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 Ghislaine SATHOUD
 


HYMNE À LA TOLÉRANCE

Bonjour Ghislaine. Vous publiez votre nouvel ouvrage HYMNE À LA TOLÉRANCE. Son titre est-il révélateur de son contenu? Est-ce une leçon de morale que vous donnez ?

Pas du tout ! Je n’aime pas donner des leçons de morale. En général ceux qui donnent des leçons ne sont pas exemplaires (rires). Donner des leçons, c’est quelque part une relation de pouvoir, c’est le désir d’empiéter sur les autres. Quand on s’érige en donneur de leçons, on ne supporte pas de rencontrer de la résistance. On veut imposer son opinion coûte que coûte. On veut que tout le monde se plie à sa volonté et on se prend pour le nombril du monde. On développe des stratégies pour forcer à obtempérer ceux qui ne prennent pas nos propos pour des vérités d’évangiles. Il suffit de rencontrer une opposition de la part de ceux qui n’y croient pas pour arriver à des situations parfois dramatiques.


L’écriture pour moi c’est une relation d’échange, de partage et d’harmonie. Je n’impose rien, parce que je n’ai pas le monopole de la vérité. Écrire pour moi c’est une relation respectueuse et harmonieuse avec le lecteur. J’écris pour partager le fruit de mon imagination avec les autres. Mais aussi pour entrer en contact avec les autres. Hymne à la tolérance est un hymne à la paix. Un appel à l’acceptation de la diversité. La tolérance dans toutes les relations (amicales, fraternelles). La tolérance et le respect dans les relations avec les autres. La tolérance devrait s’appliquer partout. Mais encore et surtout, la tolérance évite les disputes et finalement les débordements. La tolérance c’est aussi l’acceptation des différences.

Hymne à la tolérance est-il un ouvrage qui s'inscrit dans votre pensée littéraire habituelle ?

Oui. Comme je le disais déjà, j’écris pour communiquer avec les autres. C’est seulement la façon de passer le message qui change. Je veux parler du genre littéraire. Cette fois-ci, j’ai choisi le genre romanesque. Ce roman raconte l’histoire d’une jeune fille ambitieuse et remplie de rêves qui s’accroche aux études et cherche à échapper à la situation familiale précaire dans laquelle elle vit. Malheureusement, elle se retrouve en Occident et réalise que toutes les promesses faites pour convaincre ses parents de la laisser partir n’étaient que du vent. Elle cherche à sortir de ce gouffre car elle ne supporte pas de vivre en Occident et de ne pas aller à l’école alors que dans son pays, elle était une brillante élève. Dans ce parcours semé d’embûches, Isati, l’héroïne rencontre l’amour.

En écrivant Hymne à la tolérance, à quels publics le destiniez-vous ?

À tous les publics. La tolérance, comme je le disais déjà, c’est quelque part l’acceptation des différences. Et ça c’est applicable à tout le monde, enfants, jeunes, vieux... Aujourd’hui même au niveau des écoles primaires, dans le cadre de la prévention de la violence, plusieurs ateliers se donnent. Plus tôt commence la sensibilisation à une culture de paix, meilleurs seront les résultats. La tolérance est finalement applicable partout où il y a des relations humaines. Quand quelqu’un se sent rejeté, il est frusté et c’est le début du cercle interminable de problèmes.

Vous avez déjà publié de nombreux articles dont « Quand des cultures cohabitent, dialoguent et s'affrontent : la vie trépidante des immigrantes africaines au Québec... » publié en avril 2004. Votre vie canadienne est-elle la source de votre inspiration ?

Oui, je m’inspire beaucoup de l’environnement dans lequel je vis. Mais l’Afrique reste aussi une source d’inspiration pour moi. L’éloignement renforce quelque part mon attachement à mes origines et je puise dans mes racines des outils pour entrer en contact avec les autres. Dans mon roman Hymne à la tolérance par exemple, l’histoire commence en Afrique et se termine en Occident.

