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Destruction conceptuelle de l’ethnocentrisme, argumentation éthique du politique, voilà le fil d’Ariane que suit Charles Zacharie Bowao, « professeur des universités », ancien ministre de la Défense, dans un ouvrage d’une centaine de pages paru aux éditions Hémar, intitulé « L’imposture ethnocentriste, plaidoyer pour une argumentation éthique du politique ». Vaste programme.
D’emblée, l’auteur balise son point de départ. Il part d’une discussion qu’il avait eue avec Ambroise Noumazalaye alors au soir de sa vie, un homme à l’époque « désemparé par la trahison de l’idéal révolutionnaire et la perversion du pluralisme démocratique par les élites ».
Cette figure du MNR et du PCT, révèle-t-il, se désolait que « le tribalisme et l’ethnocentrisme sont pour beaucoup dans ces déviances historiques ».
De cette discussion a germé dans l’esprit de Bowao l’idée d’expliquer les raisons de l’échec de la révolution et le dévoiement de la démocratie pluraliste au moyen d’une « clarification théorique conceptuelle ».
La clarification émane d’un homme se présentant lui-même comme « un militant politique épris de justice », un « homme d’Etat en devenir, passionné d’une responsabilité politique sublimant peu ou prou ses convictions personnelles », lequel nous avertit en outre, quoiqu’en fin d’ouvrage, qu’il demeure « encore membre éminent de la Direction politique » du PCT et qu’à ce titre, sa « réflexion d’hier et d’aujourd’hui est empreinte du regard critique du dedans », que « quand [il] parle d’ethnocentrisme au cœur de partis [il] ne problématise pas une affaire étrangère à [son] propre cheminement ».
Voilà la genèse de ce livre sur l’ethnocentrisme, un concept défini comme : « la manière factieuse dont les élites au service d’une minorité au pouvoir, de pouvoir ou dans l’opposition abusent de l’ignorance et de la naïveté du plus grand nombre » ; une tendance lourde à s’organiser et à agir en privilégiant le groupe social ethnique et politique auquel on appartient » ; « une posture psychologique identitaire de repli sur soi » ; « un instrument de survie ou de domination ».
Au fil des pages, l’auteur fustige ceux qui adhèrent à cette dérive et notamment les « intellectuels » congolais qui n’ont pas su « se démarquer de la logique d’inféodation injustifiée et injustifiable aux stratégies ethnocentristes, qui, opérant leur présence active ou passive offrait finalement à chacun la platitude partagée de la servitude volontaire ».
Lesdites stratégies s’organisent au sein des grands partis qualifiés d’ « ethnopartis classiques », aux premiers rangs desquels le PCT, le MCDDI et l’UPADS qui refusent toute refondation politique. Au sujet de l’ancien parti unique M. Bowao, ancien rapporteur général de la Commission d’organisation des élections (Conel) observe d’ailleurs que les « dernières élections ont consacré légalement la suprématie artificielle écrasante du PCT, sur fond de taux de participation véritablement sujet à caution »…
Les « ethnopartis classiques » sont distingués dans l’analyse d’une part des « ethnopartis non classiques » (RDPS, RDD, UFD…), « perturbateurs du jeu politicien » des « ethnopartis classiques » et, d’autre part, des vrais-faux partis, groupuscules insignifiants satellites des partis précités.
Face à cette « déchéance », Bowao appelle au sursaut citoyen ou républicain, surtout de la part des « intellectuels », qui disqualifierait le particularisme et le communautarisme, par la discussion rationnelle et féconde.
Le mérite de l’ouvrage de Zacharie Bowao est de laisser entrevoir qu’au sein même du PCT, certains prennent conscience, surtout quand ils ne sont plus aux responsabilités, du volcan toujours en activité au-dessus duquel prospère une minorité ethnique écrasant la majorité silencieuse. Ainsi relève-t-il que :
- « chaque parti politique se dote clandestinement d’une « branche armée » et attend le déclic pour attaquer ou contrattaquer. Le pouvoir est donc toujours au bout du fusil et non au fond des urnes si ce n’est qu’illusoirement ».
