Le Calame : Des rumeurs faisaient état de profondes divergences au sein de votre coalition « Espoir Mauritanie » qui a fait bonne figure lors des dernières élections locales. Le différend porterait sur le positionnement pour la présidentielle de 2024. Votre porte-parole a cependant rapidement démenti ces « allégations ». Alors, d’où viendraient-elles, ces « fake-news » ?
Mohamed Lemine Sidi Maouloud: Le succès d’une personnalité ou d’une organisation politique lui attire des ennemis et des opposants. C’est le cas pour« Espoir Mauritanie » qui se retrouve ainsi naturellement avec des adversaires et des personnalités hostiles alimentant toute rumeur de nature à nuire à notre coalition montante.
- L’actualité nationale est dominée par l’incarcération du député Mohamed Bouya, accusé d’avoir critiqué la personne du président de la République. L’opposition a refusé de voter la levée de son immunité parlementaire. Que vous inspire cet épisode ?
- Le dossier du député Mohamed Bouya et le traitement dont il a fait l’objet sont un indicateur du défaut d’ancrage de l'expérience démocratique en notre pays et de l'étroitesse d’esprit du pouvoir vis-à-vis des opinions qu'il n'aime pas ou qui suscitent ses inquiétudes. L'emprisonnement d'un parlementaire jouissant de l'immunité est un grand crime. Les députés de la majorité ont contribué à cette situation, comme ils le firent à propos du 3ème mandat.
- Votre collègue est tombé sous le coup de la loi protégeant les symboles de l’État approuvée par l’Assemblée nationale en 2021. Que pensez-vous de cette accusation ?
- Conscients de ce que la loi des symboles tue la démocratie, nous l’avons rejetée, à l’instar des tous les autres partis de l’opposition. Mais la majorité automatique l'a légitimée, conduisant du coup à l’emprisonnement de blogueurs et d’écrivains, conformément à cette loi attentatrice à la liberté d’expression et donc inconstitutionnelle. Mohamed Bouya est victime d'un règlement de comptes, son dossier est illégal et inconstitutionnel. Une affaire de vengeance, pas plus.
- Il y a quelques jours, le président de la République a rencontré le leader de l’UFP, Mohamed Maouloud, et celui du RFD, Ahmed Daddah, autour d’une proposition, semble-t-il, de dialogue entre le pouvoir et l’opposition. Votre coalition a-t-elle été associée à cette démarche ? Qu’en pensez-vous ?
- Nous avons suivi dans les media les informations rapportant que le Président était d'accord avec une Charte ou une vision présentée par ces deux partis. Mais l’avis de la coalition « Espoir Mauritanie » sur son contenu n’ayant pas été sollicité, elle n’est donc pas concernée par ledit document. Faut-il rappeler à ce propos que toute initiative d’un parti de l’opposition à l’adresse du pouvoir fait ordinairement l’objet d’une concertation entre tous les membres de celle-ci avant d’être transmise à celui-là. Ça n’a pas été le cas cette fois. Certes, chaque parti a plein droit de dialoguer, soutenir ou rejoindre le pouvoir, mais il doit s’abstenir de qualifier sa démarche personnelle de dialogue entre toute l’opposition et celui-là.
- Partie très divisée lors des dernières élections locales, l’opposition pourrait-elle se retrouver et parler d’une seule voix dans la perspective de la prochaine présidentielle ? Si oui, que doivent faire ses leaders?
- L'opposition est formée aujourd’hui de deux camps. L’opposition traditionnelle malheureusement dégarnie, en dépit de ses grands sacrifices et son long passé de luttes. Mais elle n’a pas su renouveler en temps opportun son discours et ses structures. Sa grande proximité avec le pouvoir et l’attitude d’apaisement envers le système ont contribué à son déclin, payant ainsi le prix de ce positionnement au cours des dernières élections et la précipitant dans les bras du régime. Quant aux forces d’opposition émergentes et représentées au Parlement, ainsi que les jeunes opposants en ascension, il leur faut impérativement se rapprocher les uns des autres, se concerter et se mettre d’accord sur un seul candidat ou plusieurs pour l’élection présidentielle.
- L’actualité a été également marquée par la célébration du 4ème anniversaire de l’investiture du président Ghazwani. Pour la circonstance, le parti INSAF n’a pas lésiné sur les moyens pour magnifier les réalisations de celui-là. Et vous, que pensez-vous de son bilan ? Au vu de ces résultats et de ceux des dernières élections locales, estimez-vous que les portes du second mandat lui sont largement ouvertes ?
- Si les réalisations sont le baromètre, il suffit alors de citer la crise de la soif, la réalité de la pêche maritime industrielle et traditionnelle, les problèmes de l'agriculture et des produits alimentaires, de l'électricité et des routes, la propagation de l’étouffante corruption, l'émergence d'une nouvelle classe de nantis rapidement et fortement enrichis dans l’entourage de la pyramide du pouvoir, les problèmes de l'emploi, de la jeunesse, de l'éducation, de la santé et de la justice… surtout si l'on met en exergue le budget de l’État qui a doublé, passant de 540 milliards au cours de la dernière année du règne d’Ould Abdel Aziz à 1 080 milliards cette année.
Autant de facteurs qui doivent barrer la route à un second mandat. Certes, lorsque la paix repose sur le pillage et le gaspillage de l'argent public, la mobilisation des tribus, la fraude électorale et le recours à l’actuelle Commission Nationale Electorale Indépendante (CENI), le terrain pourrait paraître libre mais la fin d’une telle aventure n’en sera pas moins heurtée.
- Que pensez-vous de la position du gouvernement mauritanien par rapport au putsch au Niger ? Devra-t-il apporter son soutien à la CEDEAO au cas où celle-ci décide de recourir à la force pour réinstaller la légalité constitutionnelle ou opter pour une solution diplomatique ?
- En tant que force politique démocratique, nous rejetons totalement les coups d'État mais nous respectons également les spécificités de chaque pays. Personnellement, je suis contre l'implication de nos soldats dans toute bataille en dehors de nos frontières.
- Quelle réflexion vous a inspiré la constitution du 3èmegouvernement du Premier ministre Mohamed Bilal Messaoud ?
- Le pourcentage de changement dans ce gouvernement est faible. C'est une partie du problème car le Premier ministre et le Président maintiennent des ministres – la majorité – qui n’ont pas réussi dans la conduite de leur portefeuille respectif. Quant aux nouveaux ministres censés travailler différemment de leurs collègues, ils ne dirigent que des départements secondaires et ne jouissent pas d'une totale indépendance dans le choix de leur staff. Le présent système tend généralement vers le passé, se confond dans le présent et craint l'avenir. Ce n'est à l’évidence pas un système de changement, de construction ou de réforme.
- Vous suivez certainement le procès de la décennie engagé depuis bientôt une année. Que vous inspire-t-il ?
- Concernant ce que certains appellent le « Dossier de la Décennie », il a été liquidé par l’odieuse politique du deux poids deux mesures et l’immunité accordée aux piliers les plus importants de ladite décennie. Le présumé procès est devenu une mise en scène ennuyeuse où pullulent des calculs personnels qui n'ont rien à voir avec la loi ou la lutte contre la corruption. On devrait plutôt dire que l’actuel pouvoir a adopté la corruption comme méthode d’achat des consciences, sous couvert de la légitimité hystérique de l'argent public : nous voilà ramenés à la période dorée de la corruption du temps du Parti Républicain Démocratique et Social (PRDS).
Propos recueillis par Dalay Lam
Article publié le mardi 5 septembre 2023
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