Claude ne file pas droit. Claude surprend, séduit, bouscule, emballe. Claude vrille surtout la chanson française avec de franches percées électroniques, voire technoïdes et l’entraîne dans la pulsion pure, le goût du déséquilibre. Fin immédiate du suspense : Claude ne trimballe pas ce prénom au civil. Juste y voir là une identification en forme d’extension exacerbée de lui-même. Un choix de patronyme à projection personnelle dont il préfère repousser l’aveu de sa signification. « Je choisirai le moment où je vais le divulguer. J’en dis déjà beaucoup sur moi dans les chansons. C’est un album de présentation donc assez révélateur. Il n’y pas besoin de tout balancer maintenant », répond-il avec l’exactitude des réponses données du tac au tac.
À mi-parcours dans la traversée de sa vingtaine, cet ancien étudiant en école de commerce arbore des lunettes épaisses comme des vitres blindées, une moustache et fréquemment une veste de survêtement. Une gueule de « nerd » doublée d’une intelligence vive. Qui avoue, avec une sincérité désarmante, son insatisfaction à l‘égard de Bientôt la nuit, son EP sorti il y a maintenant deux ans : « Cela embête un peu mon label que je dise ça, mais c’est quelque chose dont je ne suis pas très fier. J’ai un peu avancé seul dans le brouillard, ne sachant pas vraiment ce je voulais dire aussi bien musicalement que dans les textes. Cela m’a quand même permis de franchir une marche et de rencontrer les bonnes personnes pour cet album ».
En tête, Alexis Delong, ex-membre du groupe Inüit, désormais réalisateur-arrangeur qui a le vent en poupe (Disiz, Miossec, Raphael, Yoa…) et complice de Zaho de Sagazan. « Un génie de la production, des synthétiseurs et du modulaire. Grâce à son expertise et son talent, j’ai pu rebattre les cartes au moment de commencer le disque ».
Si cette collaboration ainsi que cette valse de la chanson et de l’électronique en ont amené certains à le ranger dans le sillage de la précoce prêtresse de La symphonie des éclairs, lui préfère ne pas s’aventurer au sein de cette comparaison. « Elle est flatteuse. Au-delà de ça, on fait des choses relativement différentes. Et puis une artiste comme Zaho de Sagazan, il n’y en aura qu’une tous les dix, quinze, vingt ans. Je n’ai absolument pas l’ambition d’arriver à son niveau en termes de public et de chansons intergénérationnelles ».
Ne pas, non plus, l’embarquer sur le terrain d’une plausible nomination - catégorie révélation masculine - pour les Victoires de la musique. De toute façon, il n’a jamais regardé la cérémonie. « Je ne me prononce pas là-dessus, je n’y connais rien. Je n’ai jamais eu de télévision, j’ai un peu grandi sans trop connaître ce truc-là. C’est quelque chose de lointain pour moi, d’assez irréel ».
En amont des séances en studio, Claude est allé se retrancher durant quinze jours dans la maison vosgienne d’un ascendant disparu pour dessiner le squelette des thématiques abordées. Salvateur malgré une arrivée plutôt chaotique sur les lieux. « J’ai eu la mauvaise idée de débarquer là-bas en pleine nuit. Il faisait totalement noir, l’habitation était quasi en forêt, sans chauffage au milieu de l’hiver. Comme j’avais l’impression qu’on allait me trancher la gorge, j’ai tout fermé à clé avec mon téléphone à côté de moi au cas où je doive appeler les flics. À ce moment-là, je me suis dit que cette idée était complètement conne. Mais dès le lendemain matin, c’était parfait. J’ai passé mes journées, près d’un feu de bois avec mon ordinateur et téléphone, à écrire à l’infini, poser les bases de l’album ».
Autre condition qu’il s’est imposé au cours du processus de création, c’est le verrouillage d’écoutes musicales et notamment celles de Tyler The Creator, MGMT ou Gorillaz, artistes qui font figure d’autorités pour lui. « Je ne voulais pas me laisser influencer par les choses que j’aime. C’est un bon réflexe pour être singulier, autonome, pertinent et ne pas faire du réchauffé ».
In Extremis, titre en référence à la tension permanente qui traverse le disque et à la sensation dans chaque morceau d’être au bord d’un précipice, joue aussi bien de la mélancolie obsédante que des dédales pop dansants. De haute volée, les textes, directs et narratifs, parfois empreints d’une poésie auto-critique, déploient leur lot de questionnements sans réponse.
Derrière une tapageuse ouverture instrumentale cinématographique à la Suicide (Réveille-toi), Claude confesse des angoisses inhérentes à la peur de l’engagement (Addition), à la découverte batailleuse de la sexualité (le formidable Baisodrome), à la solitude égotiste (Micro-ondes) ou à une hypocondrie prononcée (Signes vitaux). Et remue notre corde sensible avec une vibrante chanson de deuil (Contresens). Un futur grand, à coup sûr.
Claude In Extremis (Microqlimat) 2024
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Article publié le mardi 12 novembre 2024
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