Nabi Issa Coulibaly est un professionnel de la banque, consultant spécialiste en finance, développement du capital humain, avec beaucoup plus d’intérêts sur les questions d’éducation financière, de sensibilisation et d’accompagnement des entreprises vers l’excellence. Le Fondateur du groupe Zain/Finances Plus, spécialisé dans le conseil financier, l’assistance, la mobilisation financière, l’intermédiation financière et dans le développement du capital humain, dans cette interview accordée à Sidwaya, le jeudi 29 août 2024, à Ouagadougou, lève un coin de voile sur la procédure pour le retrait d’argent dans les comptes bancaires des personnes décédées, mais aussi sur les obligations qui pèsent sur les ayants droit.
Sidwaya (S) : Dans le secteur bancaire, nous entendons parler de comptes dormants. En français facile, qu’est-ce qu’un compte dormant ?
Nabi Issa Coulibaly (N.I.C.) : La définition officielle de compte dormant émane de la loi n°012-2016/AN relative au traitement des comptes dormants dans les livres des organismes financiers du Burkina Faso. Cette loi définit le compte dormant comme étant un compte qui n’a pas enregistré d’interventions, d’opérations, ni de la part du titulaire ni de la part des ayants droit pendant une période de 10 ans et que dans cette même période, la banque également a essayé de prendre contact avec le titulaire en vain.
En interne, nous parlons également de compte inactif. C’est une terminologie utilisée selon chaque banque, qui définit pour une période donnée ce qu’elle entend par compte inactif. Le compte inactif est donc une forme de compte dormant, mais pour une période beaucoup plus restreinte. L’ambition de la banque est d’éviter qu’un compte soit pendant longtemps sans mouvement, car il y a certainement des risques
derrière, mais aussi des pertes d’opportunités.
Un compte qui n’est pas utilisé est potentiellement source de fraude interne ou externe. Tout peut se passer autour de ce compte. En plus, chaque compte enregistré sur la plateforme d’une banque fait l’objet certainement de frais de gestion indirects qui génèrent quelque part des charges sans qu’en retour ce compte ne génère du revenu conséquent.
La durée pour qu’un compte soit déclaré inactif varie selon les banques, mais aussi selon qu’il s’agit d’un compte courant ou d’un compte d’épargne. Pour le compte d’épargne, certaines banques considèrent qu’il est inactif s’il fait 12 mois sans enregistrer d’opérations. Par contre, un compte courant qui fait 6 mois sans enregistrer d’opérations est considéré comme inactif par certaines institutions bancaires.
Il s’agit donc des mesures internes qu’une banque peut prendre pour gérer de près les opérations concernant certains types de comptes afin d’éviter que dans le long terme, ils deviennent effectivement des comptes dormants, selon la réglementation. La même réglementation indique qu’après 8 ans déjà, la banque doit commencer à alerter, essayer d’entrer en contact avec les titulaires. Et si deux ans plus tard, donc 10 ans après, il n’y a toujours pas d’opérations, la banque est obligée de transférer les fonds à la banque centrale, qui, à son niveau également va enregistrer le compte pendant 20 ans.
S : Est-ce qu’on peut considérer que les comptes bancaires des personnes décédées font systématiquement partie des comptes dormants ?
N.I.C. : Pas forcément, car un compte d’une personne décédée peut continuer d’enregistrer des opérations. Avant le décès, il peut y avoir eu certainement des opérations qui étaient en cours et qui peuvent encore durer pendant un certain temps bref. Et tant que le compte n’a pas atteint la durée légale de 10 ans, il ne pourra être formellement classé dans la catégorie des comptes dormants. A la limite, il sera qualifié de compte inactif.
S : Est-il possible de retirer l’argent du compte bancaire d’une personne décédée ?
N.I.C : Il est possible de disposer des ressources disponibles dans un compte bancaire d’une personne décédée. Ce qu’il faut savoir, c’est la procédure pour le faire.
S : Quelle est donc la procédure pour retirer l’argent du compte bancaire d’une personne décédée et qui a le droit de le faire ?
N.I.C. : Si éventuellement, il y a des ressources sur ledit compte, ces ressources font partie de l’héritage de la personne, entrent désormais dans le cadre de la gestion globale de la succession du titulaire. Outre les ressources financières dans le compte, le défunt peut avoir d’autres biens. La gestion de l’ensemble de ce patrimoine fait l’objet d’une procédure légale auprès d’un notaire qui identifie d’abord les ayants droit, les héritiers et fixent les personnes habilitées à aller retirer les ressources au niveau de la banque.
La loi indique plusieurs niveaux d’ayants droit.