La description de la pratique politique congolaise est déroulée de façon réaliste. A ce sujet il note que :
- « le parti du « père fondateur » devient automatiquement celui « fils héritier », et ou du « neveu », du clan, de l’ethnie ou des ethnies apparentées. Quant aux autres, ils ne sont là que pour faire nombre, mais pour avaliser le caractère national du parti en question. Encore faut-il ménager convenablement ces « autres », c’est-à-dire ces « traitres » qui ont préféré « nous » rejoindre plutôt que d’être « dans un parti politique de chez eux » ;
- « La compétition électorale, particulièrement, devient non pas la confrontation pacifique des projets ou des idées, mais l’exhibition éhontée des espèces sonnantes et trébuchantes, des marinières, des pagnes, des foulards et autres objets attractifs (…) L’argent conditionne la victoire, « a pésa a tala té » ;
- « La puissance financière de certaines personnalités devient une nuisance publique ou antidémocratique » ;
- « Le Président Denis Sassou Nguesso n’a donc pas le droit de trahir son destin d’homme d’Etat en se laissant prendre au jeu avilissant de l’ethnocentrisme à la congolaise ; ce serait dommage ».
De ce point de vue, avons-nous dit, l’essai de Zacharie Bowao est rassurant et permet de nourrir quelqu’espoir.
Au plan de l’analyse du phénomène décrit cependant, force est de constater que l’ouvrage pèche par une certaine ambiguïté.
Déjà, quand Bowao intitule son ouvrage « l’imposture ethnocentriste », le lecteur s’attend à y découvrir une analyse des faits caractéristiques de cette imposture, celle-ci étant comprise comme une action délibérée des acteurs politiques ou des partis de se faire passer pour ce qu'ils ne sont pas, bref une sorte de canular ou de mensonge. Or l’étude de la pratique politique menée donne à voir que l’ethnocentrisme est non pas une imposture mais le mode de fonctionnement réel des partis politiques congolais et qu’il ne s’agit nullement d’un leurre.
A contrario, on considèrerait par exemple que le marxisme léninisme, comme idéologie du PCT avant la chute du mur de Berlin fut une imposture, puisque ce parti fonctionnait réellement selon le modèle ethnocentrique, notamment à partir de 1977 et la création en son sein du Comité militaire du parti (CMP) (1), l’idéologie communiste n’étant alors qu’un paravent destiné à camoufler cette réalité. Il en est de même aujourd'hui de la " social démocratie " dont on affuble l'ancien parti unique.
Imposture vis-à-vis des populations, c’est-à-dire envers des ethnies auxquelles on fait croire que l’on gouverne en leur nom alors qu’il n’en est rien ? Dans ce cas il aurait fallu démontrer en quoi les ethnies et les régions intéressées ne tirent rien de la présence au pouvoir de leurs congénères ou de leurs ressortissants.
En tout cas, fort de cette ambiguïté, M. Bowao, « un militant politique épris de justice », réalise le tour de force d’étudier l’ethnocentrisme au Congo vu comme une imposture en passant sous silence les évènements de mars 1977 au cours desquels des dizaines d’ innocents originaires d’une même région furent massacrés pour venger l’assassinat par ses propres amis d’un chef d’Etat, l’affaire des disparus du Beach, opération par laquelle au port de Brazzaville le clan au pouvoir filtra des Congolais sur une base ethnique, avant de les exécuter méthodiquement (2). N’oublions pas les tragédies des guerres de 1997 et de 1998 et les massacres à grande échelle contre des populations civiles du sud du pays qui s'en suivirent jusqu'en 2002. Imposture, l’ouvrage de notre intellectuel ?
Exclusion, voilà peut-être le concept qu’il eut été plus fécond d’explorer car l’ethnie, si elle structure effectivement les partis politiques congolais, elle est utilisée comme un outil d’exclusion dans la sphère politique.
