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Burkina/ Lycée Philippe Zinda Kaboré : Des bâtiments qui tombent en ruines trois ans après la fermeture, des commerces riverains en plein marasme - leFaso.net
Fermé en mai 2021 pour des « raisons d’ordre public », le plus grand lycée du Burkina, le lycée Philippe Zinda Kaboré, est dans un état de dégradation. Cour envahie par l’herbe, portes et fenêtres défoncées. Comme une maison abandonnée, l’infrastructure présentait un visage de ruines lors de notre passage au mois d’août 2024. Reportage !


Assis dans une bicoque à l’entrée principale, un vigile regarde impuissant le lycée Philippe Zinda Kaboré en passe de devenir une prairie. Divisé en deux, le fronton circulaire en rouille portant le nom du lycée, flotte comme un morceau de tissu sur un portail métallique qui tient à peine. C’est le constat dès l’entrée, en cette matinée nuageuse de jeudi 22 août 2024. Le portillon, dépourvu de sa serrure, résiste toujours au vent grâce à un morceau de bois que le vigile utilise pour le bloquer. Les grands bâtiments R+1, sont sous la domination des grands arbres.

Le bâtiment A abritant le provisorat, est surplombé par un imposant manguier. Pendant ce temps, les lianes, à l’image de courgettes, en association avec le neem ont pris le dessus sur le bâtiment B. Ils sont les seuls maîtres qui règnent sur ce bâtiment qui abrite le censorat. Des salles de classe vidées de leurs tables-bancs sont à la merci d’ordures et de poussière à cause des fenêtres et portes défoncées. Les araignées profitent pour installer leurs toiles dans lequel tout passant imprudent peut se prendre. A 15 mètres de la porte entre les bâtiments A et B, le buste de l’illustre Philippe Zinda, dont le lycée porte le nom, est envahi par des herbes.

Le buste de Zinda envahi par les arbres Au parking, à l’entrée principale, trois véhicules, dont un bus frappé du nom du lycée, une Mercédès et une Peugeot pick-up sont recouverts de poussière et de feuilles d’arbres mortes. Des tableaux sur les murs de certains bâtiments se sont écroulés. La cour elle-même est verte comme un terrain gazonné. L’herbe pousse même dans les fissures du bitume du terrain de basketball.

Dans le lycée, ce sont des insectivores comme les margouillats qui font la course dans tous les endroits, les oiseaux, de branche en branche, s’envolent en poussant leurs cris... Des tables-bancs endommagés, des fils électriques sont éparpillés dans ce blocus imposé par l’herbe. Quelques portes des six grands bâtiments à niveau faisant office de salles de classe sont cadenassées, mais touchées par la rouille. Les plafonds noircissent et cèdent sous la pression des eaux de pluie, occasionnant la chute des plaques de plâtres et des lames de bois sur les terrasses fissurées et sablonneuses. La cuisine, sans porte ni fenêtre, a l’intérieur noirci par la fumée et reste l’ombre d’elle-même. Une odeur désagréable s’échappe des toilettes orphelines de leurs portes et embaume la cour.

La main gauche collée à sa tempe, Naaba Sigri un des gardiens des lieux, assiste à la transformation du lycée. « Ah, le noble Zinda ! », soupire soupire Naaba Sigri de Nagrégo Signooghin. « Le lycée va devenir une forêt classée », regrette celui qui officie dans cet établissement depuis 2011.

Comme du lait sur le feu, le veilleur dit faire de son mieux pour surveiller les infrastructures pour qu’elles ne soient pas toutes emportées par les voleurs qui tentent de passer par le mur pour piller le peu qui reste, notamment, les portes, les fenêtres, les fils électriques et autres. Selon son récit, certains voleurs ont été pris la main dans le sac. D’autres, malgré la vigilance des gardiens, ont réussi a emporter des portes, des fils électriques et des fenêtres.

Le vigile du Lycée Naaba Sigri interpelle les autorités Sur son visage se lit un sentiment de déception et de solitude. Même si son salaire « tombe » régulièrement comme avant, il regrette tout de même le « délaissement » du lycée. Quittant la périphérie sud de Ouagadougou pour surveiller un lycée qui n’existe plus que de nom est lassant pour ce chef de famille. « Il faut que l’État revoie le cas du Zinda, sinon les jolis bâtiments vont s’abimer. C’est quand même le plus grand lycée du Burkina ! Rien que pour son histoire, il doit être réhabilité », lance-t-il. « Le ministre d’État, en charge de la fonction publique, Bassolma Bazié, a enseigné ici. Il peut faire quelque chose pour ce grand lycée », interpelle-t-il. A cette allure, craint-il, le plus grand lycée du Burkina va devenir une forêt. Après quelques échanges, il se retire, s’assoit sur une des tables endommagées, balance les pieds et regarde impuissant cet ancien temple du savoir en état de dégradation. « Les élèves me manquent », lâche-t-il en souriant, en guise d’au-revoir.

