent, et c’est dommage, les intérêts guident les rapports humains. Qui faut-il croire ? Comment reconnaître les gens fréquentables ?
Nous rencontrons plusieurs individus sur nos chemins de vie, nous croisons beaucoup de personnes sur nos parcours, au fur et à mesure que nous avançons, nous regrettons certaines « connexions », particulièrement celles qui aboutissent à des alliances empreintes d’hypocrisie, des affiliations basées sur des intérêts, des calculs.
Eh oui, c’est malheureusement la triste réalité : la trahison fait partie de notre vie…
Finalement ma rencontre avec Mamie Claudia changea ma vie d’une manière positive. Nos retrouvailles furent sensationnelles, magiques et émouvantes, largement au-delà de mes attentes.
Que dis je ? Quelles attentes ? En réalité, je ne m’attendais à rien.
Une journée seulement, dès les premiers instants, nous réalisâmes qu’une énergie positive réciproque enveloppait notre amitié, et elle changea irrémédiablement, les liens prenant une tournure différente. Même dans mes rêves les plus fous, je n’avais jamais imaginé que la chanteuse que je contemplais avec admiration à la télévision deviendrait mon alliée.
Au fond, Ya Mamie portait plusieurs chapeaux : grande sœur, amie, confidente, elle passait merveilleusement bien d’un rôle à un autre. J’adorais cette relation plurielle. Sur le plan strictement artistiquement, elle citait mon nom dans ses chansons, mais surtout elle m’encourageait à persévérer pour réaliser mes projets artistiques. À l’époque je faisais du théâtre et j’avais des manuscrits dans mes tiroirs. D’ailleurs, je ne pus m’empêcher de lui dédier des poèmes dans mon premier ouvrage «Poèmes de ma jeunesse».
Nous étions devenues très proches l’une de l’autre. Par exemple, quand je vivais en France, lorsqu’elle était de passage dans ce pays, à sa demande, je lui tenais compagnie durant son séjour.
Nous passions des nuits blanches à parler de tout et de rien. Ces nuits arrosées se répétèrent également en terre congolaise, à Brazzaville. J’y suis allée quelquefois pour assister aux spectacles de Mamie Claudia.
Après plusieurs années, alors que mon fils aîné n’était qu’un nourrisson, la chanteuse lui offrait des spectacles plaisants, lui chantait des berceuses en le promenant dans la cour de ma maison.
En février nous célébrons la Saint-Valentin, une période pendant laquelle il faut donner des preuves d’amour à ceux que l’on aime. En même temps, comme je le disais déjà, nous sommes dans une ambiance festive à cause des célébrations liées au Mois de l’histoire des noirs.
J’ai donc voulu faire d’une pierre deux coups. Voilà pourquoi je rends hommage à cette femme talentueuse.
Mamie Claudia a marqué la musique congolaise. Les chansons Chérie Clau, Nazoki, Mwana ya Mama, pour ne citer que celles-là, envoûtèrent le public. Les filles de ma génération fredonnaient plaisamment des airs entendus dans les discothèques, à la radio et à la télévision. Des milliers de fanatiques, de toutes les générations, entonnèrent le refrain « Bayinaka nga, bayinaka nga, bayinaka nga ééé ééé mawa…».
Ya Mamie, ma grande sœur chérie, je t’aime et tu me manques énormément. Pour ceux qui ne connaissent pas cette artiste, je vous encourage fortement à la découvrir.
Je m’incline devant la mémoire de l’impératrice de la chanson congolaise. Paix à son âme !
Article publié le dimanche 27 février 2011