Nul ne peut écrire l'histoire de la musique moderne ivoirienne sans mentionner le nom de François Lougah. Car, il fut l'un des premiers à avoir ouvert les portes du monde à cette musique. Il a été celui-là même qui a enregistré son premier phonogramme en France sous la direction des musiciens de grande notoriété. C'est d'ailleurs de ce pays que parvinrent aux ivoiriens, les premières notes musicales de Doukou-dôlihô et autres Pécoussa qui, resteront gravées dans la mémoire des ivoiriens. De véritables succès qui feront connaître l'artiste aussi bien en Côte d'Ivoire qu'en Afrique. Si les critiques de musique n'ont pas perçu la teneur de Doukou-dôlihô, il n'en demeure pas moins que cette chanson, est une chanson très engagée.
En fustigeant ces souris du village qui mangent le riz et détruisent en même temps les greniers, l'artiste chante la détresse d'un continent face à l'attitude destructrice des colons qui ont accaparé ledit continent en mettant sous l'éteignoir sa culture, en accaparant également ses ressources économiques.
S'il n'est pas aisé de parler d'un être tout court, il apparaît difficile, voire périlleux de parler d'un être de la dimension de François qui alliait belles mélodies et paroles significatives. François nous a laissé ou légué une structure musicale de grandeur valeur. Des notes qui vont nous guider pour nous remémorer un tant soit peu la tessiture de son art.
Ces notes, ce sont certaines oeuvres que de son vivant, François a écrites sur des partitions très élaborées. Elles sont le témoignage toujours renouvelé de la dimension créatrice de l'homme à qui ses frères, ses amis et même des anonymes rendent hommage en ce jour.
Oui ! François, nous voici sur les parcelles mélodiques de Lakota qui jadis, aiguisèrent tes cordes vocales dans un timbre de contre alto. Ce qui te donna une voix à la limite de celle de l'homme et de la femme. Une voix sensible qui fait couler des larmes intérieures même à ceux qui ont la tête de tortue dans une musicalité toujours sincère.
Cette résonance dualiste a permis à l'artiste que tu étais de te situer sur un champ compositionnel vaste et varié. Les notes musicales jaillies de ta gorge coulent avec aisance, facilité et clarté dans une densité esthétique qui fait plaisir à entendre.
Aucune tonalité musicale n'avait de secret pour toi. Cependant, à travers la majorité de tes écrits musicaux, tu as toujours privilégié la tonalité majeure pour décrire les souillures, les souffrances, les vicissitudes de l'existence. Tradition respectée car, sur ces étendues mélodiques du pays Dida, tu as restitué son expression esthétique en t'appuyant sur les savoirs traditionnels. Tu as transcrit dans leur profondeur les éléments constitutifs de la musique en pays Dida.
Tu as rendu à César ce qui est à César. La spécificité du patrimoine musical de cette partie de la Côte d'Ivoire dont fait partie le pays Dida, nous indique que les douleurs puisent leur existence dans le ton majeur. Loin de nous de tenir un discours ethnomusicologique, nous voudrions simplement saluer la fidélité de l'écriture compositionnelle de l'artiste qui dénote avec les senteurs de sa terre natale.
Fidélité aussi dans les rapports qu'il avait avec ses collègues. Que dire de cet attachement au pays natal que François quitta un de ces jours de grand soleil pour mettre pied au coeur de Paris, Paris de toutes les convoitises.
Voilà l'artiste dans cette mélodie tantôt tendue, tantôt détendue, avec une dose de douce agressivité, créer en tout un chacun un environnement féerique, ensorcelant avec un brin de contraste. Quel contraste ? Un jour de grand soleil j'ai quitté mon pays ! Malgré les difficultés, les problèmes de tous ordres au pays des blancs, François est toujours resté à l'écoute de son pays.
Dans ce pays des blancs, il reçoit une lettre porteuse de mauvaises nouvelles, envoyée par ses parents. Cette lettre l'invite à rentrer de toute urgence en Côte d'Ivoire pour prendre part aux obsèques d'un parent bien aimé. Cela cache aussi l'idée d'un retour définitif car son oncle lui demande de rentrer pour assumer l'héritage du parent disparu. Une chanson élaborée dans un registre multicolore qui démontre la capacité de François à tutoyer les graves et les aigues avec des appoggiatures, ces petites notes qui donnent de l'élan, servant d'appui aux notes principales.
Mélodie de rupture aux accents du rythme and blues, diront certains musicologues. Non ! Mais simplement la preuve du métier de chanteur consommé dont la tessiture enjambe toutes les contrées. Qui, de par son étendue, traverse avec aisance tous les fleuves pour se reloger dans les parois du village. Un village dans lequel l'artiste subit toutes sortes de représailles. Il décide de s'exiler quelque part dans la forêt sombre et profonde.
Dans cette forêt, il découvre une rivière dont la profondeur ne lui permet pas de regagner l'autre rive. L'oiseau perché sur une branche auquel François demande de le transporter sur la rive de protection, hélas ne s'exécute pas. Et soudain, surgit quelqu'un qui l'amène sur ladite rive où résonnent des tambours aux accents assourdissants.
Toagnilé, léhilé taogniho plikhaho godolé plikpaho. Dans cette mélodie écrite en rythme ternaire, l'artiste descend au coeur de sa tradition qui affectionne ce genre de rythme pour transcrire la teneur des événements à caractère de chantefables par et à travers lesquels on développe le sens éducatif des individus vivant dans la communauté.
Conteur, chanteur, poète lyrique, François Lougah fut et restera le détenteur des savoirs esthétiques, canon mélodique qui relie toutes les générations. Il fut et restera dans la mémoire collective un maître de la parole comme l'indiquent certaines de ses oeuvres. François était un maître de chant puisque son timbre vocal contenait toutes les nuances. Il pouvait être mélancolique, agressif, grave, pathétique, doux avec des trémolos, des vibratos. L'artiste savait articuler les notes musicales pour leur donner de l'éclat, de la rondeur et de la pureté.
François Lougah aimait la vie parce que sa sensibilité était au-dessus des normes. Il a aimé sa famille et on le voit à travers cette belle chanson dédiée à Caroline sa fille. C'est un hommage du père aux enfants, à tous les enfants mais aussi à sa femme bien- aimée.
Ô ! Coq de pagode qui annonce le jour depuis la forêt sombre et profonde, Caméléon qui s'acclimate à toutes sortes de verdures, Aigle géant qui frappe et recule. Tu l'as dit dans l'une de tes chansons, François.
Parti tout seul sur un bateau, tu es revenu tout seul. Et quelque part, sur les rivages de l'océan à San-pédro, ton frère Désiré Dallo t'a accueilli en compagnie d'Armand Obou administrateur du BURIDA et de la société MTN pour te mettre sur ce gouvernail avec les regrets éternels de tous les ressortissants de Lakota et de tous les ivoiriens. Salut aigle géant, salut l'artiste !
Valen Guede
Article publié le Monday, March 23, 2009