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Théâtre burkinabè et dramaturgies traditionnelles

 Le théâtre burkinabè est un legs colonial qui a trouvé sur place des formes traditionnelles de théâtralité. Ce texte interroge le rapport que le théâtre entretient avec les dramaturgies locales.

Si nous sommes unanimes à reconnaître que le théâtre tel que nous le pratiquons actuellement est un legs de la colonisation, il faut noter qu’il existe dans notre pays des manifestations rituelles ou cérémonielles qui recèlent des éléments dramaturgiques qui les rapprochent du théâtre.

En effet, sans être vraiment du théâtre, elles manifestent de la théâtralité qui est, selon Barthes, « le théâtre moins le texte, une épaisseur de signes et de sensations qui s’édifient sur scène (…) c’est cette sorte de perception œcuménique des artifices sensuels, gestes, tons, distances, substances, lumières ». Il y a donc de la théâtralité chaque fois qu’il y a une mise en représentation de la réalité.

Aussi décèle-t-on de la théâtralité dans les manifestations traditionnelles comme le Dodo, la sortie des masques ou dans l’art du conteur traditionnel au Burkina Faso. Il est intéressant de voir le rapport que le théâtre, tenté entre la fidélité à l’héritage hellénique et le besoin d’originalité, entretient avec ces manifestations traditionnelles à forte théâtralité.



Théâtre d’intervention sociale et théâtralité traditionnelle Le théâtre d’intervention sociale s’inspire du « théâtre de l’opprimé » d’Augusto Boal. C’est une forme théâtrale qui vise à diffuser des messages de sensibilisation pour transformer la société. Il s’est implanté et a essaimé à travers le pays.

Deux troupes de théâtre, le Théâtre de la Fraternité de J.P. Guingané et celui de l’Atelier théâtre burkinabè de Prosper Kompaoré, le pratiquent avec une légère différence dans la forme. On a le théâtre-débat chez le premier et le théâtre forum chez le second.

Même si ce théâtre semble privilégier le message, il y a chez ces deux metteurs en scène une volonté de fonder une esthétique qui intègre les éléments de théâtralité que l’on trouve dans les formes traditionnelles de monstration.

D’ailleurs, quoi de plus normal si l’on considère que toute esthétique se pense en rapport avec la réception de l’œuvre, donc pour un public donné. Et le public cible de ce théâtre étant rural et populaire, ces metteurs en scène ont pressenti que l’ancrage de leur art dans la tradition était la condition de son acceptation.

Leurs mises en scène recourent à des scènes éclatées qui s’adaptent aux espaces publics, brisent la barrière entre scène et public et aboutissent à une représentation théâtrale proche des soirées villageoises où acteurs et spectateurs échangent de rôles.

Cette porosité des frontières entre acteurs et spectateurs, la possibilité laissée au spectateur d’être acteur fait du public des « spect’acteurs », selon le beau mot-valise de Lamko Koulsy. Ce théâtre a un spectacle participatif qui lui donne un côté très Koteba du Mali.



Théâtre conventionnel et théâtralité traditionnelle Il s’agit ici du théâtre qui privilégie le texte d’auteur. Il y a résurgence du théâtre conventionnel à partir des années 2000 par la volonté d’une nouvelle génération de metteurs en scène et surtout parce qu’il y a une conjoncture nationale et internationale favorable.

Paradoxalement, malgré cet environnement qui semble plus propice au théâtre que celui de la décennie passée en termes de ressources humaines et matérielles, le théâtre conventionnel peine à trouver un public local, surtout populaire.

Est-ce à cause de la subordination des éléments scéniques au texte d’auteur, texte en français dans un environnement peu alphabétisé ? Ou parce qu’il est urbain et payant, contrairement au théâtre d’intervention sociale qui a souvent des créations commandées par des institutions et qui se fait itinérant pour aller à la rencontre de son public ?

Toutefois, écartelés entre le besoin de se penser pour une audience extérieure et celui d’intéresser un public national-même si quelquefois on trouve des mises en scènes exclusivement profilées pour l’Europe ou pour un public d’expatriés nostalgiques de leur théâtre (celles promues par les CCF)- les metteurs en scène ont, de manière générale, fait le choix de l’ancrage dans la culture locale.

« Comme des lamantins, ils vont boire à la source » du patrimoine et puisent parfois dans les éléments autres que théâtraux. Par exemple, dans « Le destin de Poulinguin » de Sidiki Yougbaré, pièce mise en scène par Paul Zoungrana et dans « La jointure de deux bouts de bois », écrite et mise en scène par Gaetan Somé, il y a une convocation dans les mises en scène d’éléments rituels.

Le premier s’est inspiré de la cosmogonie gulmancema pour bâtir un espace scénique traversé de lignes de ruptures entre lieux sacrés et lieux profanes. Le second s’est inspiré des rites funéraires dagara et de la poésie ésotérique de cette communauté.

Mais c’est véritablement le conte qui inspire le plus nos metteurs en scène. Par exemple « le fou » de J.P. Guingané a été joué par le Théâtre de la fraternité avec une mise en scène qui emprunte beaucoup au conte : les acteurs ne quittent pas la scène, changent de costumes devant le public parce qu’il n’y a pas de rideau et jouent avec ce public comme le font les conteurs traditionnels.

Il y a aussi la bonne fortune que connaît le conte théâtralisé. Le succès du conte théâtralisé dans le théâtre contemporain s’explique d’abord par la minceur du texte dont l’écriture ne requiert pas de talent particulier d’écriture, ensuite par son appartenance à un patrimoine culturel commun qui en fait un objet théâtral ayant l’adhésion d’un large public.

Et surtout, comme l’a souligné J.P. Guingané, le conte permet de faire le procès de la société sans heurter la susceptibilité car « qui peut en vouloir à autrui de dire des contes, c’est-à-dire des propos qui se donnent eux-mêmes comme des mensonges ? ».

« L’éléphant du Roi » d’Ildevert Méda est un conte traditionnel qui a été théâtralisé. Cette pièce a connu un grand succès. Cette pièce, qui joue sur un registre très comique, peut être lue comme une satire politique, une dénonciation de dérives tyranniques des pouvoirs actuels de l’Afrique.

Par ailleurs, le conte est beaucoup utilisé dans les monologues parce qu’il ne demande pas de mise en scène très lourde, ce qui est un atout pour voyager à travers scènes et festivals. En plus, au conte, on peut intégrer de la musique et de la danse traditionnelle. Et de plus en plus de spectacles de théâtre font appel à des instrumentistes ou des chanteurs traditionnels.

On peut dire que le théâtre burkinabè est un théâtre qui mêle modernité et éléments de dramaturgie traditionnelle pour se donner à voir. On peut regretter que le masque, avec toutes ses potentialités, soit absent de ce théâtre. Mais il faut admettre que malgré les tentations des scènes d’Europe qui encouragent des théâtres africains sans identité, malgré l’absence d’une politique culturelle incitative, les metteurs en scène de théâtre du Burkina Faso ont fait le choix de l’enracinement culturel de leur art. Jusqu’à quand ?

Barry Saïdou Alcény



 


Article publié le Thursday, August 27, 2009