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Interview exclusive avec Alfred Aubin Mugenzi : « Ne pas blesser les gens est important pour chaque humoriste » – IWACU
S’exporter, exporter son art et son savoir faire n’a jamais été chose facile pour les artistes au Burundi. Ils ont eu toujours à faire face à plusieurs défis comme les clichés. On leur a toujours collé des étiquettes qui ne leur ressemblent pas. Ils ont toujours été victimes des jugements sans fondement. Alfred Aubin Mugenzi, alias Kigingi, nous trace son parcours et son expérience.

Pourquoi le surnom de Kigingi ?

Certains croient que le surnom de Kigingi est un surnom de scène, mais ils se trompent parce qu’il m’a été donné depuis mon enfance. Quand je suis né, j’étais gros avec un teint noir. C’est mon oncle maternel qui me l’a choisi le jour de ma naissance le 29 décembre 1983.

Quand est-ce que vous avez choisi d’embrasser la carrière humoristique ?

Je ne peux pas être précis parce que chacun né avec un don à lui. Mon talent de comédien a commencé à se manifester quand j’étais avec des amis, dans ma chorale. Mais, c’est précisément en 2012 que j’ai décidé de faire de la comédie ma profession.

C’est au cours de cette année que j’ai pris la décision de vivre de la comédie. Le début n’a pas été facile. Mais, mes amis m’ont encouragé. J’ai commencé avec un petit public. Petit à petit, ça a grandi jusqu’à ce que j’aie pu avoir ce grand évènement annuel « Kigingi summer comedy » qui réunit un grand nombre d’humoristes et un grand public de la sous-région.

Kigingi summer comedy est venu comment ?

En équipe, nous faisions nos spectacles dans de petits bars. Mais, après mille réflexions, j’ai trouvé qu’un grand festival pouvant réunir et contenir un grand public était nécessaire.

Avant cela, mes premières sorties à l’extérieur en 2013 m’ont ouvert les yeux après avoir vu comment les spectacles étaient organisés ailleurs.

Je suis alors revenu avec cette idée de créer un festival pouvant accueillir 2 000 personnes. Avec le temps, les effectifs allaient en grandissant et je suis maintenant à 8 000 personnes.

Les débuts ont été prometteurs ?

Les débuts sont souvent difficiles. Certains abandonnent même dès leurs débuts. Ce qui n’a jamais été mon cas. A partir de cette année, les invitations se sont multipliées.

J’ai été invité plusieurs fois au Rwanda puis en Ethiopie. Le premier obstacle a été l’obtention des visas. Mon premier visa date de 2020. Ma 1ère tournée internationale a commencé par la Belgique. Je suis revenu pour organiser un tenir le festival Kigingi summer comedy que je ne pouvais pas priver aux Burundais qui manifestent un grand enthousiasme à cet évènement.

J’ai continué avec une autre sortie en Belgique puis en Suède en 2022 où beaucoup de Burundais sont venus massivement. J’ai poursuivi la tournée en France, à Paris et à Toulouse, avant de revenir au pays.

En outre, une autre grande invitation s’est présentée pour une tournée au Canada, plus précisément à Edmonton et à Montréal où j’ai été accueilli par beaucoup de Burundais vivant dans ce grand pays.

J’ai fait également Ottawa et Québec avant de terminer par une soirée de Gala à Toronto. Maintenant, je viens de revenir des Etats unis d’Amérique où j’ai pu faire quatre tournées organisées par des Burundais en étroite collaboration avec des Rwandais.

A part les invitations, vous n’avez jamais organisé un spectacle en dehors du pays ?

J’ai commencé en me faisant inviter, mais maintenant je vais prendre les choses en main. Ceux qui invitent nous prennent en charge en termes de visa et de séjour.

Mais, je me dis que le plus important est de perfectionner notre savoir faire en allant de l’avant jusqu’à ce qu’on arrive à apporter aux Burundais de l’extérieur des spectacles sans attendre une quelconque invitation.

Pourquoi Kigingi summer comedy ne peut pas aller au-delà des frontières ?

Cette idée a germé. Nous nous sommes dits, pourquoi ne pas assurer la continuité de ce grand évènement ailleurs ? Certains ont apporté même des suggestions plus ou moins intéressantes.

La concrétisation va finir par avoir lieu. J’ai un grand rêve de voir les comédiens d’ici se mettre ensemble pour obtenir des visas afin de transporter leur savoir-faire à l’extérieur du pays.

C’est vrai que ça demande beaucoup de moyens, mais ce rêve est là et va finir par devenir une réalité.

Les sentiers de ton parcours semblent aplanis depuis le début jusqu’à maintenant. Cela signifie qu’il n’y a jamais eu d’embûches ?

Les embûches ne peuvent pas manquer. Tenez par exemple ! Cela je ne l’avais déjà dit à aucun medium mais, je le dis à Iwacu.