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Certains riverains déménagent, d’autres crient à la disette

Les affaires ne marchent plus chez Alassane Ouédraogo (nom d’emprunt). Sur ordre de son patron qui était absent, il vide son magasin. C’est dans un tricycle que le contenu de sa librairie est chargé pour une autre destination. Il déménage à cause de la morosité du marché : les élèves n’étant plus là, les affaires tournent au ralenti.

Des bâtiments sans porte La seule issue pour lui, est de déménager pour essayer ailleurs. Son bébé assis sur ses pieds, l’épouse d’Alassane Ouédraogo assiste au chargement des affaires sur un tricylcle. « Depuis que le lycée est fermé en 2021, nos affaires ne marchent plus. Les élèves étaient nos clients et comme ils ne sont plus là, c’est normal que la situation soit ainsi », déclare Mme Ouédraogo, regardant le tricycle partir vers la nouvelle destination qu’elle n’a pas souhaité donner.

Les élèves réparaient leurs engins chez le mécanicien Ali Kaboré, installé en face de l’école. A cette époque, il se frottait les mains. Mais avec la fermeture de l’établissement, la joie a cédé la place à la nostalgie. Dans son bleu de travail maculé de graisse, il répare un vélo-panier. C’est le seul marché qu’il a eu dans cette matinée. A cause du départ des élèves, ses affaires ont du plomb dans l’aile. « Depuis que le lycée est fermé, on ne peut même plus gagner 500 francs CFA dans la journée », déplore-t-il.

Depuis 11h, c’est le seul marché que le mécanicien Ali Kaboré a eu A 30 mètres de lui, il y a Gabriel Zida dit José Mourinho, en référence au grand entraîneur de football portugais, reconnu comme l’un des meilleurs coaches qui a entraîné beaucoup de clubs en Europe. L’admirateur de l’actuel entraîneur du club turc Fenerbahçe, vend des équipements sportifs. Maillots, ballons, tenues de sports, trophées, etc., sont disposés dans sa petite boutique qui fait face au Zinda. La boutique vivait grâce aux élèves qui achetaient régulièrement les équipements. Hélas !

Les jours de sa boutique sont comptés car plus rien ne marche, dit-il. « Les élèves se ravitaillaient ici en vêtements pour leurs cours d’Education physique et sportive (EPS). Mais depuis la fermeture, ça ne marche pas. Avant, j’étais l’ami de tous les élèves du lycée. Certains prenaient même des équipements à crédit », raconte-t-il. « Actuellement, c’est chaud. En plus de la fermeture, il y a l’insécurité qui fait aussi que rien ne marche », lance « Mourinho ».

La promotion 1987-1991 plaide pour une réouverture du Zinda

Plusieurs promotions se sont succédé au lycée Philipe Zinda depuis sa création en 1953. Nous avons contacté la promotion 1987-1991. Elle déplore la fermeture de ce temple de savoir qui a formé plusieurs hommes influents du pays. Après consultation avec ses camarades, le délégué général du Zinda de 1987 à 1989, Moussa Compaoré, actuellement agent administratif à l’université Joseph ki-Zerbo, donne leur ressenti. « Il est évident que cette fermeture du "Noble Zinda" nous peine car c’est l’un des établissements qui a formé de nombreux cadres de l’administration publique comme du privé de notre pays. Des hommes politiques de tous bords de notre pays sont passés par le Zinda », rapporte la promotion 1987-1991.

Moussa Compaoré de la promotion 1987-1991 du Zinda appelle les autorités à se pencher sur le cas du lycée Zinda Sans entrer dans une quelconque polémique, poursuit Moussa Compaoré, « nous souhaitons que les nouvelles autorités de notre pays fassent de la rénovation et de la réouverture du Zinda une priorité ». « Nous en profitons pour lancer un appel à tous ceux qui sont passés par le Zinda durant toutes ces années afin qu’ensemble nous plaidions pour cette bonne cause », a lancé la promotion 87-91. Pour cette promotion, c’est une perte que d’avoir ce « beau espace inexploitable » depuis quelques années. Sous d’autres cieux, argue-t-elle, un tel lycée ferait partie du patrimoine national à conserver. « Il faudra que les anciens approchent les autorités pour comprendre ce qui bloque et suggérer des solutions. On peut même imaginer une quête pour soutenir le gouvernement dans le processus », propose la promotion 87-91

L’intérieur d’une salle de classe Quelques personnalités formées par le Zinda

Alassane Dramane Ouattara (actuel président de la Côte d’Ivoire), Michel Kafando (ancien président du Faso), Laurent Bado (proffesseur de droit et homme politique), feu Arba Diallo (ancien député-maire et ministre des affaires étrangères sous la révolution du capitaine Thomas Sankara) , feu Oubkiri Marc Yao (homme politique et diplomate burkinabè) , feu Issa Tiendrébeogo (ancien ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique et homme politique), etc. Ont fréquenté le lycée Philipe Zinda Kaboré.

