Le « devoir d’ingratitude » peut se définir comme la disposition pour une personne, à faire en toutes circonstances ce qu’elle doit, en dépit du sentiment de reconnaissance qu’elle peut ressentir. Le président Assimi Goïta a abrogé le décret faisant de Choguel Kokalla Maïga le Premier Ministre du Mali. La sortie de ce dernier le 16 novembre 2024, qui ne doit rien au hasard et surtout ses déclarations sans équivoque, ont créé un malaise profond et une tension supplémentaire dans une situation d’équilibre instable pour le pays. Assimi devait en tirer toutes les conséquences et il l’a fait, mettant fin à plus de trois années d’une collaboration qui a fortement marqué les esprits au plan national et même à l’international. De quoi demain sera-t-il fait ?
DEUX HOMMES DE DEVOIR ET DE CONVICTION
Le duo Assimi-Choguel est certainement la paire politique la plus charismatique qui a fait vivre aux maliens, mais aussi à de nombreux africains, des moments palpitants faits d’audace, de grande complicité et maintenant d’une séparation douloureuse. En effet, le premier avait laissé au second une très grande marge de manœuvre à la dimension du respect et de la confiance qu’il lui témoignait, lui permettant ainsi de maîtriser les fronts politique et social à l’intérieur et de répondre aux velléités extérieures de manipulation et de désinformation. Le sens de la responsabilité dont ont fait preuve les deux dirigeants de l’Exécutif a permis au pays de traverser de graves moments de turbulence.
Cependant, Assimi qui fait l’unanimité sur son sens de la mesure et de la pondération, est d’abord un militaire, c’est-à-dire un homme d’action et de devoir. De son côté, l’ancien Premier Ministre est connu pour la constance de son engagement politique soutenu par une bonne connaissance de l’histoire. Il défend sans vaciller depuis trente ans les mêmes principes et positions, devenant la véritable bête noire des acteurs de la nébuleuse du mouvement démocratique. Usant d’un franc-parler peu courant au Mali, la chute d’IBK le dernier des Mohicans de la 3ème république, lui permet au sein du M5-RFP de revenir au-devant de la scène politique.
La rectification de la Transition qui place Assimi Goïta à la tête de l’Etat, le conduit presque naturellement à la Primature où il marquera son territoire. Toutefois, comme la gestion des affaires publiques n’est pas une tente dressée pour l’éternité, le moment de la séparation est arrivé ! Ce doit être une opportunité pour renforcer le processus de refondation qui, bien que conforme à l’aspiration profonde du peuple malien, commençait à s’essouffler.
C’est pourquoi, les deux hommes ne doivent pas en faire une tragédie, en laissant la haine ou la rancœur prendre le dessus sur l’amour du pays, et leur désir commun de conduire le navire au bon port, celui de la refondation, de la souveraineté et de la dignité retrouvée. Les adversaires de Choguel Maïga auraient tort de vite crier victoire, car l’homme est sur la scène politique et avec son audience actuelle, même hors de la Primature, il restera égal à lui-même.
TOUT SACRIFIER POUR SAUVER LE MALI
La plupart des maliens voulaient le ticket Assimi-Choguel jusqu’au terme du processus de Transition, mais une fois de plus, le terrain a dicté sa loi à Assimi. Le limogeage de Choguel et son remplacement par le Général Abdoulaye Maïga marquent la sortie du cercle du pouvoir de Transition de la figure la plus emblématique du M5-RFP et du monde politique actuel.
Cependant, il ne s’agit nullement de changer de cap mais de tempo, à un moment où les défis restent nombreux. Pour Assimi Goïta, la mission est sacrée mais le terrain commande. Dans cette logique, il a prouvé à plusieurs reprises qu’il sait faire les bons choix dans l’intérêt supérieur du pays.
Ainsi, en 2020 sous IBK, face au risque de chaos qui menaçait le pays, il a obtenu avec un groupe d’officiers militaires la « démission » de ce dernier, pour calmer la rue.
En 2021, en tant que Vice-Président de la Transition, il n’a pas hésité à mettre le président Ba NDAW « hors de ses prérogatives », pour rectifier le tir et préserver l’unité au sein des forces de défense et de sécurité.
Le limogeage du Premier Ministre Choguel montre qu’il sait user du « devoir d’ingratitude » lorsque la situation l’exige. On n’oubliera pas non plus que de nombreux cyber-activistes se réclamant de lui, ont dû répondre de leurs actes devant la justice. C’est la marque des grands hommes d’Etat qui préfèrent l’injustice au désordre car, si une injustice peut être réparée, le désordre conduit au chaos difficile à maîtriser. Lorsque deux partenaires de cette envergure se séparent, chacun devrait comprendre que l’essentiel, c’est-à-dire la survie du pays et de l’Etat, doit être préservé en cette période où les vautours et les charognards continuent de roder, espérant un festin facile. La France éconduite et ses « amis » n’ont toujours pas désarmés et espèrent un pourrissement de la situation dont ils pourraient profiter pour parvenir à leurs fins.
La vieille garde politique dort comme le crocodile à l’affût, attendant l’exacerbation des frustrations populaires pour rameuter le front social et reprendre le contrôle.
Il y a surtout une population inquiète et une jeunesse désemparée qu’il faut rassurer. L’Alliance des Etats du Sahel est un chantier important sur lequel Assimi pourrait bien remettre Choguel à contribution, à la grande satisfaction de nombreux panafricanistes et au grand désarroi de la Françafrique qui croit tenir en Choguel un nouvel opposant.
L’usage du « devoir d’ingratitude » qui ne s’accommode pas avec l’esprit partisan ou de clan, fait partie de la charge et de la panoplie d’un homme d’Etat responsable.
En la matière, Assimi Goïta s’est assumé, jusqu’à présent, sans faillir.
L’objectif reste la continuité et non une rupture du processus de refondation. On peut donc légitimement penser qu’avec Choguel, ils poursuivront le combat commun, en évitant l’affrontement que souhaitent les ennemis intérieurs et extérieurs du Mali.
Mahamadou Camara
Email : mahacam55mc@gmail.com
Article publié le Thursday, November 28, 2024