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Véronique TADJO - l'écriture
passion, l'écriture réalité : "Vous n’avez jamais entendu dire que la
réalité peut être plus forte que la fiction ?"
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PlaneteAfrique : Bonjour Véronique, un des aspects immédiatement
visible de votre personnalité, c'est sa mobilité ! Y trouvez-vous
l'inspiration pour l'écriture ?
Véronique Tadjo : Absolument. C’est important pour moi d’aller vivre
dans différents pays car cela me permet de relativiser les choses et de voir
ce qui se fait ailleurs que chez moi. Souvent, on ne s’en rend pas compte,
mais nous luttons pour résoudre les mêmes problèmes. Cependant, nous le
faisons chacun de notre côté alors qu’il serait tellement mieux d’échanger
nos expériences et nos idées.
PlaneteAfrique : Un autre aspect de votre grande personnalité : le
métissage. J’entends par là culturel et linguistique. Pourquoi votre choix
pour l’Afrique du Sud ?
Véronique Tadjo : Mon métissage est à la fois culturel et biologique.
Mais mon engagement envers la Côte d’Ivoire et l’Afrique est total.
L’Afrique du Sud m’a toujours fascinée à cause de la lutte contre
l’apartheid. Lorsque Nelson Mandela a été libéré et qu'en 1994, l’ANC est
arrivé au pouvoir, j’ai tout de suite su que je me rendrais en Afrique du
Sud. Mon mari étant journaliste, nous avons décidé d’aller là-bas pendant
quelques années pour observer de près le processus de transition et
l’avènement de l’Afrique du Sud nouvelle.
PlaneteAfrique : Vous approchez tous les thèmes avec un sérieux,
une gravité dans leur choix.
Véronique Tadjo : Vous savez, tout est une question de tempérament.
On ne contrôle pas nécessairement sa nature profonde. Les thèmes me viennent
naturellement. Peut-être ai-je tendance à prendre la vie un peu trop au
sérieux. Mais comment faire autrement quand on voit tout ce qui se passe sur
notre continent : guerres, pauvreté, Sida ? Il n’y a pas vraiment de quoi
rigoler. Et pourtant, je trouve que l’humour, par exemple, est une qualité
essentielle de la vie. Il aide à surmonter les lourdeurs du monde et j’aime
beaucoup rire.
PlaneteAfrique : Il me semble qu’un diptyque profond est apparent
chez vous : le monde de l’enfant et celui de l’adulte. N’est-ce pas ?
Véronique Tadjo : Je ne vois pas cela sous cet angle. Pour moi, il
n’y a pas d’opposition véritable, dans le sens où les enfants vivent dans
notre monde d’adultes et souffrent de nos erreurs. Les enfants que nous
étions déterminent qui nous sommes aujourd’hui. Tout se tient. J’écris pour
la jeunesse et pour les adultes, mais pour moi c’est simplement deux
manières différentes de dire. Quand je parle à un enfant, je n’utilise pas
le même langage. Sans condescendance, j’essaie de trouver les mots qui vont
le toucher. Je respecte l’enfance et cette période capitale de notre
formation. Souvent, je réalise que j’aborde des thèmes semblables au niveau
des adultes et des jeunes, mais je ne les traite pas de la même façon.
PlaneteAfrique : Votre besoin de liberté est il à l’origine de «Talking
drums » ?
Véronique Tadjo : Je ne comprends pas très bien la question. Est-ce
que vous voulez parler de mon utilisation de la langue anglaise ? Si oui,
alors je vous répondrai que cette langue prend de plus en plus d’importance
pour moi. J’ai habité au Nigéria, au Kenya, en Grande Bretagne, et je suis
en Afrique du Sud, maintenant. Sans compter que ma spécialisation est dans le
domaine anglo-américain.
La langue anglaise me donne accès à tout un autre monde, en particulier
celui de l’Afrique anglophone. Regardez en littérature, il y a tant de
grands noms : Wole Soyinka, Nadine Gordimer, Chinua Achebe, N’gugi Wa
Thiongo, Ama ata Aidoo, Nuruddin Farah et j’en passe.
PlaneteAfrique : Vous avez séjourné, traversé des pays d’Afrique
meurtris par des guerres de toutes sortes. Quelles leçons personnelles en
avez-vous tirées ?
On a beau penser qu’on va tirer des leçons des guerres, tout semble pareil.
Les hommes ont une capacité énorme à oublier et à ne pas changer. Pour cette
raison, la préservation de la mémoire reste pour moi un travail prioritaire
de façon à ce que les générations suivantes puissent savoir ce qui s’est
passé. Je m’intéresse à ce que nous avons retenu de l’histoire et j’essaie
d’analyser cette histoire. Cela reste cependant un travail littéraire. Sur
le plan personnel, je pense que ces séjours m’ont rendue plus alerte, plus à
même de reconnaître les dérives et les dangers qui nous menacent.
PlaneteAfrique : Les conflits majeurs africains ont fortement
influencé votre écriture. Pensez-vous que l’Afrique entre dans une prochaine
stabilité politique ?
Véronique Tadjo : Si elle entre dans une prochaine stabilité
politique, ce ne sera pas pour maintenant, c’est à dire pas pour notre
génération. Avec nos « pères », nous avons échoué à rendre la vie meilleure
sur le continent. Tout ce que nous pouvons faire en ce moment c’est
travailler à réparer nos erreurs et essayer d’obtenir un minimum de paix
pour permettre aux économies de se rétablir. Cela peut paraître pessimiste,
mais il faut voir la réalité en face. Le seul véritable espoir est sans
doute dans la société civile et son renforcement. Les hommes politiques nous
ont trop souvent montré qu’ils ne pensaient qu’à leurs propres intérêts.
PlaneteAfrique : La fiction pour vous ne semble avoir de dimension
que lorsqu’elle est étroitement liée au réel. Contradiction, non ?
Véronique Tadjo : Vous n’avez jamais entendu dire que la réalité peut
être plus forte que la fiction ? Ce qui m’intéresse, c’est de partir de la
réalité et ensuite de m’en détacher totalement. Je cherche à amener le
lecteur sur un terrain connu afin qu’il me fasse confiance. Après, il me
suivra plus facilement dans un monde de fiction. Je crois que dans la vie,
nous mélangeons aisément le réel et l’imaginaire. Les sphères ne sont pas
clairement délimitées.
PlaneteAfrique : Le thème de la vie-la mort : est-ce votre
sensibilité qui vous y conduit inlassablement ou le constat d’un monde
réellement malade ? Est-ce aussi un thème de votre prochain roman ?
Véronique Tadjo : Notre existence est déterminée par notre naissance
et notre mort. Qu’y a-t-il d’autre ?
Ce qui me préoccupe, ce n’est pas tant la mort que la cruauté qui sommeille
en tout être humain et qui lui donne la capacité de tuer. Notre existence
sur terre est une bataille constante entre nos pulsions de vie et de mort.
PlaneteAfrique : Votre mot de la fin, Véronique.
Véronique Tadjo : Mon prochain roman parlera de la Reine Abraha Pokou,
fondatrice du royaume Baoulé en Côte d’Ivoire. Elle dut sacrifier son enfant
pour sauver son peuple. Je me penche sur l’idée de sacrifice et j’essaie de
comprendre comment un tel acte a pu être glorifié.
PlaneteAfrique - 2003 |
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