:« On nous a volé notre ville, comme on dérobe les étoiles. Frappée de vétusté, elle ressemble à un mourant émergeant des décombres. » Les Ailes de la reine est un roman d’amour et d’arrachement. Le narrateur, un professeur d’université, assiste impuissant et tétanisé à l’agonie de Myriam. Ils se sont aimés follement. Cette veille douloureuse au pied d’un lit d’hôpital ouvre et clôt le récit dans un entre-deux, une boucle qui met en scène le décalage entre le temps de la vie et celui de la mort et nous restitue tout l’itinéraire syncopé de Myriam et d’un pays qui plonge dans la violence.
Elle est danseuse de ballet dans une Algérie chaotique et déchirée où les groupes islamistes vont peu à peu fermer tous les espaces culturels. Le 7 octobre 1988, une balle perdue est allée se loger dans son cerveau. Ses jours et ses mouvements sont comptés et elle doit apprendre à vivre avec. Il faudrait aussi qu’elle renonce à la danse, ce à quoi elle ne se résoudra pas. Elle a découvert la danse enfant, grâce à sa rencontre avec Anatolia, qui devient sa seconde mère. Sa véritable mère a été contrainte de se remarier, dans la tradition, avec le frère de son mari — le père assassiné par l’Organisation armée secrète (OAS) que Myriam n’a pas connu —, qui se révélera acariâtre et agressif.
Pour échapper à la misère et à l’enfermement, Myriam accepte le premier prétendant, commettant la « bêtise fondamentale ». Si elle parvient à repousser la nuit de ses noces, c’est au prix de stratagèmes quotidiens qui n’auront pas éternellement raison du viol annoncé. Il la laisse humiliée et sonnée mais résolue à ne pas s’y plier. C’est son mari qui cède le premier en la répudiant, lui permettant ainsi de recouvrer la liberté.
Désormais, elle va se consacrer à la danse avec acharnement, interprétant La Berbère de Mohamed Iguerbouchène, une création sur la vie de Fadhma Aït Amrouche, puis entamant les répétitions de Schéhérazade de Nikolaï Rimski-Korsakov à l’Ecole des beaux-arts.
C’est dans cet intermède qu’éclot la passion entre le narrateur et Myriam comme un défi à l’accablement qui s’installe. « Les “Inquisiteurs’’ ont formé une armée qui régente la vie de la cité. Tu sais ? J’ai le sentiment de ne plus être en sécurité dans cette ville. Ils sont capables de surgir de la tasse de café du soir ou des interstices de ta chambre à coucher ; ils dressent leurs échafauds et mettent en place le billot où l’on coupera les têtes trop audacieuses. » Dans ce basculement inexorable, ils vivent leur amour entièrement, comme le seul espace de liberté et de reconstruction.
Né en 1954 à Tlemcen, Waciny Laredj a été professeur de littérature moderne à l’université d’Alger jusqu’en 1994 et enseigne aujourd’hui à la Sorbonne. Il est l’auteur d’une dizaine de romans traduits dans plusieurs langues, dont Fleurs d’amandier (2001) et Le Livre de l’émir (2006). Il a obtenu en 2002 le prix du Roman algérien et, en 2006, le prix des Librairies d’Algérie. La situation algérienne des années 1990, « la décennie noire », est au cœur de son écriture. Il en dit le désastre infligé à toute une société et au plus profond des êtres.
Article publié le mercredi 2 septembre 2009
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