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Entretien avec Penda Seck Diouf, présidente de l’Association des Facilitatrices Africaines

Par Ghislaine Sathoud

La 54ème session de l’ONU sur le Statut de la femme, qui se déroula à New York du 1 au 12 mars 2010, rassembla des militantes dévouées à la cause des femmes. J’y ai participé dans le cadre de mes activités de lutte contre les violences faites aux femmes. A l’occasion de cette rencontre, j’eus l’immense plaisir de côtoyer des consœurs venues de divers horizons. Quelle expérience exaltante ! Oui, ce sont des souvenirs qui ne s’oublient pas…
Les échanges furent enrichissants : nous évoquâmes, dans un esprit de complémentarité, de cohésion et de solidarité, les enjeux cruciaux liés à la condition féminine.
Donc, des liens se tissèrent entre les participantes. Je fis la connaissance de Penda Seck Diouf : elle est formatrice et membre du comité directeur du comité de lutte contre les violences faites aux femmes ( CLVF Sénégal ).
Une chose est sûre, il est important de rappeler que la lutte contre les discriminations sexistes imposées aux femmes doit se poursuivre. En effet, pour prévenir et combattre ces féaux dramatiques, il faut sensibiliser l’opinion publique…
A travers cette interview, la présidente de présidente de l’Association des Facilitatrices Africaines se livre à coeur ouvert.
Entretien.


1) Pouvez-vous vous présenter pour nos lecteurs ?

Je suis Mme Penda Seck Diouf
Consultante/Formatrice
Présidente de l’Association des Facilitatrices Africaines (AFA/NENUPHAR)
Membre du comité directeur du comité de lutte contre les violences faites aux femmes- CLVF Sénégal


2) La lutte contre la violence conjugale est un défi planétaire. Cependant la perception de ce fléau est différente car elle varie selon le bagage culturel des individus. Par exemple, on sait que dans certaines sociétés, pour toutes sortes de raisons, la violence conjugale est « tolérée ». Nombreuses sont les victimes qui se murent dans le silence…
Êtes-vous confrontée à ce problème ?

Le Sénégal a comptabilisé au plan législatif des acquis importants en matière de lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles. Cependant des obstacles d’ordre socioculturel subsistent malgré toutes les actions d’information, de sensibilisation et de plaidoyer. C’est ainsi que parmi les obstacles relevés par le comité de lutte contre les violences faites aux femmes on peut citer :
- La peur du prétoire : Beaucoup de femmes victimes surtout en milieu rural ont peur du prétoire et ignorent tout des procédures judiciaires. « Amener au tribunal » a une connotation trop chargée pour de nombreuses personnes. Un procès sonne fort même pour des intellectuelles à plus forte raison pour des femmes analphabètes. Elle est encore forte dans nos communautés la perception selon laquelle « un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès ».
- La difficulté de produire des témoignages : la culture du signalement et de la dénonciation n’est pas très développée dans notre société surtout dans les zones les plus reculées. Elle n’est pas non plus valorisée par les communautés comme levier pour lutter contre les violences faites aux femmes et aux filles. Des témoins cités peuvent se rétracter au dernier moment suite à des pressions venant de leur famille ou de proches. La violence domestique est encore considérée par beaucoup comme une affaire privée à régler en famille et non être exposée sur la place publique.
- Les violences familiales qu’on étouffe : la victime ou la personne affectée préfère garder le silence pour ne pas être accusée de salir l’honneur de la famille et par conséquent risquer des représailles sociales.
- Le problème de la preuve : il incombe à la victime de produire la preuve et le doute bénéficie toujours au prévenu. Certaines violences sont particulièrement difficiles à prouver : C’est le cas du viol conjugal, de la mise à la retraite conjugale forcée, de l’abandon moral, de l’adultère.
- L’intervention de personnes influentes pour arrêter la plainte ou menacer la victime


3) Quelles actions menez-vous pour aider les victimes de la violence conjugale à briser le silence ?

- L’information/La sensibilisation :
- La dénonciation
- L’accompagnement psychosocial
- La vulgarisation des textes de protection des femmes
- L’implication des communautés
- Le réseautage

4) Pensez-vous que les mentalités des Sénégalais changent ?

