senegal

Accueil
senegal

CRISE DES MÉDIAS, SOUTIEN AUX SYNDICATS : Le Sénégal définit-il sa démocratie ? | EnQuete+

Traduction
Augmenter la taille de la police Diminuer la taille de la police print send to Comments
Lectures : 59

 :CRISE DES MÉDIAS, SOUTIEN AUX SYNDICATSLe Sénégal définit-il sa démocratie ?

 

Au Sénégal, les syndicats et la presse jouent un rôle central dans la construction et le maintien de la démocratie. En tant que contre-pouvoirs, ils contribuent à l’équilibre social, à la défense des droits des travailleurs et à la promotion de la liberté d’expression. Cependant, ces deux secteurs traversent actuellement des périodes de turbulences, marquées par des tensions avec l’État, des difficultés financières et des accusations de partialité. Dans ce contexte, le Pacte de stabilité sociale, qui prévoit une subvention annuelle de 300 millions F CFA aux quatre centrales syndicales les plus représentatives ainsi que les défis auxquels fait face la presse sénégalaise, soulève des questions cruciales sur l’avenir du dialogue social et de la liberté de la presse dans le pays.

 

Le ministre du Travail, Abass Fall, a récemment annoncé que l’État octroierait une subvention annuelle de 300 millions F CFA aux quatre centrales syndicales les plus représentatives dans le cadre du Pacte de stabilité sociale. Cette décision, bien que visant à renforcer le dialogue social et à soutenir le fonctionnement des syndicats, a suscité des réactions mitigées.

Selon Abass Fall, cette subvention a pour but de ‘’renforcer le fonctionnement des centrales syndicales et de soutenir le dialogue social’’. Il a précisé que la première avance de ces fonds a déjà été signée, soulignant ainsi la volonté du gouvernement de maintenir un dialogue ouvert avec les partenaires sociaux. ‘’Quand je suis arrivé, j’ai reçu les centrales syndicales dès la fin janvier’’, a-t-il rappelé, insistant sur l’importance de discussions franches et responsables pour concilier les intérêts des travailleurs et ceux de l’économie nationale.

Les réactions des syndicats et de l’opinion publique

Cependant, cette annonce a provoqué un tollé sur les réseaux sociaux, où certains ont accusé les syndicats de corruption passive. Ces critiques, souvent portées par des enseignants et d’anciens syndicalistes, reflètent une méfiance croissante envers les institutions syndicales perçues comme étant trop proches du pouvoir.

Pourtant, comme le souligne un observateur, ‘’dans un pays comme la France, les principales organisations syndicales et patronales ont reçu 147,2 millions d’euros en 2023 pour financer leurs missions de dialogue social’’. Cette comparaison met en lumière le double standard appliqué aux syndicats sénégalais, souvent critiqués pour des pratiques qui sont pourtant courantes dans d’autres démocraties.

Dans sa déclaration, Bamba Diop, secrétaire général chargé des revendications de l'Intersyndicale des travailleurs des collectivités territoriales, apporte un éclairage historique et contextuel sur l'octroi des 300 millions F CFA aux centrales syndicales sénégalaises.

Il commence par rappeler que la demande de subvention aux centrales syndicales remonte à l’époque d’Abdoulaye Wade (qu’il appelle "Ablayouad").

Selon lui, les syndicats ont toujours plaidé pour un soutien financier de l’État, arguant que dans de nombreux pays, les centrales syndicales reçoivent des subventions pour assurer leur fonctionnement et remplir leur mission de service public. Cette demande s’inscrit dans une logique où les syndicats sont considérés comme des ‘’prolongements de l’État’’, chargés de missions d’intérêt général, notamment la défense des droits des travailleurs et la promotion du dialogue social.

Bamba Diop explique que, sous le régime Abdoulaye Wade, une subvention de 600 millions F CFA avait été envisagée pour les centrales syndicales. Cependant, cette subvention était conditionnée à l’organisation d’élections de représentativité. L’objectif était de s’assurer que seules les centrales syndicales ayant un seuil minimal de représentativité (fixé à 5 %) bénéficieraient de cette aide. Cette condition visait à garantir que les fonds publics soient alloués de manière transparente et équitable, en fonction du poids réel de chaque syndicat.

La mise en œuvre sous Macky Sall

Le syndicaliste explique que, malgré l’accord initial, la  subvention de 600 millions F CFA n’a pas été exécutée sous Abdoulaye Wade, en raison de difficultés financières. Ce n’est qu’en 2012, sous Macky Sall, que la subvention a été mise en place, mais avec un montant réduit à 300 millions F CFA. Cette réduction était justifiée par les contraintes budgétaires de l’époque, avec la promesse d’une augmentation progressive pour atteindre les 600 millions initialement prévus.

