Fille de missionnaires protestants, Claude Njiké-Bergeret est née en 1943 au Cameroun, à Douala. A l'âge de trois ans, ses parents s'installent à Banganté, un village où elle passe son enfance avant de repartir pour la France pour y poursuivre ses études. Dix-huit ans plus tard, alors qu'elle est mère de deux enfants et séparée de son mari, elle décide de rentrer au Cameroun où elle devient enseignante. Quelques années plus tard, elle épouse le chef de Bangangté et s'installe à la chefferie où elle a deux nouveaux enfants et vit avec ses co-épouses jusqu'à la mort de son mari. Elle se lance alors dans des projets de développement agricole auxquels elle participe avec ses enfants et sa famille.
Elle repond ici a coeur ouvert.
Comment se passe la vie à la chefferie où tu as été la 24ième femme du chef et quelles impressions en gardes-tu ?
Une assez grande liberté d'organiser sa vie comme on veut, une assez grande liberté individuelle. Les jours où on travaille au palais, où il faut nourrir le chef, recevoir les gens, là on est tenu à une organisation très stricte, mais c'est au jour le jour ; il n'y a pas de femmes qui sont tenues de rester indéfiniment, c'est à tour de rôle. Par contre quand on est au quartier des femmes, on peut organiser sa vie exactement comme on veut, donc une très grande liberté.
Quelles fonctions donnes-tu aux rites à la chefferie ?
Je pense, en tant qu'européenne, que c'est une façon de gouverner, une façon d'organiser la société. Ces rites obligent à respecter soit les pouvoirs du chef, soit à respecter les coépouses, que chacun ait la possibilité d'avoir certains droits.
Si quelqu'un est malade, on lui fait des rites par rapport à certaines personnes mortes. Là ça a même un pouvoir psychologique qui peut aider le malade à guérir. Mais c'est évidemment une façon européenne de penser. De toute façon moi je n'ai jamais pu y croire, de la même façon que je n'ai jamais pu croire à la sorcellerie. Mais c'est mon caractère et je ne cherche pas à le justifier. Cependant, je respecte les croyances des autres ; c'est leur façon de voir la vie, pas la mienne.
Quelle a été la réaction de l'Eglise Evangélique du Cameroun, du DEFAP, après ton mariage polygamique et surtout avec un chef qui est l'archétype de la tradition ?
Je pense que c'est assez complexe puisque la réaction qu'ils ont eu est liée à mon passé dans l'Eglise, mes rapports avec les gens de l'Eglise. Mais l'Eglise m'a rejeté immédiatement, complètement et brutalement. Peut-être que s'il y avait eu d'autres responsables de l'Eglise les réactions auraient été différentes. Et vis à vis de l'Europe, du DEFAP et de la CEVAA, eux m'ont simplement écrit qu'ils se plient au désir de l'Eglise soeur. C'est au Cameroun que je n'ai pas été acceptée et donc eux aussi ne pouvaient me soutenir. Et je pense qu'en coupant les ponts si rapidement, ils ont pensé que je rentrerai en France. Et moi, je me disais qu'ils étaient bloqués, y compris en Europe, puisqu'ils ne pouvaient pas comprendre que l'Amour puisse exister en dehors de leurs propres repères. Dans certains contextes l'Amour serait possible, dans d'autres non. C'était significatif, mes parents ont dit que j'ai été ensorcelée ils n'ont jamais pu admettre que j'ai pu aimer cette vie.
Ce qui les gênait le plus, eux tous, ce n'est pas tellement ce que j'avais fait, mais c'est que je sois toujours là. (Rires) Parce que si j'étais rentrée en France alors on aurait étouffé cette honte et plus personne n'aurait parlé de moi. Mais que je sois encore là, et que je puisse dire que j'étais heureuse, que je vivais normalement en étant contente, là il y avait quelque chose qui n'allait parce que je prouvais quelque chose d'inconcevable.
Qu'est ce qui t'a attiré justement dans cette civilisation ?
Bon d'abord si je suis restée à Bangangté, c'est parce que j'ai aimé un homme. Et n'importe qui sait que quand on aime un homme et qu'on se marie, on reste avec.
Mais je
Article publié le Friday, April 28, 2006