Vous disiez à propos de la journée du 8mars : « ... la journée internationale de la femme, ce n’est pas seulement le 8 mars… La journée internationale de la femme, c’est tous les jours! Il ne faut jamais abandonner nos rêves et persévérer dans ce que l’on fait ». J'ai le sentiment que votre livre Hymne à la tolérance s’inscrit dans le droit chemin de cette pensée.

C’est vrai que la journée de la femme ce n’est pas seulement le 8 mars. Tous les jours les femmes ont des revendications à faire. Tous les jours il y a des injustices. J’ai été engagée par un organisme ici pour participer à un dossier sur la violence conjugale en milieu ethnoculturel. Il s’agit de sensibiliser les hommes à la question de la violence. J’ai la confirmation de ce que je savais déjà. En effet, je m’aperçois tous les jours que les femmes sont confrontées à plusieurs problèmes. Et, si on devait attendre seulement au 8 mars pour les régler, ce serait impossible de relever ce défit.

Pour ce qui est des rêves, il faut y croire et tenir fermement le bon bout pour les réaliser. Rien n’est facile dans la vie. Rien n’est donné sur un plateau d’argent. Dans toutes nos entreprises, nous rencontrons des difficultés, des obstacles, des trahisons, des peaux de bananes aussi, mais il faut croire en ce que l’on veut et ne pas abandonner. La persévérance et la patience sont les deux mots magiques pour la réussite dans toutes nos entreprises. Quant au rapport avec mon livre, d’une certaine manière, oui la tolérance rime avec la persévérance. La tolérance c’est quoi? C’est l’acceptation de l’autre. La tolérance c’est comprendre qu’il faut de tout pour faire un monde. La tolérance c’est comprendre que l’on n’est pas seul sur la terre et qu’on ne peut pas imposer ses opinions à tout le monde.

Vous portez une attention particulière à la question des droits des femmes. On a constaté que vous développez également une passion pour la participation de la population à la vie municipale, comment expliquez-vous cet intérêt ?

Effectivement j’ai un grand intérêt pour la politique municipale. En fait, les articles que je publie sur la démocratie municipale s’inscrivent dans la continuité de mon travail à la ville de Montréal. J’ai envie de dire que c’est de mon travail que je tire les informations nécessaires. J’ai mené des recherches pour la préparation du « troisième sommet des citoyens sur la participation de la population sur l’avenir de Montréal » qui a eu lieu du 17 au 19 septembre dernier à Montréal. J’ai également collaboré à un document intitulé : la vie démocratique montréalaise : une revue des grands dossiers. Nous étions trois chercheurs à travailler sur la participation de la population montréalaise à la vie municipale sous divers angles. Les résultats de nos recherches ont été publiés dans le document en question.

Je suis passionnée par ce travail qui me donne l’occasion d’être en contact avec des gens de milieux divers et variés. Disons que j’aime bien ce que je fais alors j'ai pris l’habitude de publier des articles. Mon intérêt pour la condition de la femme n’a pas changé pour autant. D’ailleurs comme je le disais déjà, en marge de mon travail, je participe à une recherche sur la violence conjugale en milieu ethnoculturel et nous menons un travail de fond pour sensibiliser les hommes à cette problématique qui a des conséquences dévastatrices sur les victimes.

Pouvez-vous nous parler de votre expérience au Canada.

J’ai quitté mon pays le 23 décembre 1995 pour Paris. Je n’ai subi aucune pression pour quitter mon pays, heureusement pour moi. Pour ceux qui ne demandent pas le statut de réfugié, le parcours est différent. C’est donc à l’ambassade canadienne de Paris que j’ai effectué toutes mes formalités pour l’obtention de mon visa d’études. Nous étions en famille avec un fils qui avait deux ans à l’époque.