Pour rappel, le gouvernement d’alors avait décidé de la fermeture du lycée Philippe Zinda Kaboré en mai 2021 suite à un mouvement d’humeur des élèves qui a occasionné la mort de l’un d’entre eux. Cet établissement comptait environ 4 000 élèves répartis en 75 salles de classes. Par la suite, les élèves ont été réaffectés dans 74 établissements de la ville de Ouagadougou. C’est sur décision du conseil des ministres du 24 mai 2021 que le gouvernement de l’ancien Premier ministre Christophe Joseph-Marie Dabiré a autorisé la fermeture du Lycée Philippe Zinda Kaboré jusqu’à nouvel ordre. Le plus grand établissement secondaire du Burkina a été fermé pour « raison d’ordre public », mais aussi pour des « raisons pratiques », selon le ministre de la communication et porte-parole du gouvernement de l’époque, Ousséni Tamboura.

L’herbe a pris le dessus Ensuite, le ministre en charge de l’éducation nationale d’alors, Stanislas Ouaro, avait annoncé le 1er octobre 2021, lors de la cérémonie de lancement officiel de la rentrée scolaire 2021-2022, à Gaoua, dans le Sud-ouest, que le lycée Philippe Zinda Kaboré ouvrirait ses portes pour l’année scolaire 2022-2023 pour « devenir un lycée scientifique d’excellence avec internat et externat ».

LIRE AUSSI : Fermeture du Lycée Zinda : Le ministre Ouaro explique

En janvier 2022, le régime du président Roch Marc Christian Kaboré a été renversé par le coup d’État du lieutenant-colonel Paul Henri Sandaogo Damiba. Dans le nouveau gouvernement dirigé par le Premier ministre Albert Ouédraogo, Lionel Bilgo est nommé ministre en charge de l’éducation nationale. Sous son magistère, la transformation du lycée Zinda en lycée scientifique a été annulée.

C’est l’option de lycée ordinaire qui a été retenue. Une commission de réflexion sur la réouverture a été mise en place. Laquelle commission propose une réouverture à minima dès la rentrée 2022-2023. Pour y arriver, la commission, en collaboration avec le ministère, a demandé la réfection complète d’un bâtiment pédagogique, d’un bâtiment administratif et la construction de latrines pour les élèves. La rentrée tant attendue n’a pas eu lieu. Le lieutenant-colonel Damiba a été à son tour renversé par le coup d’État dirigé par le capitaine Ibrahim Traoré, le 30 septembre 2022.

Un arbre qui se mesure au bâtiment Joseph André Ouédraogo devient ministre en charge de l’éducation nationale dans le gouvernement du Premier ministre Me Apollinaire Kyélèm de Tambèla. Lors d’une séance plénière de l’Assemblée législative de transition (ALT) du 2 juin 2023, le ministre avait assuré que les travaux de réhabilitation « débuteront prochainement » et que le lycée pourrait rouvrir à la rentrée scolaire 2024-2025. Il avait précisé que le lycée Philippe Zinda Kaboré sera finalement un lycée classique moderne, avec seulement un second cycle à sa réouverture.

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A l’occasion du premier remaniement ministériel du gouvernement Kyélèm, le portefeuille de l’éducation nationale est revenu à Jacques Sosthène Dingara. Le deuxième remaniement intervenu en août 2024 a permis de scinder le ministère, avec désormais Boubacar Savadogo comme ministre de l’enseignement secondaire, de la formation professionnelle et technique.

Sur la question de Zinda, nous avons déposé une demande le 23 septembre 2024 au sein de ce ministère pour comprendre davantage l’évolution du dossier. Au moment où nous bouclions ce reportage, nous n’avons pas encore reçu de réponse.

Chargement d’une librairie qui déménage à cause la morosité du marché Qui était Philippe Zinda ?

Kaboré Bebzinda ou Philippe Bebzinda Kaboré, connu sous le nom de Philippe Zinda Kaboré, est né le 18 novembre 1920 à Koudougou au Burkina Faso. Il est décédé le 25 mai 1947 à Abidjan, en Côte d’Ivoire. C’était un prince, un homme politique voltaïque, actuel Burkina Faso. Fils d’un chef de village traditionnel Mossi, il a été étudiant à Bingerville (Côte d’Ivoire) et Dakar (Sénégal). Le 10 novembre 1946, il est élu, avec Félix Houphouët-Boigny et Ouezzin Coulibaly, comme l’un des trois députés de la colonie de Côte d’Ivoire au parlement français. Il meurt quelques mois plus tard à Abidjan (Côte d’Ivoire) à l’âge de 26 ans.

Lire aussi : Un pan de la vie politique de Philippe Zinda Kaboré

Serge Ika Ki Lefaso.net

Article publié le vendredi 25 octobre 2024
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