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Le fil burkinabè face au fil ghanéen, la bataille du Faso Danfani à Koudougou - Studio Yafa - Information & Dialogue au Burkina Faso

 Dans la ville symbole du Faso Danfani, Koudougou, les tisseuses continuent de jongler entre patriotisme économique et contraintes du marché. Malgré le retour du fil local FILSAH et une interdiction officielle d’importation du fil étranger, le réflexe du fil ghanéen persiste.

Sous un manguier dans un quartier de Koudougou, le bruit intermittent d’un métier à tisser rythme ce début de soirée. Une jeune dame, Roukiatou Badiel, 24 ans, s’applique sur une commande. L’étudiante en histoire à l’université Norbert Zongo de Koudougou fait passer la navette entre les bandes. Les deux pieds, les deux mains sont en mouvement, presque mécanique.

Roukiatou Badiel avoue utiliser le fil importé, aôut 2025, Ph : Studio YafaPour les non-connaisseurs, il s’agit de fil en pur coton, comme on en voit chez la plupart des tisseuses. Mais non. Depuis quelques années, elle admet utiliser le fil étranger, ghanéen précisément, pour ses différentes commandes. A ce fil, elle ajoute celui utilisé par les couturiers. Pourtant, elle dit savoir que le fil étranger est interdit. « On sait que le fil ghanéen est interdit. Mais s’il n’y en a pas, on ne va pas utiliser. Mais si y en a, on ne peut pas ne pas utiliser, surtout quand c’est le client qui demande », lance la tisseuse, avec un sourire. Une manière sibylline de se dédouaner.

Comme pour convaincre, elle enchaîne en ajoutant un autre argument, financier cette fois : « Le fil ghanéen coûte 700 francs le rouleau. Deux à 1 400. Pendant ce temps, le demi-paquet du fil burkinabè, c’est 1 750. Quand tu fais un pagne avec le fil local, tu dépenses 5 000 à 6 000 francs. Il faut au moins 3 jours pour finir un pagne. Et après, le client veut l’acheter à 5 000. On fait comment ? ». Une question accompagnée d’un soupir.

Une résistance malgré tout L’ambiance est aussi au tissage au siège de l’association féminine des tisseuses du Boulkiemdé, au secteur 5 de la ville. Le claquement des battants se mêle aux conversations des femmes concentrées sur leurs fils colorés. La présidente de l’association, Sylvie Zoma, par ailleurs à la tête de l’Union régionale des tisseuses de la région, inspecte attentivement le travail des femmes. Tisseuse depuis 2002, elle connaît sur le bout des doigts, les réalités du métier.

Sylvie Zoma invites ses camarades à rester fidèles au fil local, août 2025, Ph : Studio YafaSur tous les métiers à tisser ici, rien que du fil local. C’est avec amertume qu’elle regrette la montée du fil importé chez ses camarades tisseuses. « Le fil étranger a envahi le marché. Nous avons fait des sensibilisations, mais les gens continuent d’en acheter », soupire celle qui est aussi trésorière adjointe de la Fédération nationale des tisseuses.

Elle, comme tous les acteurs, reconnaît que le fil importé a colonisé les métiers à tisser quand, il y a quelques années, la FILSAH ( Filature du Sahel, du nom de la société spécialisée dans la transformation de la fibre de coton en fil de coton au Burkina) traversait une période trouble et n’arrivait plus à satisfaire la demande. Pour éviter le chômage technique, certaines tisseuses s’étaient alors tournées vers le fil importé. Il est moins onéreux même si de qualité inférieure. Par contre, depuis le forum national du Faso en mai 2023, le fil local est bien disponible. Par contre, il connaît une mévente.

FILSAH, symbole d’une filière en quête de relanceGrand marché de Koudougou. Le soleil entame son déclin. Les derniers clients arrivent, pendant que les commerçants, devant leurs boutiques les hèlent avec insistance. Dans un bureau situé au fond de sa grande boutique, Samba Kéïta semble chercher des solutions. C’est lui, le représentant de FILSAH à Koudougou. Avec nostalgie, se rappelle quand tout allait bien : « Les vendeurs venaient à 4h du matin pour prendre le rang et espérer avoir le fil ».

Samba Kéïta regrette une mévente du fil local, aôut 2025, Ph : Studio YafaEx-travailleur de la défunte usine Faso Fani, Samba Kéïta est dans le domaine du coton depuis plus de 40 ans. Mais selon lui, c’est une première que son magasin soit aussi rempli de balles de fil sans perspective d’écoulement. Et la baisse du marché s’est faite en crescendo. « Depuis 2023 ça a commencé à diminuer. Actuellement, c’est mort même. Ça ne marche plus. Il y a des jours où nous ne vendons pas une seule balle. Si c’est beaucoup, c’est deux, trois, quatre, cinq. Pourtant, avant, on vendait plus de 100 balles par jour », poursuit le vieux commerçant.

Selon lui, il n’est plus question d’avoir une marge, mais de liquider la marchandise pour éviter la détérioration de la matière. « On a plus de 200 clients. On leur demande souvent s’ils sont en bonne santé. Le prix auquel on a acheté, c’est pratiquement à ce prix que nous revendons », confesse le vieil homme.

Lire aussi : Faso Fani, vestiges d’un passé glorieux et dramatiqueC’est dans un communiqué en date du 24 septembre 2024 que le ministère de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat (MICA) et celui de l’Économie et des Finances (MEF) ont interdit l’importation de fils de tissage et des pagnes tissés au Burkina. Cette décision se justifiait alors, selon le communiqué, par la volonté de « promouvoir la chaîne de valeurs coton-textile-habillement ». Mais plus d’une année après, Roukiatou Badiel et bien d’autres tisseuses continuent d’avoir accès au fil au marché.

Les acteurs espèrent un contrôle rigoureux de la part du gouvernement, aôut 2025, Ph : Studio Yafa« La mesure n’est pas effective pour le moment », regrette Sylvie, qui ajoute avec véhémence : « Ce ne sont pas des gens qui transportent à vélo, à moto. Si c’est interdit et saisi et que tu perds des milliards, tu ne vas plus le faire. C’est parce que rien n’est fait (…) Il y a manque de rigueur à quelque part ».

« On n’a pas de force. On est commerçant. On suit seulement », se contente pour sa part Samba Kéïta, tout en invitant à une application stricte de la loi.

Mais en attendant que la loi s’applique dans toute sa rigueur, Sylvie Zoma invite ses camarades à se tourner dos au fil importé. Quand la jeune tisseuse Roukiatou Badiel qui tisse depuis 3 ans pense faire des économies en tissant avec le fil ghanéen, Sylvie Zoma qui a plus 22 ans de métier lui prouve le contraire. « Nous vendons un pagne à 7500 F CFA. Avec un pagne, nous gagnons le prix de leurs (Ndlr. celles qui tissent avec le fil importé) 3 pagnes. Elles travaillent à perte et n’arrivent pas à s’autonomiser ».

Tiga Cheick Sawadogo



 


Article publié le Wednesday, October 15, 2025