L’attente pour obtenir le visa a duré un mois. Durant l’attente de mon visa j’ai perdu mon père qui prévoyait venir en France pour des soins médicaux. À quelques heures de notre départ de Paris, puisque nous prenions le même avion, il a décidé de rester pour partir une semaine plus tard à cause d’une fièvre bénigne. J’étais persuadée de voir mon père et ma mère à Paris avant mon départ pour le Canada. D’ailleurs, j’avais même laissé quelques bagages qu’ils devaient m’apporter à Paris… Je tenais quand même à souligner cet élément qui a été traumatisant pour la poursuite de mon périple. Mais je vous épargne les détails! C’est donc en orpheline que j’ai pris l’avion pour Toronto où je n’étais qu’en transit en direction de Montréal, car ma destination finale était Sherbrooke. Nous sommes arrivés le 23 janvier 1996, alors que l’hiver battait son plein. Je m’inquiétais beaucoup à cause du froid. Bien qu’ayant passé quelques années en France, j’ai toujours eu des problèmes avec le froid. Et puis, ici, l’hiver est infiniment plus rude qu’en France.

Vous arrivez à Sherbrooke et...

… Et c’était assez déprimant et révoltant de recommencer ainsi la vie, de s’acheter à nouveau ce que l’on a déjà possédé. Et ce qui était encore plus pénible, c’était de se retrouver si loin dans un pays où l’on ne connaît presque personne et surtout dans la situation de nouveaux arrivants. Bien entendu, dans cette situation et durant cette période d’observation, il était impossible de mener le même train de vie qu’au Congo. Il fallait d’abord apprendre à connaître le pays, trouver le moyen de s’y adapter… Bien évidemment, mon état d’esprit avait aussi des répercussions sur ma carrière littéraire. Je ne peux pas dire que j’avais abandonné ma passion d’écrire pendant cette période. Je pense même qu’elle a contribué à me donner la force de tenir le coup. Toutefois, je ne pouvais pas donner le meilleur de moi-même. J’ajoute aussi que dans un nouvel environnement, il faut être au mieux de sa forme pour bénéficier de la confiance des gens et se frayer un chemin… C’est valable dans toutes nos entreprises…

Lorsque ma pièce de théâtre « Les maux du silence » a été sélectionnée pour être interprétée lors de la Marche mondiale de la femme, je vivais déjà à Montréal. Comme par hasard, la pièce devait être jouée par le théâtre « Les petites lanternes », une troupe théâtrale de Sherbrooke dirigée par Angèle Seguin… Et c’est avec beaucoup d’émotion que je suis retournée à Sherbrooke. Finalement un autre événement s’est ajouté aux nombreuses autres occasions qui me lient encore à Sherbrooke.

Qu’est-ce qui a été le plus difficile ?

Dans ce nouveau pays, j’ai dû apprendre à m’occuper seule de mon enfant. Aussi banal que cela puisse paraître, j’ai ressenti tout de suite la différence. Ce n’est pas seulement le fait de passer des journées entières seule avec mon fils qui m’oppressait. C’est surtout le fait que dans mon pays, je bénéficiais de l’assistance de ma mère, ma grand-mère et des autres membres de la famille. Comment ne pas ressentir le changement ? C’était une période pénible. L’isolement contribuait beaucoup à rendre le contexte plus dramatique et dégoûtant. J’en parlais à ma mère lors de notre rencontre en France en 2001. C’était la première fois que je la rencontrais depuis que j’avais quitté le Congo en décembre 1995. Quand je l’avais vue pour la dernière fois, elle était encore une épouse. Et là, je retrouvais non seulement une mère, mais aussi une veuve. C’est toute une différence !

Autre chose concernant vos « premiers pas » au Canada ?

