« La Constitution burkinabè, 20 ans : bilan et perspectives ». Tel était le thème d’un dialogue initié par le Centre pour la gouvernance démocratique, le 11 juin 2011 à Ouagadougou. Une occasion de diagnostic de la loi fondamentale mais aussi d’harmonisation des positions des acteurs politiques sur le projet de réformes institutionnelles qui défraie la chronique depuis un certain temps.
Que retenir de la Constitution burkinabè, 20 ans ? De l’avis du Pr Luc Marius Ibriga, notre Constitution comprend des aspects positifs : les droits du citoyen et les droits de l’homme reconnus ; des mécanismes de démocratie semi-directs même s’ils ont été, dans la pratique, remis en cause ; possibilité pour le citoyen d’intervenir en matière législative ou en matière de révision ; prohibition de coups d’Etat.
Comme faiblesses, Luc Marius Ibriga note que notre loi fondamentale comporte des éléments qui font du président du Faso un omnipotent voire un monarque (chef suprême des armées, président du Conseil supérieur de la magistrature et du Conseil des ministres) ; il nomme le Premier ministre et peut le révoquer selon son vouloir ; même appliquant son programme, le président n’est pas politiquement responsable mais le gouvernement ; les prérogatives du pouvoir législatif sont bridées, car le gouvernement dispose de moyens pour forcer la main au Parlement…
De 1991 à nos jours, la Constitution a subi quatre révisions par la voie parlementaire dont le gommage des scories révolutionnaires ; la suppression de la Chambre des représentants puis du nomadisme politique des députés. Aujourd’hui, indique le Pr Ibriga, la tendance est à retourner vers le bicaméralisme, donnant l’impression que les différentes révisions ont été opportunistes. La voix de l’opposition se perd dans la majorité.
Les participants à ce débat ont eu droit à des témoignages de trois membres de la commission ayant eu la charge d’élaborer la Constitution. Il s’agit du secrétaire général du PAI, Philippe Ouédraogo, de Lassané Sawadogo du CDP, parti au pouvoir, et de Marc Oubkiri Yao, ex-membre influent dudit parti. Leurs récits ont permis surtout aux jeunes générations de se replonger dans l’histoire constitutionnelle de notre pays.
A écouter le second, la commission a travaillé en toute liberté intellectuelle et le texte auquel ils sont parvenus a permis de prévenir certaines dérives. Pour les deux autres, la commission n’a apparemment pas eu les mains libres, puisque le dernier mot revenait à Blaise Compaoré.
Deux leaders politiques, parmi les panélistes, à savoir le Pr Basile Guissou du CDP et Bernard Tago de l’UNIR/PS, ont eu à donner également leur lecture sur la Constitution. Le Burkina, s’est félicité le premier, n’a jamais manqué d’opinions contradictoires. Le second a, quant à lui, souhaité que notre pays s’investisse davantage dans la culture de la promotion des valeurs fondamentales de justice, de probité et d’équité.
Car le Burkina, regrette-t-il, a mal à sa gouvernance démocratique. De son point de vue, le problème de notre pays ne réside pas dans sa Constitution mais dans le comportement des hommes. Le Burkina gagnerait, selon lui, à décentraliser le débat politique qu’il juge au stade actuel trop élitiste.
La société civile était aussi représentée dans le panel par le RADDO et le MBJUS. Le porte-parole de la première organisation citée, Mathias Tankoano, est formel sur le débat relatif à l’alternance. Blaise Compaoré, a-t-il martelé, « ne doit pas céder à la tentation funeste » de déverrouiller l’article 37 pour se donner une chance de s’éterniser au pouvoir. Parce que flatté, ajoute M. Tankoano, par des médiations dans des conflits qui lui confèrent le statut de sage d’Afrique. Blaise Compaoré, a-t-il conclu, doit choisir entre finir comme Mubutu, Ben Ali et Muburak, et terminer comme John Jerry Rwalings, John Kuffuor, Alpha Oumar Konaré…
A toutes ces contributions sont venues s’ajouter celles du public. En effet, les uns et les autres ont donné leur lecture sur les 20 ans de vie constitutionnelle : la toute-puissance de Blaise dénoncée par le Pr Hyacinthe Sandwidi et qui entrave, selon lui, des débats d’idée au CDP ; pour le SG du Syndicat burkinabè des magistrats (SBM), René Bagoro, notre pays vit dans une démocratie militarisée.
Sinon, comment comprendre, s’étonne-t-il, que le CDP sorte pour approuver la répression des mutins de Bobo-Dioulasso alors qu’il n’a pas même pas daigné condamner la libération de prison des soldats militaires par leurs frères d’armes ? Le débat, faut-il le noter, a dégénéré entre-temps en conflit de générations. Ben Youssouf Minoungou, un confrère, c’est lui qui l’aura suscité en appelant à des réformes pour la jeunesse et non pour les personnes âgées qui, estime-t-il, doivent servir de conseillers.
Un avis inquiétant pour le « vieux » Alfred Kaboré qui plaide pour une prise en compte des « vieux » dans la gestion des affaires publiques, même s’il faut leur fixer un quota à l’image des femmes. A défaut, prévient-il, « tout ce qu’on mettra dans les réformes institutionnelles sera boiteux ».
Partant des points de vue ci-dessus, Luc Marius Ibriga estime qu’il y a nécessité d’envisager des réformes durables. Pas question de changer de République, une nouvelle Constitution comme le veulent certains, autrement dit une remise du compteur à zéro qui offrirait des chances à certains citoyens en principe disqualifiés.
Cela passe par l’établissement de règles constitutionnelles garantissant un système partisan, d’équilibre des pouvoirs et d’alternance. Aussi a-t-il appelé que le Conseil consultatif sur les réformes politiques à consacrer le temps qu’il faut pour ne pas escamoter le débat. La révision, recommande-t-il, doit se faire dans un cadre de dialogue inclusif et participatif. Oui pour les réformes, mais si et seulement celles-ci s’inscrivent dans le renforcement de la démocratie, a conclu le Pr Ibriga.
Hamidou Ouédraogo
Mise à jour le Dimanche, 12 Juin 2011 21:22
L’Observateur Paalga
Article publié le Monday, June 13, 2011