Oui mais il reste encore beaucoup à faire. Vous savez notre société est fortement ancrée dans les valeurs culturelles. En plus l’analphabétisme frappe une frange importante de la population notamment les femmes surtout en milieu rural. Avec les actions d’information, de sensibilisation et de formation menées par le gouvernement(le ministère de la femme a même un plan d’actions sur les violences faites aux femmes) mais surtout par les organisations de la société civile comme le comité de lutte contre les violences faites aux femmes, les mentalités sont entrain d’évoluer. Mais ce n’est pas du jour au lendemain que les changements vont s’opérer. Les résultats seront progressifs. Donc il faut s’armer de persévérance et continuer les actions d’information, de sensibilisation et d’accompagnement pour que la victime ne se sente pas seule et isolée dans son combat, en privilégiant l’approche communautaire. La majorité de la population composée surtout de femmes est rurale et les communautés ont traditionnellement obtenu un droit de regard implicite. Il faut nécessairement les impliquer et en faire des partenaires véritables dans le processus de changement des comportements et mentalités. Les populations ont beaucoup plus peur de la sanction communautaire.


5) Lors de notre rencontre à New York, vous abordiez la question de la solidarité entre les leaders pour combattre la violence. Avez-vous des suggestions précises ?

En fait ce sont les leaders aussi bien intellectuelles que communautaires qui doivent jouer comme on le dit le rôle d’avant – garde en impulsant les actions et en travaillant avec leurs sœurs à la base pour apporter des réponses à leurs besoins et préoccupations dans le cadre des violences faite aux femmes. Au Sénégal le réseau des femmes leaders travaillent dans le sens d’amplifier l’information, de dénoncer les violences faites aux femmes mais aussi d’interpeller les pouvoirs publics en leur rappelant leurs engagements par rapport aux conventions ratifiées, par rapport à la mise en œuvre de la plate – forme de Beijing. Aussi ma conviction est qu’il faut nécessairement s’ériger en force de propositions et d’influences allant dans le sens d’une véritable éradication des violences faites aux femmes. Les violences faites aux femmes sont une violation des droits humains et constituent de ce fait un des facteurs notoires de renforcement des discriminations et inégalités.

6) Quels sont vos défis quotidiens et comment parvenez-vous à mener votre lutte dans un environnement où la dénonciation de la violence conjugale peut causer bien des désagréments ?

Le grand défi c’est d’amener les communautés à adhérer aux actions spécifiques (chaque localité ayant ses spécificités et violences les plus récurrentes même s’il y ‘a de nombreux points de convergence), à les impliquer dans l’identification des stratégies à mettre en œuvre, à les amener à être parties prenantes et à agir par elles – mêmes pour l’éradication des violences faites aux femmes.
L’autre défi est d’amener à comprendre et intérioriser surtout par les femmes qu’aucune tradition, culture ou religion ne saurait tolérer les violences faites aux femmes.
Enfin que le meilleur moyen de lutte est d’oser en parler, aussi bien par les victimes que par les personnes affectées. Se taire c’est se condamner soi – même. L’auteur de violences fait du silence de la victime sa principale complice. Il faut briser le silence en surmontant les tabous et les craintes liées à des croyances et préjugés sexistes, à une mauvaise interprétation de la religion. Les violences faites aux femmes ne sont rien d’autre qu’une question de relations de pouvoir entre l’auteur de la violence et sa victime.

7) Avez-vous un dernier mot ?

Les violences faites aux femmes ne connaissent pas de frontières, ni de race, de culture même si chaque pays a ses spécificités. Elles n’ont aucune logique. Partout les femmes subissent à peu près les mêmes formes de violences : physiques, morales, sexuelles, conjugales. C’est malheureux mais ce que les femmes partagent le plus partout dans le monde ce sont les violences faites aux femmes. En entendant les sœurs du Canada témoigner à New York c’est comme si une sœur du Sénégal victime de violences avait pris la parole. Les femmes doivent, en collaboration avec les hommes, traverser les frontières en mutualisant les expériences et efforts pour barrer la route aux violences faites aux femmes devenues la plus grave des violations des droits humains, un phénomène qui à l’heure actuelle entrave tous les efforts de promotion des droits des femmes en matière d’égalités, d’autonomisation et d’exercice réel de la citoyenneté. Tant qu’il y’a les violences faites aux femmes, le monde ne peut nourrir l’espoir de réaliser les OMD. A l’évaluation de la décennie des OMD cette année, l’accent devra être particulièrement mis sur l’hypothèque sur la réalisation des OMD que constitue toute possibilité de perpétuation des violences faites aux femmes.


Article publié le jeudi 4 novembre 2010