J’ai vécu à Sherbrooke, une ville éloignée de la métropole, jusqu’en mars 1999. À mon arrivée à Sherbrooke, j’étais malheureuse. Je souhaitais vivre dans une ville plus grande comme Montréal par exemple. Mais au moment de quitter cette ville, j’ai eu un pincement au cœur. Oui un pincement parce que je commençais à m’y habituer. J’en ai gardé des bons souvenirs et des moins bons aussi. J’ai dû me rendre à Seattle aux USA, avec ma fille âgée de deux ans alors que j’étais enceinte. Nous avions une entrevue avec l’ambassade du Canada pour l’obtention de la résidence permanente. Il fallait absolument remplir cette exigence pour continuer l’étude de notre demande de résidence permanente car nous étions considérés comme des « immigrants indépendants ». Les immigrants indépendants sont des personnes qui présentent une demande de résidence permanente au Canada. Ces immigrants sont évalués d’après un système de sélection qui tient compte de plusieurs critères dont la scolarité, l’expérience professionnelle, la connaissance de la langue (français ou anglais). Bref la liste est longue. En plus de tous ces critères, il faut apporter la preuve que nous disposons des ressources financières nécessaires pour vivre au Canada pendant une période donnée sans avoir besoin d’une aide financière du gouvernement. Même si nous vivions au Canada, il fallait déposer la demande dans une ambassade canadienne. Nous avons choisi une ambassade aux États-Unis à cause de la proximité. J’ai dû partir, laissant ainsi notre premier fils à Sherbrooke. Fort heureusement, il y avait mon frère et des amis qui veillaient sur lui en notre absence. Là encore, c’était une grande épreuve pour nous. Arrivés à Seattle dans la nuit, notre préoccupation première a été de retrouver l’hôtel où nous avions fait une réservation avant de quitter le Canada. Il nous fallait nous reposer au plus vite pour ne pas être en retard à l’entrevue le lendemain. Tout cela, dans mon état vulnérable de femme enceinte, avec ma fille dans les bras qui ne savait pas trop ce qui se passait et surtout l’inquiétude au ventre en pensant à ceux qui étaient restés seuls au Canada : mon frère et mon fils. Nous étions chanceux dans notre « malheur » parce que ceux qui ont moins de quatorze ans ne sont pas obligés de se présenter à l’entrevue. C’est pourquoi mon fils qui était né du Congo ne nous accompagnait pas. Ma fille m’accompagnait parce que je ne voulais pas prendre le risque de la laisser. La seule solution était de « l’entraîner » dans cette aventure où l’adrénaline était au maximum. Elle est née au Canada et bénéficie à ce titre de la citoyenneté.

L’immigration c’est une aventure pleine de rebondissements, d’espoirs, de faux espoirs et de désespoir parfois. En franchissant une barrière, une autre se dresse. Il y a toujours une nouvelle barrière. Toujours un nouveau défi. Ce n’est jamais fini! Nous avons quitté Seattle avec une incertitude car tout n’était pas encore bien clair sur la décision de nous donner la résidence permanente ou pas. Le stress était toujours présent comme avant le départ, peut-être même plus. Enfin, ce n’est que trois mois plus tard, après des pourparlers téléphoniques parfois infructueux et toujours angoissants que la résidence permanente nous a été délivrée. Quelques jours seulement après la validation de la résidence, j’accouchais de mon dernier fils, celui qui m’accompagnait dans mon ventre au cours de cette aventure. Comme s’il fallait que tout se règle avant sa naissance pour lui donner un peu de repos. Comme s’il voulait en finir avant que l’on ne fasse « réellement connaissance ». Ce fut un grand soulagement et le couronnement de gros efforts et de sacrifices pour toute la famille.

Quelques années plus tard, j’ai passé un examen écrit pour devenir citoyenne canadienne.

À cause du problème de reconnaissance des diplômes obtenus en dehors du Canada et des États-Unis, j’ai été obligée, comme plusieurs immigrants, de retourner aux études. Aujourd’hui, je suis détentrice d’une maîtrise en science politique (ce qui équivaut à un doctorat troisième cycle) obtenue à l’Université du Québec à Montréal.

Je peux en parler avec facilité à présent… Mais j’avoue toutefois qu’il m’arrive de me demander comment j’ai pu « survivre » à toutes ces épreuves.

Un dernier mot ?
Oui. Vous remercier de m’avoir accordé cette charmante entrevue.

 

 Ghislaine Sathoud - PlaneteAfrique décembre 2004

 
 
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