Bien souvent abandonnés par leurs jeunes parents, les bébés des enfants de la rue ne peuvent compter que sur leur grand mère pour les recueillir. Rares sont les géniteurs qui arrivent à les élever eux-mêmes. Pourtant ils espèrent tous que leurs petits aient une meilleure vie qu'eux.
Une foule regarde, le samedi 20 juillet, une bande des garçons et filles de la rue qui se baignent ensemble dans le lac Kivu non loin du marché Beach Muhanzi dans la commune de Kadutu à Bukavu, chef-lieu du Sud-Kivu. "Nous sommes des copains, des mariés comme vous", crie une gamine, une fine robe de nuit mouillée faisant ressortir une petite poitrine, comme pour narguer les badauds. La scène n’étonne guère l’animateur du Programme diocésain d’encadrement des enfants de la rue (Peder), Jean Jean Saizonga, qui explique que le marché proche est le principal foyer des filles de la rue de la ville. "Bukavu en compterait aujourd’hui un millier. Nous en avions déjà dénombré une centaine en 2008. Certaines s’accouplent avec leurs collègues garçons de la rue, attrapent des grossesses et mettent au monde", affirme-t-il.
Le responsable de Vision sociale, Me Pappy Kajabika, ajoute que son association a dénombré depuis janvier une vingtaine de bébés nés des enfants de la rue. "La plupart de ces jeunes filles accouchent chez leurs parents où elles rentrent lorsqu’elles sont presque à terme. Elles quittent le toit parental, y abandonnent leurs bébés quand ces derniers atteignent huit ou neuf mois et retournent se prostituer dans la rue", explique cet avocat. Selon un animateur du Peder, d’autres vont abandonner leurs nourrissons devant des couvents de religieuses qui les amènent dans des centres de récupération des enfants de la rue parce qu’il n’y a pas d’orphelinats dans la ville. On en retrouve certains dans des lieux publics.
Les grands-mères en première ligne
Un nourrisson couvert de linges en pagne usé marche à quatre pattes sous les étals de viande de porc au grand marché de la commune. La vendeuse Wabiwa accourt, la rattrape, et lui donne un biberon de bouillie. "Tu es la mienne mais non celle de cette 'salope' qui t’a mise au monde en février dans ce marché, mon lieu de travail", chantonne-t-elle en dorlotant le bébé qui est celui de sa fille, Guilaine, 15 ans. Déjà embrumée par le chanvre et ivre de bière de banane (kasikisi) à 11 h du matin dans un débit de boissons avoisinant, celle-ci lorgne la scène et marmonne : "Ma mère fera de cet enfant une grande dame".
A une dizaine de kilomètres de là, dans les bananeraies de Mushekere à Kasha, Johny (3 ans) se dispute une balle en chiffon avec ses amis. Il se sent très seul et pleure. Selon les voisins, sa grand’mère paternelle qui le garde, Marie, descend chaque jour vendre des patates douces non loin de la place de l’Indépendance où son père Buhendwa (17 ans) lave les véhicules et fait le portefaix. "Je monte visiter Johny le jour où je parviens à réunir 7 500 ou 8 000 Fc (8 ou 9 $) Je l’inscrirai à l’école et il aura une vie meilleure que moi. Sa mère Tabu me traite de vaurien et se prostitue … ", regrette-t-il. Selon Marie, celle-ci est une gamine d’environ 14 ans qui est venue lui déposer un gosse qu’elle a eu avec son fils. "Je le garde pour conserver la lignée de mon mari qui vit à Izege, à une cinquantaine de kilomètres de Bukavu. Celui-ci m’a répudiée après avoir pris une seconde femme", déclare-t-elle, entonnant une chanson religieuse.
Leur offrir un avenir
Pour le commandant adjoint de la police de la protection de l’enfance dans la province du Sud-Kivu, le major Justin Byamungu, la garde des bébés des enfants de la rue est difficile parce que les parents de ces enfants sont soit séparés soit très pauvres. "Celles qui les gardent viennent se plaindre que leurs géniteurs ne les aident pas à les nourrir et ne se soucient pas de les inscrire à l’Etat civil. Comme les enfants nés de viols, ces bébés des enfants de la rue devraient avoir des pères sur décision judiciaire", explique-t-il. Pour Me Dismas Kitambala, consultant à l’association Fondation Solidarité des Hommes (FSH), rares sont les actes juridiques de paternité judiciaire ou d’adoption des enfants. "La société considère comme tuteurs les parents qui donnent leurs noms et prennent en charge les bébés nés de leurs fils ou filles de la rue", affirme ce défenseur judiciaire des enfants en conflit avec la loi à Bukavu.
Certains jeunes de la rue font cependant le maximum pour élever au mieux leurs enfants. Comme Alphonsine M. dont témoigne la fillette porte le nom de son grand-père paternel. "Grâce à FSH qui a financé mon apprentissage de la mécanique pendant neuf mois, je la garde comme la prunelle de mes yeux. J’ai oublié son père géniteur et je ne veux plus vivre avec des hommes", déclare cette ancienne fille de la rue aujourd’hui employée dans un garage, qui habite une cabane en terre battue dans la commune de Kadutu. Cet ancien caïd des enfants de la rue au Feu rouge lui est devenu taximan. "Je promets un bel avenir à mon fils, sourit-il. Le fait d’avoir été enfant de la rue n’est pas comme la bosse d’un bossu dont on ne peut s’en débarrasser. Je n’en ai aucune tare."
Dieudonné Malekera
Article publié le lundi 5 août 2013
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