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Burundi

Interview exclusive avec Jean Marie Sabushimike : « Les périphéries de Bujumbura risquent de provoquer des catastrophes si rien n’est fait. » – IWACU

  Le phénomène de ravinement et de glissement de terrain s’amplifie dans les montagnes surplombant la ville de Bujumbura. Ce qui entraine des destructions de maisons, des déplacements des habitants, etc. Jean-Marie Sabushimike, géomorphologue et expert en prévention et gestion des risques des catastrophes explique les causes de ces mouvements de terrain. Il revient aussi sur la COP29 et les autres évènements climatiques extrêmes qui frappent le pays.

Dans les Mirwa, on constate que les mouvements de terrain deviennent de plus en plus menaçants et fréquents. Votre commentaire sur cette situation.

Je pense qu’il est vraiment le moment pour en parler. Il n’y a pas longtemps, on a vu des habitations des collines Mugoboka I et II attaquées par des fissures généralisées, des destructions des maisons, etc.

Les paysans ont dû se déplacer pour sauver leurs vies. En réalité, ce ne sont pas des fissures.

C’est quoi exactement ?

Ce sont des mouvements de terrain qui affectent l’ensemble des versants tout entier. Cela est très remarquable justement autour des collines de Nyambuye et des collines de la commune Kanyosha rural. On voit surtout la menace qui s’accélère dans les zones périurbaines de Bujumbura.

Si nous avons cité Mugoboka, n’oublions pas Kamesa et les collines de Kabezi. Il ne faut pas parler de menace seulement sur Bujumbura. Les Mirwa présentent une vulnérabilité qui impressionne ou qui a une allure généralisée de catastrophes climatiques.

Qu’est- ce qui le prouve ?

Vous partez de Cibitoke en passant par Bubanza et Bujumbura rural. Vous descendez dans les communes Rumonge, Bugarama, Buyengero et Burambi.

Vous allez à Vyanda et vous descendez plus loin dans Mabanda. Vous verrez qu’il s’agit des escarpements de faille qui ne cessent de saigner avec ces mouvements de terrain qui se généralisent.

En d’autres termes, Bujumbura c’est vrai. Cela devrait nous inquiéter. L’avancée aussi des destructions du torrent de la Ntahangwa, dans les quartiers périphériques de Gikungu rural, Mugoboka I, II et III. On remarque que ces passages risquent d’être coupés complément. C’est ce qu’on appelle les ravins à têtes jointives.

Donc, il y a un problème franchement de compréhension de ce risque qui se généralise dans l’ensemble des Mirwa. Des risques qui ont déjà fait beaucoup de victimes. On a vu récemment la colline Gabaniro qui s’est écroulée et détruit la centrale électrique de Kirasa.

En fait, mon souci c’est qu’avec tout ce qui se passe, on dirait que la vie continue, que c’est normal et qu’il n’y a aucune inquiétude.

Mais, les autorités en parlent souvent. Selon vous, qu’est-ce qui devrait être fait de plus ?

Et bien, des décideurs politiques tels que le gouvernement, le parlement ainsi qu’évidement les pouvoirs publics comme les administrations provinciales, communales et collinaires devaient s’agiter. Or, tout se passe comme si de rien n’était.

Normalement, on devrait cette fois-ci s’arrêter un moment pour essayer de comprendre, dans toutes leurs dimensions, ces risques de catastrophes en termes de mouvement de terrain qui se généralise. Il faut comprendre et analyser en profondeur leurs causes ainsi que l’ampleur de ce phénomène.

Il faut quitter cet état d’observation en disant que c’est naturel alors qu’on se souvient de ce qui s’est passé dans la commune Mugina. Il y a eu plusieurs dizaines de morts et de disparus. La RN9 dans Bubanza et les périphéries de Bujumbura risquent de provoquer des catastrophes si rien n’est fait.

Quelles en sont alors les causes ?

Il y a d’abord les prédispositions naturelles, à savoir les roches en place. C’est très important. Cette configuration d’escarpement de failles explique beaucoup.

C’est-à-dire ?

Cela signifie que géologiquement, la mise en place de ces montagnes s’est effectuée par un soulèvement qui s’est accompagné par la fracturation des roches. Cette dernière a permis ce qu’on appelle les altérations différentielles suivies par l’érosion différentielle.

Que peut-on comprendre par érosion différentielle ?

Erosion différentielle signifie que l’érosion linéaire et les eaux qui sont canalisées dans une zone de faiblesse arrivent à surcreuser rapidement là où la roche s’est altérée et plus rapidement par rapport à d’autres parties du massif rocheux.

Donc, la cassure de terrain crée ce qu’on appelle le broyage des roches. Le broyage des roches facilite alors la pénétration de l’eau et déclenche ce qu’on appelle l’hydrolyse. C’est cela l’altération différentielle suivie par l’érosion qui signifie l’évacuation des sols par le transport à la suite des eaux pluviales.

Et que signifie le mouvement par gravitation ?

