Sur la pochette de Terre rouge, on la voit enfant au milieu d’un village du Cameroun. Il y a la terre couleur brique, les cases derrière, la forêt au loin, et puis l’insouciance de cette petite fille blanche. C’est à Bangoua, en pays Bamiléké, que Lubiana Kepaou a passé les grandes vacances de son enfance. Ces moments de la saison des pluies, entre ennui, balades en brousse avec ses cousins et contemplation des insectes, ont marqué cette fille d’architectes, née de mère belge et de père camerounais.
Avec un deuxième album de pop nomade, teinté de R'n'B et de musiques noires, la chanteuse et joueuse de kora rend hommage au continent africain. "En tant qu’enfant de la diaspora, c’était important de donner une autre vision de l’Afrique. Ce n’est pas que la guerre, la misère, ou le chaos. C’est aussi tellement de richesse, d’amour, de bienveillance, et de bonté. Cette terre qui m’a longtemps intriguée, j’arrive à voir sa beauté aujourd’hui", explique-t-elle.
La kora, son instrument de cœur
L’histoire de Lubiana est celle d’une métisse, qui s’est détachée de son africanité un temps, et revient jeune femme célébrer le continent. C’est aussi celle d’une musicienne baroudeuse qui a pris le temps de devenir artiste. A 17 ans, elle participe au télé-crochet The Voice en Belgique, avant d’intégrer le conservatoire. Ses études en jazz ne se font pas sans difficultés, jusqu’à ce qu’elle découvre la kora. Après avoir rêvé de cette harpe mandingue, elle la rencontrera quelques mois plus tard.
La jeune fille voyage avec sa mère sur l’île espagnole de Majorque, aux Baléares, quand elle entend pour la première fois ses sonorités cristallines. "Il y a un joueur de kora sur une grande place. J’entends ce son et c’est presque comme dans un film, quand tout le bruit s’éteint et qu’il n’y a que ça, raconte-t-elle. C’est un coup de foudre ! Ça parle à mon âme ! Ça m’arrête directement ! Je ne sais pas ce que c’est. Donc, je fais une vidéo. Je découvre ensuite la kora."
Adoubée par Toumani Diabaté, qu’elle rencontre après un concert à Bruxelles, elle se lance à corps perdu dans son apprentissage. Elle passe par Londres et Los Angeles et parcourt également le Sénégal, la Gambie et le Mali. Lubiana évoque les griots dans Djali, qui salue ces gardiens de la tradition orale, et dans Mali, joué en duo avec le grand Toumani. Ce maître de la kora est mort le 19 juillet dernier et l’émotion est palpable, lorsqu’elle évoque ses retrouvailles avec lui et son fils Sidiki, à Bamako, en 2023.
Les femmes africaines à l’honneur
La belgo-camerounaise se voit comme une "conteuse". Elle utilise le français, l’anglais, comme le bangoua. Farafina Mousso chante avec son refrain en bambara les femmes africaines. C’est après avoir vu le documentaire Rwanda : le silence des mots, consacré aux femmes violées pendant le génocide, qu’elle contacte Gaël Faye. "Pour moi, Gaël est comme un grand frère de cœur, dit-elle à propos du rappeur et auteur franco-rwandais. Je me retrouve tellement dans son parcours. Il a grandi en Afrique et il venait l’été en Europe. Il avait un rapport à ses origines inversé par rapport au mien. Je lui ai envoyé la chanson par Instagram, en me disant : ‘Bon, on verra bien…' Il a accepté et m’a invitée au Rwanda."
La Blanche revient sur ce métissage qui peut être une source de "grande ouverture au monde" autant qu’un facteur de "non-appartenance". "Je suis la Blanche / À l’africaine / J’ai beau le savoir / Ce mot me fait de la peine / Car si pour mes frères / Je suis étrangère / Quelle est ma place / Ma place sur cette terre ?", interroge-t-elle. Pour Terre rouge, la jeune femme a écrit plus de 60 chansons et elle n’en a gardé que 10. Elle s’est entourée du rappeur Vincha, qui co-signe quelques textes, de Clément Ducol (Camille, Vincent Delerm, Vianney), qui réalise le tout, et d’un ensemble de musiciens expérimentés.
Celle dont le nom signifie "bien-aimée" a parcouru le monde avant de se trouver. C’est comme si on suivait son cheminement jusqu’à son retour à ses ancêtres. Son disque, plein d’entrelacs de voix et de cordes, embrasse avec une grande douceur ses origines africaines.
Lubiana, Terre rouge (6&7) 2024
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Article publié le lundi 4 novembre 2024
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