En 2016, j’ai été arrêté par les agents de la sécurité burundaise pour avoir « commis des écarts de langage » dans un spectacle que j’avais animé dans le pays voisin une année auparavant. Il y a quelque chose que j’ai apprise et que tous les artistes devaient apprendre. Connaître l’environnement signifie bien savoir où commence et où se limite le droit d’expression.

Lorsqu’on m’a arrêté, on m’a demandé ce que j’ai voulu démontrer dans mon spectacle. Et pourtant, certains avait approuvé le spectacle.

D’autres ne l’ont pas apprécié parce qu’ils me disaient que j’ai mal parlé de mon pays, un pays qui a traversé des situations plus ou moins graves. J’ai donc compris qu’il faut savoir et connaître notre environnement pour orienter nos faits et gestes.

L’affaire s’est terminée comme ça ?

(Rire) Sur cette affaire, la police m’a arrêté et m’a montré le spectacle. Le spectacle avait eu lieu au mois de juin 2015.

J’ai été appréhendé au mois d’avril de l’année suivante, en 2016. Moi-même j’ai été surpris. Les gens croient que j’ai été arrêté le jour de mon retour du Rwanda, ce qui est contraire à la réalité. Il y a des choses que nous produisons mais qui n’engendrent pas des effets immédiats.

Je peux vous donner un exemple d’une vidéo produite au début de cette crise de manque des carburants. Je demandais où en était la file des camions ramenant les carburants.

Et puis ?

Je vous assure que cette vidéo a failli me créer des ennuis quand elle a été remise sur les réseaux sociaux au moment où la crise de ce produit faisait ses effets après un certain temps. C’est ce qui s’est passé quand on m’a arrêté.

J’avais joué sur la crise de 2015 que tout le monde connaît et l’histoire est revenue avec beaucoup de fraicheur. J’étais parti jouer avant le début du conflit diplomatique entre le Burundi et le Rwanda.

Et voilà qu’avec cette brouille, je devais expliquer ce qui a été joué une année avant. Des fois les artistes s’emportent sur scène quand les émotions deviennent grandes.

Cela m’a rappelé mes limites. J’ai vite compris et demandé pardon. A part cet incident, j’ai appris à faire attention à chaque détail et je fais des remarques aussi à mes collaborateurs.

Les autres incidents sont vraiment mineurs. Ils sont souvent liés au manque d’estime vis-à-vis de notre métier.

Les contrats avec tes partenaires, sont-ils respectés à la lettre ?

Le métier n’est pas aussi simple qu’on peut le croire. Pouvoir faire rire les gens demande une certaine ingéniosité. On essaie de faire de notre mieux même si ce n’est pas facile.

Les gens sont changeants. Quand je modère la cérémonie d’un mariage, les invités s’attendent à un spectacle d’humour et ils rentrent souvent déçus.

Et vous avez toujours été apolitique ?

J’ai souvent travaillé pour le pays, mais pas pour un parti. Ce qui est différent. De mon côté, je n’appartiens à aucun parti politique. Cela ne m’est jamais arrivé d’ailleurs. Il y a eu quelques approches de la part de certains partis, mais ça n’a jamais été concluant.

Je me dis d’ailleurs que même si j’avais une certaine appartenance, je ne la montrerais jamais parce que ça ne colle pas avec mon métier.

Jamais de menaces ?

(Rire). Par contre, on me colle des étiquettes. Dernièrement au Royaume-Uni, j’étais invité par l’ambassade du Burundi. J’ai remarqué une chose très étrange.

Je ne sais pas si ici chez nous c’est le quotidien qui nous empêche de penser aux choses qui ne nous regardent pas. Mais, dans ce pays, certains ont dénigré mon spectacle comme quoi je suis à la solde du gouvernement burundais. Je ne fais que mon travail.

Celui de divertir. A l’extérieur, certains Burundais ont refusé de venir assister à mon spectacle par pure ethnisme. J’ai trouvé cela déplacé pour les gens qui ont évolué et qui ont eu la chance de voir ce qui se passe ailleurs.

Les gens collent des étiquettes aux artistes alors que les soutenir était la meilleure option. Chaque organisation ou chaque personne a le droit de nous inviter. Dans mes spectacles, je n’enseigne pas tel ou tel autre parti. Je ne fais que divertir à travers la comédie. Et d’ailleurs, je n’attaque jamais personne.

Un conseil pour les autres humoristes ?

Nous sommes des citoyens et partant nous avons des droits et des devoirs. Nous avons le droit d’appartenir à tel ou tel autre parti politique. Mais afficher notre appartenance ne fait que limiter voire réduire dans le temps et dans l’espace notre public.

Pour ce qui est de l’environnement, nous sommes devant plusieurs tabous. Nous avoir la conscience de mesurer nos propos. Ne pas blesser les gens est aussi important pour chaque humoriste.


Article publié le jeudi 28 novembre 2024
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