Cependant, cette augmentation n’a jamais eu lieu et le montant est resté fixé à 300 millions F CFA.

Bamba Diop précise que la subvention est répartie entre les centrales syndicales en fonction de leur représentativité. Chaque syndicat reçoit un montant proportionnel à son poids dans les élections de représentativité. Cette méthode permet, selon lui, une répartition équitable et transparente des fonds publics. Il insiste sur le fait que cette pratique est ‘’très normale’’ et ‘’très légitime’’, car elle s’inscrit dans une logique de soutien à des organisations qui jouent un rôle essentiel dans la société.

Pour beaucoup d’observateurs, les syndicats jouent un rôle essentiel dans la pacification du front social et la défense des droits des travailleurs. Leur financement par l’État ne doit donc pas être perçu comme une forme de corruption, mais plutôt comme un investissement dans la stabilité sociale. Comme le souligne un commentateur, ‘’on devrait se réjouir de ce que l’État finance les activités des syndicats, car ils font partie du système démocratique et sont co-responsables de la pacification du front social’’.

La presse sénégalaise : un secteur en crise

Alors que les syndicats bénéficient d’un soutien financier de l’État, la presse sénégalaise traverse une crise sans précédent. Les mesures prises par le gouvernement, notamment la résiliation des contrats de publicité, le blocage des créances et le gel de l’aide à la presse ont plongé de nombreux médias dans une situation financière critique.

Mamadou Ibra Kane, président du Conseil des diffuseurs et éditeurs de presse du Sénégal (Cdeps), a dénoncé les actions du ministre de la Communication, qu’il accuse d’avoir instauré une tension préjudiciable dans le secteur. ‘’Nous avons vu tous les contrats de publicité de l’État résiliés de manière unilatérale. Il y a eu le blocage des créances dues aux entreprises de presse par l’État du Sénégal. Et maintenant, il y a eu également le blocage des comptes bancaires’’, a-t-il déclaré. Ces mesures ont conduit de nombreuses entreprises de presse à la faillite, entraînant des licenciements massifs et des retards de salaire pouvant dépasser six mois.

L’aide à la presse, souvent critiquée pour son manque de transparence, a également été suspendue. Mamadou Ibra Kane a dénoncé cette décision, affirmant qu’elle viole la loi de finances de 2024. ‘’C’est un budget qui est voté par l’ordonnateur des dépenses conformément à la loi de finances de 2024’’, a-t-il rappelé. Il a également condamné les critères d’attribution de l’aide, jugés opaques, tout en insistant sur la nécessité de maintenir ce soutien financier pour garantir la viabilité économique des médias.

La crise que traverse la presse sénégalaise a des implications profondes pour la démocratie. En affaiblissant les médias, le gouvernement risque de saper l’un des principaux contre-pouvoirs du pays. Comme le souligne le fondateur du défunt journal ‘’Stade’’, ‘’ beaucoup d’entreprises de presse ne savent pas si elles ont une existence légale ou pas, que cette existence est remise en cause par le ministre de la Communication’’. Cette situation a poussé certains médias à s’exiler, comme Dakar Actu et le groupe D-Media, qui ont ouvert des représentations en Côte d’Ivoire et en Gambie.

Les syndicats et la presse : deux piliers de la démocratie en péril

Les syndicats et la presse sont deux piliers essentiels de la démocratie sénégalaise. Leur affaiblissement, qu’il soit dû à des tensions avec l’État ou à des difficultés financières, représente une menace pour l’équilibre social et politique du pays.

Comme le souligne un observateur, ‘’au Sénégal et ailleurs, la presse et les syndicats ont un rôle de contre-pouvoir’’. Ils jouent un rôle crucial dans la défense des droits des citoyens, la promotion de la transparence et la lutte contre les abus de pouvoir. Leur affaiblissement risque donc de compromettre les avancées démocratiques réalisées au cours des dernières décennies.

Pour relever ces défis, il est essentiel que l’État adopte une approche plus inclusive et plus transparente dans ses relations avec les syndicats et la presse. Les subventions aux syndicats doivent être perçues comme un investissement dans la stabilité sociale, tandis que l’aide à la presse doit être rétablie et attribuée de manière équitable et transparente.

Le rôle des syndicats et de la presse au Sénégal est plus important que jamais, dans un contexte marqué par des tensions sociales et politiques.

Amadou Camara Gueye

Section: social
Article publié le jeudi 27 février 2025
59 lectures

Infos par pays