Grâce à cet outil heuristique, il serait peut-être apparu que le remède au mal dont souffre la pratique politique congolaise ne saurait provenir des « intellectuels » ou des « élites », contrairement à ce que semble croire le sieur Bowao. Déjà qui sont ces « intellectuels » dans les partis politiques ? Les assimile-t-on aux dirigeants de ces partis ou aux responsables politiques ? Pour notre part, au lieu des « élites » au sein de partis nous ne voyons qu’une forêt indistincte de diplômés, dont d’ailleurs d’anciens élèves de l’école supérieure du parti s’agissant du PCT, mais certainement pas d’intellectuels ! Nuance !
Du reste, quand on a désigné ces pseudo-intellectuels ou ces « élites » comme vecteurs de la dérive et comme vrais fossoyeurs des institutions en ce qu’ils se servent de l’ethnie comme outil d’exclusion à seule fin de promouvoir et de perpétuer leur carrière politique, il apparaîtra qu’il est vain et naïf de croire que pour la beauté d’une prétendue éthique républicaine ils seraient capables de scier la branche sur laquelle ils prospèrent, en se muant en moteur du changement.
D'ailleurs, la situation actuelle des partis politiques telle que décrite dans l’ouvrage n’a toujours pas existé au Congo. Jusqu’à preuve du contraire le Mouvement national pour la Révolution (MNR), dont le puissant secrétaire général était justement un certain Ambroise Noumazalaye (un ressortissant du nord du pays dans un régime ayant à sa tête un président originaire du sud du pays), n’avait pas l’apparence d’un parti ethnocentriste. Ce simple constat autorise à penser que, plutôt que de se focaliser, comme l’a fait M. Bowao, sur la mystique des « intellectuels » (ou « élites ») congolais, à vrai dire diplômés sans envergure et sans autonomie de pensée et donc sans conscience historique autre que celle de leur propre survie, c’est en confrontant le droit et les institutions politiques au Congo à différentes époques, en suivant la piste de l’histoire des idées dans notre pays que notre cher professeur des universités aurait pu éviter de faire fausse route.
A moins que, hypothèse inquiétante, M. Bowao, qui connaît bien le crocodile-dictateur en place pour avoir longtemps fréquenté le marigot politique congolais, veuille nous persuader du fait qu’avec M. Sassou nous n’avons pas affaire au dirigeant éclairé à même de mettre le pays sur la bonne voie démocratique, à travers le conseil qu’il lui donne : « Pour Denis Sassou Nguesso, la voie à suivre est celle de Mandela, de l’Afrique du Sud, Tchissano du Mozambique, Rawlings et Kuoffor du Ghana, entre autres. En tout cas pas celle de Mugabe du Zimbabwe ».
Dans ce cas, faute de dirigeant éclairé susceptible de tracer la route de la démocratie et de l’alternance tant espérée, et si Dame Nature tardait à réaliser son œuvre, il ne resterait plus au peuple qu’à se tourner non pas vers ses élites mais bien du côté de l’exemple du « printemps arabe ».
Selon l’idée communément admise, surtout après la Conférence nationale, Ngouabi a été tué par ses amis afin de permettre la conservation du pouvoir au sein de l’ethnie alors au pouvoir. Le Comité militaire du parti (CMP), créé de toutes pièces auquel a échu le pouvoir ne poursuivait qu’un seul but : empêcher un ressortissant du sud du pays (en l’occurrence Thystère Tchicaya) de succéder au président défunt, comme le prévoyaient à l’époque les textes et la logique du parti qui dirige l'Etat.
Sassou Nguesso, à la fin de la guerre de 1998, avait invité des congolais réfugiés en RDC à regagner leur pays, leur promettant sécurité et protection. Sous l’égide du HCR, certains acceptèrent de rentrer au pays par bateau à partir de mai 1999. À leur arrivée au port fluvial de Brazzaville (le « Beach »), des centaines d’entre eux disparaissent sans laisser de traces...
Article publié le mercredi 30 juillet 2014
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