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Extradition de François Compaoré : « Le Burkina Faso a fait ce qu’il fallait », estime le juriste internationaliste Fouré Akim Alpha Daouda Hema - leFaso.net
Le 7 septembre 2023, la Cour européenne des droits de l’homme a annoncé qu’elle s’opposait à l’extradition de François Compaoré de la France vers le Burkina Faso. Pour comprendre les raisons d’une telle décision, Lefaso.net a interrogé Fouré Akim Alpha Daouda Hema. Il est juriste, spécialiste des questions de droit international, des droits de l’homme, de droit international pénal et du droit institutionnel.

Lefaso.net : En français facile, quelle a été la motivation de la Cour européenne des droits de l’homme pour rejeter la demande d’extradition de François Compaoré ?

Hema Fouré Akim Alpha Daouda : La Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH) a motivé sa décision par deux arguments sur le fondement de l’article 03 de la Convention européenne des droits de l’homme à savoir les effets du risque pour le requérant (Paul François Compaoré) d’être condamné à une peine d’emprisonnement à vie incompressible en cas de renvoi vers le Burkina Faso. Bien que la législation pénale du Burkina ait évolué depuis 2017 avec l’abolition de la peine de mort, la prison à vie reste d’actualité.

Le second argument repose sur le risque du requérant à être soumis à des conditions de détention indignes, voire à la torture. Nous ne pouvons nullement occulter les conditions de détention dans les prisons au Burkina Faso. Mais pour la cause du cas d’espèce, le gouvernement sous le président Roch Marc Christian Kaboré en 2020 avait donné des assurances en la matière. Si ces assurances étaient considérées comme fiables avant, ce qui a d’ailleurs conduit l’Etat Français à autoriser l’extradition de François Compaoré, la CrEDF, elle, n’a pas été assez convaincue en raison de l’actualité du Burkina Faso.

Cette position était-elle prévisible ?

Juridiquement, l’issue d’un procès est difficilement connue d’avance. La raison est que devant le juge, la force des arguments est prédominante. Dans cette affaire, le requérant a avancé des arguments qui ont retenu favorablement l’attention de la CrEDH et la décision a été rendue en sa faveur. En matière de contentieux international, au-delà des aspects purement juridiques sur lesquels la juridiction se fonde pour rendre sa décision, la quête de la compréhension du fonctionnement de la juridiction ayant statué en la matière est également importante à rechercher. Pour ce qui est du cas spécifique de la CrEDH, en rapport avec cette décision, la CrEDH a tout simplement puisé des éléments qui renforcent son argumentaire et soutiennent sa décision dans sa jurisprudence (ensemble des décisions qu’elle a rendues).

L’exigence faite aux Etats contractants de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) de s’assurer que les pays qui demandent l’extradition disposent d’une législation et des conditions de détention favorables au respect de l’article 3 de la CEDH est primordiale aux yeux de la CrEDH, sans quoi, elle sera contrainte de ne pas valider l’extradition et cela dans la logique de sa jurisprudence. Dans sa jurisprudence antérieure, dans les affaires telles que les affaires Soering c. Royaume-Uni en 1989 (La CrEDH a dit pour la première fois que la responsabilité d’un État peut être engagée s’il extrade une personne susceptible de subir de mauvais traitements dans le pays de destination). Autres exemples, dans l’affaire Lopez Erloza c. Espagne en 2017, ou encore dans l’affaire Qatada c.Royaume-Uni en 2012, la CrEDH avait analysé ces situations assez similaires du cas au regard du respect de l’article 3 de la CEDH. Cet article énonce que « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».

Le Burkina Faso a traversé deux coups d’État après avoir donné les assurances de garantir les conditions de détention et de procès équitable comme le veut la CEDH d’une part et d’autre part la détérioration de ses rapports diplomatiques avec la France. Ce sont des éléments qui ont favorisé la décision de la CrEDH. En termes clairs, si les relations diplomatiques entre le Burkina Faso et la France étaient bonnes, M. Paul François Compaoré serait extradé au Burkina Faso sur décision de la CrEDH.

Quel a été le « péché » de la partie burkinabè dans cette affaire ?

Parler de « péché » c’est trop dire. C’est plutôt le système d’extradition qui n’a pas été favorable au Burkina Faso. Comprenons ici que la procédure ne concerne pas que le Burkina Faso. Aussi, prenons en compte l’analyse des assurances données par le Burkina Faso devant la CrEDH. S’agissant de la conduite de la procédure, on peut se rendre compte que la France et le Burkina Faso étaient du même côté, d’ailleurs la requête ne visait pas directement le Burkina Faso, mais un acte de la France qui autorisait l’extradition de M. Paul François Compaoré au Burkina Faso.

Ces deux Etats se devaient de garder de bonnes relations diplomatiques afin de s’arroger la confiance de la CrEDH. Concernant l’analyse des garanties données par le Burkina Faso, la CrEDH estime qu’au moment où elle rend sa décision, le contexte politique qui a favorisé l’obtention des assurances diplomatiques par le gouvernement Français a changé. Il était donc nécessaire d’analyser la fiabilité de ces assurances à la lumière des nouveaux rapports diplomatiques entre le Burkina Faso et la France. Le Burkina Faso a subi tout simplement les conséquences de la détérioration de ses relations diplomatiques avec la France. Cela ne veut pas dire que la France y est pour quelque chose, mais pour les esprits avertis des questions d’extradition, ce sont des affaires qui sont souvent hautement diplomatiques et requièrent ce que j’appellerais une ‘‘cohésion diplomatique’’ de la part des Etats en la matière.

Autrement, qu’est-ce que le Burkina devait ou pouvait faire pour obtenir l’extradition ?