Déjà dans les Mirwa, les pentes sont longues et raides. Lorsqu’il y a ces fissurations des roches et de l’écrasement des minéraux, la pénétration de l’eau devient facile. L’eau s’accumule et crée ce qu’on appelle la nappe phréatique. Cette dernière va faire jouer deux forces : la force de résistance et la force de cisaillement.

Lorsqu’il s’agit des pentes fortes, souvent, la force de cisaillement devient supérieure à la force de résistance. Le matériel finit par s’écouler. Dans ce cas, l’écoulement est par gravitation.

D’ailleurs, quand je parle des prédispositions naturelles, en commençant par la géologie, toutes ces montagnes nous cachent des bombes.

Des bombes ! Que voulez-vous dire concrètement ?

Ce sont les grosses boules de plus de cinq tonnes comme on les a vues à Rutunga et Nyaruhongoka. On a vu ces blocs descendre. D’ailleurs, il faut le signaler.

Ces mêmes blocs se trouvent partout dans les Mirwa. Lorsque ces montagnes sont fracturées à l’échelle du terrain comme à l’échelle du minéral, il faut évoquer un autre facteur très important.

Lequel ?

La pente qui facilite le mouvement par gravitation de ces terrains. En plus de l’hydrologie, ces Mirwa sont traversés par des ravins torrentiels.

Mais, tous ces facteurs naturels sont dominés par ce qu’on appelle le facteur déclenchant.

Que faut-il comprendre par-là ?

Les fortes précipitations qui s’abattent sur ces montagnes depuis 2016 jusqu’aujourd’hui. Même actuellement, c’est déjà annoncé que nous risquons d’avoir un épisode de pluies exceptionnelles.

On s’attendrait encore une fois à des coupures des routes nationales qui traversent les Mirwa dans les zones sensibles.

Elles risquent de connaître des problèmes. Bujumbura peut être isolée encore une fois. Bref, le facteur déclenchant c’est le changement climatique.

Néanmoins, on voit que des gens continuent de s’installer dans ces Mirwa. Quel est le rôle de l’Homme ?

Evidemment, il y a le rôle de l’Homme. Il y a l’exacerbation des impacts des changements climatiques par l’action humaine et l’aménagement du territoire.

La pression démographique plus précisément vient encore une fois accélérer ce problème de risques de catastrophes connu dans ces montagnes.

Ce qui signifie donc que la concentration humaine y devrait être bien contrôlée et planifiée ?

Certainement. L’aménagement du territoire est un autre problème. Parce que c’est l’un des outils pour la meilleure gestion des impacts des changements climatiques.

Vous n’avez pas un schéma d’aménagement du territoire, vous avez donc raté tout ce qu’il faut d’essentiel en termes de gestion des risques de catastrophes.

Mais, le Burundi dispose de ce schéma

Normalement, on devrait avoir non seulement un schéma national d’aménagement du territoire mais aussi des schémas régionaux spécifiques comme les provinces ou les régions. Et pour cause, les régions ne sont pas exposées de la même manière face aux changements climatiques.

Il y a celles qui sont exposées aux risques de sécheresse, aux risques d’inondations, etc. Tout cela, il faut qu’il y ait un aménagement du territoire qui intègre la prévention de ces risques de catastrophes. C’est le rôle des administrations.

Il y a des travaux en cours sur la rivière Ntahangwa pour la stabilisation de ses rives. Mais, certaines gens disent que pour que cela soit efficace et durable, il faut commencer par des travaux en amont. Etes-vous de cet avis ?

Oui. La meilleure façon d’aménager un bassin versant qui pose des problèmes de glissement de terrain ou d’inondations se fait effectivement de l’amont vers l’aval.

De l’amont parce que c’est le point de départ de l’organisation du bassin versant. Le bassin versant de la Ntahangwa devait être aménagé en fonction des mini-bassins versants.

C’est-à-dire ?

En traitant chaque mini bassin de manière spécifique soit de préférence avec des solutions basées sur la nature ou la végétalisation des sols dénudés.

On devrait avancer encore plus bas en fonction du traitement des menaces associées au profil en long c’est-à-dire l’érosion verticale qui se déclare dans le lit majeur.

Le problème majeur aujourd’hui pour la Ntahangwa est l’érosion verticale qui provoque des glissements de terrain latéraux.

C’est l’élargissement très rapide spectaculaire de la vallée qui menace alors les habitations sur les deux rives.

Pour Ntahangwa, il s’agit d’une véritable catastrophe qu’il faudra vraiment arrêter à partir de Mugoboka et de Gikungu rural parce que déjà Gikungu urbain et Mutanga Nord sont gravement menacés comme dans le passé.

Les mêmes effondrements qu’on a vus sur Bamako, il n’y a pas trois ans, risquent de se reproduire. Même Mutanga Sud n’est pas épargné. Ntahangwa revient avec sa plus grande méchanceté torrentielle.

