Bien qu’ayant le cœur au travail, les commerçants d’origine indienne partagent les douleurs causées par le tsunami dans leur pays. Mais, dans la discrétion et le secret. Mercredi 5 janvier 2005. Marché central de Yaoundé. L’horloge du magasin Vi-pin marque 12 heures. Sur l’un des téléviseurs branchés sur la chaîne américaine Cnn, on aperçoit des visages fermés des citoyens européens immobiles qui marquent trois minutes de silence en mémoire des victimes du Tsunami. Spontanément, Vipin et son épouse – tous deux de nationalité indienne – se lèvent et leurs regards restent figés sur le poste téléviseur. C’est le silence. Les clients, une dizaine au total qui entrent dans le magasin en se bousculant pratiquement à la porte, s’impatientent. D’un geste spontané, Vipin leur montre la télévision. Les trois minutes épuisées, il laisse partir de ses poumons un souffle avant de lancer : “ C’est vraiment triste ”.
Sur la grande avenue commerciale du centre ville de Yaoundé, où est logé le marché central de la capitale, la plupart des magasins vendant les effets électroniques et électroménagers sont détenus par des Asiatiques. Ils se disent tous Indiens lorsqu’on les questionne sur leurs nationalités respectives. Pourtant, certains employés qui travaillent à leurs côtés croient y voir des Sri Lankais, Pakistanais et autres Indonésiens et Thaïlandais. En général, ce sont des gens fermés qui n’ont à cœur que leur commerce et l’argent qu’il leur procure quotidiennement. Même la catastrophe historique du Tsunami survenue il y a quelques jours dans leur continent d’origine – et pour la plupart dans leur pays l’Inde – n’arrive pas à délier la langue de ces mystérieuses personnes. Tenez ! Dans le magasin “ Maman et bébé ” situé non loin du carrefour du commissariat du 1er arrondissement, les trois Indiens que nous abordons (deux hommes et une femme apparemment la patronne des lieux) n’ont pas le temps de causer lorsqu’on leur demande leur sentiment sur le Tsunami : “ Beaucoup de travail. Oui nous avons entendu parler de cette catastrophe. Cela nous affecte tous. Nous ne pouvons pour l’instant pas en parler. Il y a beaucoup de clients devant nous comme vous voyez ”, lance sèchement, le regard sévère, la brave indienne, la soixantaine entamée. Il faut donc aller voir ailleurs. Précisément en face, au magasin Bélisa.
Là aussi, le patron, malgré un large sourire, n’a pas le temps d’accorder un entretien. Il se contente tout juste de dire dans un anglais approximatif que “ c’est triste ce qui est arrivé à notre pays ”. Vijay Thadani le directeur de la société Arrti, qui se présente comme Indien et natif de New Delhi, apparaît plus ouvert. Gentiment, il nous fait installer dans son minuscule bureau situé dans un coin du magasin qui grouille de monde. Il nous rejoint quelques minutes après, le temps pour lui de donner quelques instructions à ses collaborateurs. Le visage émacié et dissimulé derrière des lunettes médicales qui lui donnent l’allure d’un intellectuel, son sentiment sur la catastrophe du tsunami est douloureux : “ Lorsque je pense à toutes ces personnes qui sont mortes, j’ai le cœur triste. Jusque-là je n’ai pas reçu de nouvelles signalant le décès d’un membre de ma famille ou d’un proche. Mais je partage la douleur de tout mon pays. Vous savez nous sommes habitués à cette situation qui arrive de temps à autre. C’est comme vous ici avec le Mont Cameroun qui est très souvent en éruption. Il s’agit d’une catastrophe naturelle qui, une fois de plus endeuille l’Inde mon pays. ” Malgré la tristesse qui sort de la voix de Vijay Thadani, l’échange qui va suivre est gai. De même d’ailleurs avec Vipin et son épouse malgré leur occupation de ce jour. Ce gaillard moustachu au regard quelque peu effrayant va et vient dans son magasin, toujours aussi disponible pour ses clients. Mais son cœur reste bien sur le Tsunami : “ J’ai suivi la catastrophe à la télévision. C’est triste. Mais je pense qu’on aurait pu avertir à temps ceux qui étaient à la plage et principalement les étrangers que le Tsunami se signalait. Nous, nous sommes habitués à cela. Il fallait donc prendre les mesures adéquates. En tout cas nous allons développer une chaîne de solidarité avec nos frères restés au pays. Vous savez, la mobilisation est internationale. Je souhaite que nos amis camerounais ne restent pas indifférents. ” confie-t-il.
Au supermarché Mahima géré par ces Asiatiques se présentant toujours tous comme Indiens, le Tsunami est également dans les cœurs. Même si discrets, la plupart refusent de se prononcer publiquement sur leurs émotions ou alors comment ils vont organiser depuis le Cameroun la chaîne de solidarité avec leurs frères restés au pays.
De manière approximative, on évalue à peu près à une centaine le nombre des ressortissants asiatiques (Indiens, Sri Lankais, Pakistanais et Thaïlandais confondus) vivant à Yaoundé. Il est difficile de savoir s’ils ont u
Article publié le Monday, January 10, 2005