Au premier niveau d’héritiers ou d’ayants droit, il y a la descendance directe, c’est-à-dire les époux/épouses et les enfants du défunt. Ce sont des personnes qui ont juridiquement un lien parenté avec le défunt, y compris les enfants adoptés. S’il n’y a pas de descendants directs, la loi remonte vers les parents pour les considérer comme des héritiers. En tous les cas, selon la situation, à travers les Procès-verbaux (PV) des conseils de famille, les témoignages, le notaire saura exactement identifier les héritiers.
Il y a des cas où aucun membre de la famille n’est au courant de l’existence d’un compte du défunt. C’est bien plus tard que la famille s’en rend compte. En tous les cas, elle peut toujours engager la procédure. Il suffit de se rendre dans la banque en question. C’est généralement le service juridique qui va vous recevoir, vous écouter et vous communiquer les documents à fournir, sans vous indiquer à cette étape les ressources disponibles dans le compte.
Les ayants droit vont repartir vers le notaire chargé de gérer la succession, à qui la banque va certainement communiquer la ressource disponible. Et le notaire va prendre en compte ces ressources avec les autres biens du défunt pour faire la répartition entre les ayants droit. Tout se passe entre la banque et le notaire. Le notaire étant le point central de la gestion de la succession. La banque sert simplement donc à mettre à disposition les ressources au profit des ayants droit.
Pour ce qui est des documents à fournir, il y a le certificat de décès, le PV du conseil de famille, les témoins pour identifier qui sont les ayants droit devant donc hériter des biens de la personne. Ces dossiers sont transférés d’abord auprès du notaire qui, comme je l’ai dit plus haut, va recenser les autres biens du défunt, à l’effet de procéder à la répartition entre les ayants droit.
Le professionnel de banque, Nabi Issa Coulibaly : « après 10 ans, si aucun ayant droit ne se présente, la banque où le défunt avait domicilié son compte transfère, conformément à la loi, l’argent au niveau de la banque centrale ».
Une fois que cette répartition est faite, le notaire est chargé d’envoyer une notification auprès de la banque pour présenter les héritiers, et la répartition qui a été retenue. La banque est chargée simplement d’exécuter l’ordre qui a été donné. Après cette procédure, chacun disposera d’un chèque ou de tout autre moyen de paiement pour entrer en possession de sa part d’héritage. Il est possible aussi de désigner une seule personne, parmi les ayants droit, pour toucher la ressource et faire la répartition par la suite ou inversement aussi, le notaire peut entrer en disposition de la ressource et s’occuper de la répartition directement.
S : Vous parlez de l’intervention d’un notaire. Mais cela semble valable ou plausible pour les cas où la succession est bien organisée. Qu’en est-il de la situation de nos parents au village où on ne connait pas de notaire, et où la succession est encore régie par les us et coutumes et non par la loi moderne ?
N.I.C. : Ces difficultés sont vécues au quotidien par les banques. Elles ne peuvent pas faire autrement. Une personne ne peut pas se présenter à la banque et faire croire qu’elle en est l’héritier. Sur quelle base, la banque peut avoir confiance en elle ? Il faudrait nécessairement de la documentation qui fait foi, émanant de la justice ou d’un notaire qui sont habilités à désigner les ayants droit. Sans ces documents légaux, la banque ne peut pas agir sur le compte du défunt. Et cela fait que souvent la procédure traine.
S : Y a-t-il des délais pour déclencher la procédure ?
N.I.C. : A partir du moment où les ayants droit se sont rendus compte que le défunt ou la défunte disposait d’un compte bancaire, ils peuvent se présenter à la banque qui leur dira la procédure à suivre. En principe, les ayants droit ont jusqu’à 30 ans pour entrer en possession des ressources disponibles sur le compte de la personne décédée, soit 10 ans au niveau de la banque où le compte est domicilié et 20 ans auprès de la banque centrale qu’est la BCEAO. Pourvu qu’ils aient les documents nécessaires.
S : Quel est le sort de l’argent au cas où aucun ayant droit ne se présente à la banque ?
N.I.C. : Après 10 ans, si aucun ayant droit ne se présente, la banque où le défunt avait domicilié son compte transfère, conformément à la loi, l’argent au niveau de la banque
centrale.
En ce moment, si les ayants droit se présentent, la banque va les renvoyer au niveau de la banque centrale pour le reste de la procédure. Ils doivent écrire au directeur de la banque centrale avec une notification de la banque du défunt que les héritiers souhaitent disposer des ressources. Mais si, au bout de 20 ans, aucun ayant droit ne s’est présenté à la banque centrale, celle-ci, à son tour, doit transférer les ressources au Trésor public qui vont être utilisées au service de la cause publique. Le compte est ainsi clos conformément aux textes en vigueur. Et aucun recours n’est encore possible.
S : Mais qu’advient-il si c’est le défunt qui doit à la banque ?