Le Burkina Faso a fait ce qu’il fallait. Il a suivi la procédure, a toujours été disponible. Toutefois, il convient de comprendre que la procédure d’extradition ne dépend pas que de l’Etat requérant, c’est-à-dire l’Etat qui demande l’extradition, mais aussi, de l’Etat requis qui est l’Etat responsable de l’exécution de l’extradition à proprement parler. En plus, si l’affaire prend une connotation touchant aux droits de l’homme et qu’elle est portée devant une juridiction internationale statuant en matière de droits de l’homme, l’exécution ne dépendra plus seulement que de l’Etat requis, mais aussi de cette juridiction, qui à son tour, examinera l’affaire selon l’argument des parties et ses propres analyses. Les nouvelles autorités du Burkina Faso ont souverainement opéré des choix diplomatiques soutenus par le peuple burkinabè au nom de ses aspirations, qui malheureusement ont coïncidé avec la prise de cette décision de la CrEDH, sinon, tous les ingrédients étaient réunis pour voir M. Paul François Compaoré extradé au Burkina Faso dans un bref délai.



Le double coup d’État a-t-il eu un impact sur l’examen de la demande ?

On pourrait penser que la nature du régime actuel a eu une incidence négative sur cette affaire pour le Burkina Faso, car dans le raisonnement de la CrEDH, elle a apparemment estimé que les garanties obtenues par l’Etat français sous le régime démocratiquement élu du président Roch Marc Christian Kaboré devaient être réévaluées sous le régime de la transition issue d’un coup d’État. On peut être conduit à penser que la CrEDH n’accepte l’extradition que vers des régimes démocratiques. Cela n’a pas été la position de la CrEDH. Il convient d’avoir à l’esprit que devant une juridiction, qu’elle soit nationale ou internationale, c’est la force des arguments qui prédominent.

Le double coup d’État n’a eu qu’une influence indirecte sur cette affaire, car ayant conduit à une réorganisation de la sphère diplomatique du Burkina Faso, chose qui a changé les rapports entre le Burkina Faso et la France et par ricochet semé le doute au niveau de la CrEDH quant à l’assurance des garanties données par le Burkina Faso en 2020. Le doute profitant à l’accusé, le Burkina Faso doit attendre encore.

Y-a-t-il des possibilités que l’intéressé soit jugé en Europe ou au Burkina sur cette affaire ?

Aut dedere aut judicare, ce principe est cardinal en droit pénal. Il traduit l’obligation imposée à un État sur le territoire duquel se trouve l’auteur présumé d’un crime de l’extrader (aut dedere), ou de le juger (aut judicare). Dans la loi pénale française, sans préjudice de l’application des articles 113-6 à 113-8, elle est également applicable à tout crime ou à tout délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement commis hors du territoire français par un étranger dont l’extradition ou la remise a été refusée à l’Etat requérant par les autorités françaises aux motifs, soit que le fait à raison duquel l’extradition avait été demandée est puni d’une peine ou d’une mesure de sûreté contraire à l’ordre public français, soit que la personne réclamée aurait été jugée dans ledit Etat par un tribunal n’assurant pas les garanties fondamentales de procédure et de protection des droits de la défense, soit que le fait considéré revêt le caractère d’infraction politique, soit que l’extradition ou la remise serait susceptible d’avoir, pour la personne réclamée, des conséquences d’une gravité exceptionnelle en raison, notamment, de son âge ou de son état de santé. A la lumière de la loi pénale française, M. Paul François Compaoré pourrait bien être jugé par la France malgré le refus de l’extradition par la CrEDH.

Cependant, Paul François Compaoré reste justiciable devant la justice burkinabè en dépit de son absence. L’instruction du dossier suivra son cours normal et à son issue, s’il est conclu des charges nécessaires contre M. Paul François Compaoré, il pourrait être jugé à défaut comme l’a été le cas de son frère Blaise Compaoré.

Quelles sont les perspectives pour cette affaire ?

En termes de perspectives, le Burkina Faso peut soit juger M. Paul François Compaoré par contumace (à défaut) ou invoquer le principe aut dedere aut judicare devant les autorités judiciaires françaises, afin d’amener la France à juger M. Paul François Compaoré. La première option semble plus judicieuse au vu de l’état des relations diplomatiques entre ses deux pays. Par exemple, l’un des problèmes qui se poserait avec acuité dans le second cas c’est l’entrée des personnes de nationalité burkinabè sur le territoire français dans le cadre du procès car la délivrance des visas français aux Burkinabè étant suspendue.

Quelles leçons peut-on tirer pour l’avenir des procédures d’extradition ?

Le Burkina Faso doit tenir compte d’un certain nombre de facteurs pour plus efficacité dans les procédures d’extradition. On peut relever entre autres : L’importance majeure de la diplomatie dans la procédure d’extradition ce qui permet d’entretenir une certaine célérité de la procédure et une confiance entre les parties impliquées dans la prise de la décision d’extradition ;

L’importance d’une justice impartiale et d’un bon système carcéral, afin de garantir un procès juste et équitable et des conditions de détention acceptables sur le plan des droits de l’homme. Cela permet à l’État requis d’extrader sans craindre que sa responsabilité soit engagée.

La nécessité de la mise en place d’un système africain d’extradition à travers un système de mandat d’arrêt africain à l’instar du système de mandat d’arrêt européen. Cela va permettre de sauter un bon nombre de verrous telle que les lenteurs de la procédure et aussi de pouvoir stopper les chevauchées des personnes mises en cause avant qu’elles ne se retrouvent sur d’autres continents.

Propos recueillis par Samirah Bationo Lefaso.net

Article publié le mardi 26 septembre 2023
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