Il paraît qu’il y a un projet de stabilisation de ce cours d’eau pour un montant de 9 millions de dollars si je me rappelle bien.

Neuf millions de dollars avec les menaces que personnellement j’observe sans étude approfondie, je crains fort que les résultats risquent de ne pas satisfaire aux attentes des localités concernées.

D’après vous, ce montant risque donc d’être insuffisant vu l’ampleur des travaux ?

Je ne sais pas comment il a été décidé mais, visiblement, il n’est pas le résultat d’une étude multisectorielle et multidisciplinaire. Je ne crois pas qu’il y a eu des études géotechniques, géologiques, géomorphologiques, climatiques, et sociologiques.

De tels travaux doivent donc être précédés d’une étude pluridisciplinaire ?

Ce qui n’est pas le cas malheureusement. Vous trouverez qu’il s’agit d’un bureau qui a gagné un marché. Est-ce qu’il a réuni tous ces experts ? Cette multidisciplinarité bloque tout.

On peut prétendre aller vers l’adaptation des glissements de terrain et de l’érosion de la Ntahangwa. Mais, à mon avis, ce n’est pas vraiment le cas.

Nous avons vu qu’après les inondations de Gatunguru, les travaux de canalisation de la rivière Gasenyi n’ont pas produit les résultats escomptés. Y-a-il un risque de revivre la même situation pour la Ntahangwa ?

Ça risque d’être exactement la même chose. Pour Gasenyi, on a dû reprendre et refaire les travaux. On continue à investir. Mais, ce n’est pas ça la résilience, l’adaptation.

Je suis vraiment aux regrets de le dire ainsi. Je demanderais au gouvernement et aux partenaires financiers d’être très regardants afin qu’on construise des œuvres durables et appropriées. C’est d’ailleurs ce qui vient de se passer à la COP29. Tous les pays sont rentrés presque déçus.

Visiblement à cette COP, les principaux acteurs de la pollution planétaire étaient absents. Votre commentaire.

Normalement, la première réussite de ces COP, c’est mettre en avant l’action solidaire pour prétendre réussir l’action climatique. S’il n’y a plus d’action solidaire, c’est très grave.

Cela signifie que même le principe de pollueur-payeur ne va pas produire d’effets ?

Il échoue d’avance. Ces grandes puissances ont déjà promis qu’elles vont continuer à polluer. Les Etats Unis ont cassé l’Accord de Paris.

Le Burundi va-t-il gagner quelque chose sur l’accord financier de 300 milliards de dollars promis à la fin de la COP29 ?

Le Burundi, comme d’autres pays, dispose d’une CDN (Contribution désignée au niveau national). C’est là où tout se joue techniquement et financièrement.

Il ne faut pas non plus oublier qu’il faut des ressources humaines compétentes pour le montage du dossier de demande de ces fonds.

Mais, il ne suffit pas de faire l’inventaire des gaz à effet de serre pour l’atténuation et l’adaptation. C’est l’argent pour réduire ces risques d’inondations, de glissements de terrain et d’autres phénomènes climatiques qui compte.

Cela demande des financements pour penser à une irrigation durable dans le Bugesera, l’Imbo Nord, le Moso, au plan global de gestion des inondations du littoral du lac Tanganyika, de la Rusizi.

C’est un montage très exigeant en matière techniques et d’évaluation des problèmes causés par la nature, l’environnement géologique, géomorphologique, etc.

Mais, au Burundi il y a quand même des ressources humaines capables d’élaborer ces projets. Pour moi, on peut avoir des experts nationaux mais doublés aussi par d’autres experts étrangers.

Moi, cela ne me gênerait pas. Mais, les experts nationaux sont les mieux indiqués pour identifier et hiérarchiser les zones à très haut risque de catastrophes climatiques.

Les prévisions pluviométriques indiquent que huit pays de la Corne d’Afrique dont le Burundi risquent d’avoir des pluies exceptionnelles. Sommes-nous préparés à y faire face ?

J’ai l’impression qu’au niveau de la préparation, on n’avance pas. Nous agissons après coup.

Cela n’est pas de la préparation. Si c’est annoncé déjà et que nous avons une triste expérience, qu’est-ce qu’on est en train de dire aux populations qui risquent d’être frappées encore une fois par les mêmes inondations ? Quelle sensibilisation ? Quelle information transmise pour que les communautés locales concernées se préparent ?

Quel est votre message à la population ?

Les populations peuvent ne pas être informées de ces risques des pluies fortes. Ce sont les services concernés qui doivent donner l’alerte.

C’est le moment de faire travailler les plateformes provinciales, communales et collinaires.

Mais, le Burundi dispose déjà d’un plan d’urgence humanitaire

Oui. Le plan existe. Mais, on doit le sortir, l’enseigner encore une fois, le répéter. Il ne faut pas l’avoir et le garder dans les tiroirs.

Il faut l’actualiser et l’adapter. Sinon, l’avoir est une bonne chose mais son usage en est une autre.

 


Article publié le Tuesday, December 3, 2024