Acteur ? Backer ? Rappeur ? Gringe, Guillaume Tranchant de son vrai nom, 44 ans, est tout cela. Moitié des Casseurs Flowters avec son ami d’enfance Orelsan, il aura attendu six ans pour donner une suite à son album Enfant lune. Entre temps, il a créé la surprise avec l’ouvrage Ensemble on aboie en silence, un essai évoquant la schizophrénie de son jeune frère Thibaut.
Hypersensible révèle un auteur/interprète original qui a énormément progressé depuis son premier solo. 14 chansons puissantes, avec à la production le jeune prodige Tigri, diplômé du Berklee Collège. Rencontre au studio parisien Luna Rossa où Gringe répète son nouveau show.
RFI Musique : Votre album démarre avec le titre Fake ID. C’est autobiographique ?
Gringe : La part d’autobiographie est totale. C’est un résumé des 10-15 ans de ma petite carrière. Quand Casseurs Flowters marche, Orel a déjà fait son bonhomme de chemin. On est excités, avec des étoiles plein les yeux. Je me dis qu’enfin, on va peut-être vivre de ce qu’on aime faire, ce fantasme de la petite gloriole quand tu commences à faire des concerts. C’est un mode de vie génial, mais avec l’âge, les péripéties et les traversées du désert entre chaque projet, arrive le spleen où tu ne sais jamais comment te relancer. Et c’était plus dur encore quand j’ai lâché le wagon Casseurs pour me réapproprier mon autonomie. Je ne savais pas trop à quoi ça allait ressembler, et finalement, je me suis rendu compte que je n’avais jamais fait de musique en studio. Donc j’apprends tout ça. C’est assez récent, je crois que c’est le bouquin que j’ai fait avec mon petit frère, Ensemble on aboie en silence, sur sa schizophrénie, qui m’a fait prendre un peu de distance avec le milieu rap et le milieu du cinéma. J’ai passé deux ans à le défendre. Je suis allé faire des rencontres dans des centres psychothérapeutiques et tout ça m’a filé un prisme nouveau sur le milieu que je fréquentais. Tout n’est pas noir, mais je mets l’accent là-dessus dans Fake ID.
C’est quoi « l’égotrip insurrectionnel » évoqué dans la bio de votre album ?
C’est Du plomb, un morceau qui est parti de la mort de Nahel. Quand j’écris « Faf et millionnaire grâce à une cagnotte Litchee / C’est bien manger en faisant le régime de Vichy », je ne me trouve ni démago ni consensuel. Je n’entends pas trop ça aujourd’hui. On a basculé dans l’ère de l’artiste égocentré, l’individu qui raconte son lifestyle. Je ne me pose pas trop la question des lieux communs. C’est aussi pour ça que c’est un morceau court, parce que je sais que les morceaux vindicatifs peuvent flirter avec le cliché assez rapidement. J’essaie d’éviter ça, mais le climat est sclérosant, je veux un morceau qui te prenne au col, et derrière avec Effet de surplomb prendre un peu de hauteur, passer du micro au macro.
Orelsan est sur le titre Feelings, mais avez-vous dû, à un moment, trouver votre propre voie ?
Le truc, c’est comment t’émanciper. C’est hyper confortable d’être sous l’aile du dragon. De la scène au studio, tu es avec un mec pour qui c’est évident, qui est capable de réinventer les codes de cette musique. C’est à la fois une école formidable -et vu la nature de nos rapports, ça l’était deux fois plus, j’étais dans les meilleures conditions pour apprendre-, mais quand tu dois te réaccaparer ton autonomie et ton identité, essayer d’exister par toi-même, il y a forcément un décalage. Pendant la création d’Enfant lune, j’ai cru crever artistiquement. Après Sale pute, vous l’avez vu dans la série Montre jamais ça à personne (un documentaire sur Orelsan, de ses premiers pas à Caen au succès médiatique et publique, ndlr), on était dans le mal. C’était la cabale dans les salles de concert à l’époque, on a vécu des trucs lunaires. Des gens s’enchainaient aux grilles. Orel a essuyé les plâtres pour je ne sais qui.
On entend carrément un grand orchestre sur le dernier titre, Couler des jours heureux …
Ça démarre piano/voix et on voulait cet aspect orchestré un peu épique pour finir, avec un côté Mike Dean. Je ne suis dans aucun calcul. Skread a rejoint le navire en cours de route pour nous filer son expertise marketing et sa vision du truc. Je voulais d’abord me faire plaisir. Je regrette un peu, j’ai retiré un sample d’une voix de Christophe, le chanteur, que j’ai rencontré peu de temps avant sa mort. Je parle de lui dans l’intro, « Au hasard du destin, je télescope le sien, avant qu’il parte, pourquoi pas faire un bout de chemin s’il en reste un, deux jouisseurs sans destin, on a refait la nuit et quelques parties de cartes, une dernière flush et puis tchao pantin (…) Là j’ai compris les mots bleus ». Je l’ai vu trois soirs chez lui et puis il y a eu le covid, et il est parti. On s’est juste télescopés pour le coup. Il m’avait entendu sur un podcast où je parlais de mon rapport à la nuit, c’est ce qui l’a séduit. Il a chopé la meuf du podcast, lui a dit « Ramène-moi Gringe, chope-moi son numéro ». Il m’a fait une proposition toute conne. Je suis allé chez lui boulevard Raspail et on a passé trois nuits à parler de tout, à faire du son. Couler des jours heureux, c’est d’abord un clin d’œil à lui.
Ça donnera quoi, Hypersensible sur scène ?
On est très ambitieux sur le live. J’aimerais qu’on soit nombreux, qu’on laisse respirer la musique, qu’on embarque les gens. On a casté un batteur et un clavier géniaux, avec DJ Pone qui a une énergie brute. J’ai quitté Astérios pour W Spectacle qui travaille avec Aloïse Sauvage et Suzane, ça bosse bien. Leurs premières paroles, c’était « On voit quelque chose de radical ». Ça m’a parlé.
Gringe Hypersensible (3e Bureau/Wagram Music) 2024.
En tournée à partir de novembre, La Cigale (Paris) le 5 décembre.
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Article publié le vendredi 27 septembre 2024
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