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SÉCURITÉ : Pourquoi le Niger devient incontournable pour la sécurité au Sahel ? - https://www.niameysoir.com
Avec son implication dans la libération du journaliste français Olivier Dubois, et du travailleur humanitaire américain Jeffery Woodke, le Niger vient de montrer sa nouvelle position comme puissance dans la lutte contre l’insécurité dans le Sahel.

Les moins attentionnés ne l’ont certainement pas remarqué, mais c’est au Niger que le journaliste français Olivier Dubois et le travailleur humanitaire américain Jeffery Woodke ont été aperçus pour la première fois après leur libération. Pourtant, c’est au Mali que le journaliste français avait été enlevé le 8 avril 2021. Tout comme l’avait été il y a 6 ans Jeffery Woodke. Mais, il est rare de voir des enlevés par des djihadistes dans un pays du Sahel, officiellement présentés dans un autre pays juste après sa libération.

La première fois où cela est arrivé, c’était il y a presque 11 ans, lorsqu’en avril 2012, le général Burkinabè, Gilbert Diendéré, alors chef d’État major particulier de Blaise Compaoré a participé activement à la libération de Béatrice Stockly, une ressortissante suisse enlevée dans un premier temps par Al Qaida au Maghreb Islamique, puis récupérée par le groupe Ansar Dine, une dizaine de jours plus tôt à Tombouctou dans le nord Mali.

Le Niger au cœur des négociations entre Ag Ghali et Ag Bibi

Le fait peut paraître anodin, mais pourtant hautement stratégique selon Seidik Abba. Le journaliste nigérien, et auteur du livre « Pour comprendre Boko Haram », estime que le Niger a profité de sa connaissance des milieux djihadistes dans la zone des trois frontières, pour accélérer le processus de libération du journaliste français.

Une accélération qui s’explique selon l’expert des questions de sécurité dans le sahel, par le « rapprochement entre le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (Jamāʿat nuṣrat al-islām wal-muslimīn, JNIM en arabe) que dirige Iyad Ag Ghali et certains groupes du mouvement de libération de l’Azawad (MNLA) ».

Il y a quelques semaines, Iyad Ag Ghali qui dirige le Jnim, s’est rapproché de certains groupes qui constituent la Coordination des Mouvements de l’Azawad, avec lesquels ils ont signé deux accords, l’un de non-agression, l’autre pour faire face à l’avancée de l’Etat Islamique dans le Grand Sahara, organisation rivale du Jnim dans la région.

Parmi les leaders des groupes des mouvements de l’Azawad ayant pactisé avec Ag Ghali, se trouve Ahmada Ag Bibi, rebelle, mais aussi ancien député malien de la tribu des Ifoga, une communauté à cheval entre le Mali et le Niger.

Ag Bibi est réputé proche de Ag Ghali, qu’il a rejoint dans Ansar Eddine en 2012, lorsque ce dernier dirigeait ce groupe djihadiste au début de la crise malienne, avant de faire défection pour rejoindre le Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA), un groupe plus modéré.

C’est aussi avec Ahmada Ag Bibi, que les autorités nigériennes négocient pour la libération des otages français et américain, détenus par le Jnim de Iyag Ag Ghali. C’est donc lors de leur rapprochement que Ag Bibi aurait suggéré à son mentor, patron du Jnim de libérer les otages, pour montrer que le groupe de Ag Ghali est « moins diabolique que l’Etat Islamique », analyse Seidik Abba.

C’est dans ce contexte que le correspondant des journaux français Le Point, Libération et Jeune Afrique a été remis aux intermédiaires nigériens présents à la frontière malienne qui l’ont acheminé vers Niamey.

De Bamako à Niamey

Si le Niger se retrouve au centre des discussions avec les djihadistes du Jnim, opérant sur le territoire malien et ravisseurs du journaliste français, c’est à cause de la détérioration des relations entre Bamako et Paris.

Il faut savoir que la France et le Mali, pourtant partenaires dans la lutte contre le djihadisme dans le Sahel depuis 2013, se regardent désormais en chiens de faïence, en raison d’une brouille diplomatique.

Après le deuxième coup d’Etat en un an, intervenu au Mali en 2020, les autorités françaises ont exigé d’en savoir davantage sur les ambitions politiques des nouvelles autorités maliennes, sans réponse. Paris a annoncé fin juin, le retrait de ses troupes fortes de plus de 5500 hommes stationnées dans plusieurs bases maliennes.

La situation s’est envenimée jusqu’à la fermeture de l’ambassade de France au Mali en janvier 2022, et la fin de l’opération Barkhane, en novembre de la même année,

Après ce divorce d’avec le Mali, 1000 éléments de l’armée française présents au Mali dans le cadre de l’opération Barkhane sont redéployés au Niger, « nouveau partenaire de confiance de la France » selon Seidik Abba.

De Ouagadougou à Niamey

De l’autre côté de la frontière, les forces françaises ne sont pas aussi en odeur de sainteté avec les autorités de Ouagadougou. Depuis des mois, la France, ancienne puissance coloniale du Burkina Faso est contestée par les populations, marquées par des manifestations anti françaises souvent organisées dans les villes burkinabè.

Les autorités de Ouagadougou, qui ont obtenu le départ de l’opération Sabre, constituée de 400 hommes des forces spéciales françaises, avant de dénoncer mi-février 2022, l’ accord d’assistance militaire signé en 1961 avec la France.

Le Niger, reste donc désormais « le centre névralgique de l’intervention française au Sahel », lance Seidik Abba, Niamey ayant gardé ses liens diplomatiques avec la France, après que ceux-ci ont été rompus par le Mali et le Burkina, deux autres pays du sahel fortement touchés par la question djihadiste.

Niamey et Washington, main dans la main

Cette position d’ouverture de Niamey se conforte par la visite il y a quelques jours, du secrétaire d’Etat américain Antony Blinken à Niamey.

Le chef de la diplomatie américaine effectuait une première visite dans ce pays dans lequel les Etats Unis ont une base militaire importante, la Air base 101, en pleine capitale, constituée de 800 hommes qui font des rotations semestrielles.

Mais au-delà, Washington dispose aussi de la Air base 201 à Agadez la plus grande ville du nord du pays, dans laquelle est érigé un centre de surveillance du Sahel équipé entre autres d’ une flotte de drones, y compris des MQ-9 Reapers armés.

C’est dire que le Niger occupe désormais une place importante dans la surveillance aérienne, indispensable pour dans la lutte contre le djihadisme. Antony Blinken, lors de sa visite, a déclaré que son pays soutient le Niger dans ses efforts de lutte contre le terrorisme.

Mais il ne faudra pas se limiter là, Niamey qui occupe donc désormais « une place importante dans ce dispositif de riposte anti djihadiste », à en croire Seidik Abba, doit désormais construire une réponse transnationale « qui associe les pays du Sahel les pays du golfe de Guinée, puisqu’on assiste désormais à une exportation de la violence djihadiste vers cette partie du continent, particulièrement vers le Bénin et le Togo » déclare le spécialiste des questions de sécurité.

Armand Moukombo Role, Journaliste, BBC Afrique


Article publié le lundi 27 mars 2023
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