N.I.C. : Il y a effectivement le cas où c’est la banque qui doit au défunt, mais l’inverse aussi existe. C’est pourquoi, les ayants droit doivent se présenter à la banque d’abord pour prendre connaissance de la situation du compte ou du dossier. Si l’on est en présence du cas où c’est la personne défunte qui doit de l’argent à la banque, en général, si c’est un crédit qui a été octroyé, il y a au préalable l’assurance décès emprunteur à laquelle la banque peut recourir pour éponger sa dette. Elle fait donc appel à l’assureur du regretté qui prend en charge le dossier et paie à la banque le capital restant dû.
Généralement, c’est ainsi que les choses se passent. En dehors des cas des prêts bancaires, les dettes du défunt envers la banque peuvent être liées aux frais de gestion du compte qui sont généralement de petites sommes d’argent, négligeables. Le troisième cas de figure intervient quand le client décédé doit à la banque sans qu’il ait la possibilité de faire recours à la police d’assurance. Le dossier est alors ouvert au recouvrement. S’il y avait des garanties qui avaient été constituées par la banque, il y a toute une nouvelle procédure qui va être enclenchée pour la réalisation éventuelle de ces garanties, si les ayants droit n’ont pas pu réunir les ressources pour honorer l’engagement de la personne défunte.
Peut alors commencer une procédure de recouvrement amiable ou judiciaire, jusqu’à ce que la banque use de tous les moyens légaux pour entrer en possession de ses dus. La banque essaiera donc de recouvrer au mieux possible. S’il y a encore un reliquat, cela va rester certainement jusqu’à éventuellement être classé en perte et profit au sein des livres de la banque.
S : La banque peut-elle aller jusqu’à saisir les biens des ayants droit ?
N.I.C. : Oui. C’est ce que je disais tantôt quand je parlais de la réalisation des garanties. Le dossier passe dans un recouvrement d’abord par voie d’huissier, puis judiciaire. Si à un certain moment, il n’y pas de bonne foi pour le remboursement, et que la banque peut utiliser les documents disponibles pour réaliser la garantie, qu’il s’agisse d’un bien mobilier ou immobilier, elle ira dans ce sens pour essayer de collecter au mieux possible le montant de l’emprunt non remboursé. S’il est possible de le faire entièrement, ce sera le cas. A défaut, le reliquat va être constaté en perte et profit. Ce qui veut dire qu’en retour, les ayants droit ne bénéficieront pas de grande chose sur le compte du défunt.
S : Il y a beaucoup de gens qui ignorent la procédure. On a l’impression que les banques ne communiquent pas suffisamment sur la question…
N.I.C. : Oui. Je peux dire que des gens sont dans la situation. Mais en général, toutes ces personnes qui sont dans cette situation, le premier réflexe qu’elles doivent avoir lorsqu’elles voient un chéquier du défunt, c’est d’aller vers la banque pour s’informer. Cela dit, je suis d’avis que les banques peuvent communiquer davantage sur le sujet.
Et je pense que c’est pour cela qu’elles essaient d’ouvrir davantage des agences pour être plus proches de ces citoyens, et être accessible pour mieux communiquer, se faire mieux comprendre et donner toutes les informations au cas où les personnes éventuellement concernées se présentent.
Et, c’est tout aussi le sens du travail des journalistes qui contribuent à la sensibilisation, à partager l’information dont les populations ont réellement besoin.
S : En plus de la collecte de l’épargne et l’octroi du crédit, la banque a un rôle à jouer dans l’éducation financière de la clientèle…
N.I.C. : Certes, les banques ne font pas publiquement des campagnes de sensibilisation, mais à petite échelle, elles développent des initiatives d’éducation financière. Il va falloir dupliquer voire quintupler ce genre d’activités, pour être beaucoup plus sur le terrain afin de partager la bonne information.
Les banques sont disposées à communiquer largement sur les difficultés que les clients vivent, mais aussi sur les difficultés qu’elles-mêmes vivent, car Dieu seul sait combien elles en ont besoin. C’est par la communication qu’elles peuvent bénéficier de la confiance de la clientèle. Et cette confiance très bien établie va naturellement permettre à l’activité bancaire de croître plus vite.
Je profite aussi inviter les clients, les citoyens à aller vers la banque, à consulter la documentation disponible. Des gens n’aiment pas forcément lire les documents qui sont mis à leur disposition quand ils sont en interaction avec les banques et se contentent simplement de les signer.
Je demande aux citoyens d’avoir confiance aux institutions financières qui sont légalement constituées pour leur apporter des services, leur donner la bonne information, qui est un droit. J’invite aussi toutes les institutions financières, en plus de ce qui est fait au niveau de l’Etat ou de la banque centrale, à contribuer davantage à relever des connaissances financières des citoyens. Chacun a certainement sa part de responsabilité à jouer.
Interview réalisée par
Mahamadi SEBOGO
Article publié le Thursday, September 5, 2024