Une pochette de 33 tours, un peu écornée, comme si elle était passée dans de nombreuses mains plus ou moins soigneuses, mais visiblement toutes avides de sortir le vinyle de son étui, signe de l’enthousiasme que susciteraient les chansons gravées sur ses sillons : l’image qui sert d’illustration au nouvel album de Mikea est des plus habiles, car elle donne à la fois envie d’en savoir plus sur le contenu musical et renvoie à un passé évocateur, d’autant que le titre lui-même donne un ultime indice.
Ça pique fait référence au tsapiky, genre qui prévaut dans le sud de Madagascar et tirerait son nom d’une déformation de cette expression française – sans lien avec celle à la mode depuis quelques années – en rapport avec l’effet produit par cette musique aussi énergique qu’entêtante.
Avant même que la première note se fasse entendre, le décor est donc dressé et le propos précisé. « Ça faisait longtemps que je voulais réaliser un album de tsapiky » assure Théo Rakotovao, le nom à l’état civil de Mikea. Impossible, quand on a grandi comme lui dans la partie méridionale de la Grande Île de l’océan Indien, d’échapper à l’emprise de cette musique devenue emblématique de la région et souvent associée à la ville portuaire de Tuléar.
Un artiste, deux carrières
Omniprésente, elle est remarquable par sa diffusion, à travers ses haut-parleurs à pavillon qui déforment le son des guitares électriques et portent à des kilomètres à la ronde. Dans le village isolé d’où vient le chanteur quadragénaire, ses oncles paternels la pratiquaient au sein d’un orchestre qui animait les fêtes traditionnelles, et son frère aîné a pris le relais jusqu’à aujourd’hui, grâce aux guitares rapportées d’Europe par le lauréat du prix Découvertes RFI 2008.
S’il s’est naturellement d’abord illustré dans un registre tsapiky après être arrivé dans la capitale Antananarivo à la fin des années 90, avec la chanson Tsy Mampirafy (réenregistrée pour figurer dans Ça pique), Théo s’est ensuite orienté vers la variété locale. Entre ballades romantiques et soul « à la malagasy » (malgache, NDR) très appréciées de ses compatriotes, ce répertoire constitue une part importante de sa discographie sous son patronyme.
En parallèle, l’homme mène depuis vingt ans une autre carrière, destinée en priorité à un public international, avec une approche basée sur la culture afin de mettre en valeur son patrimoine : ainsi est né le projet Mikea, sous-groupe ethnique qu’il entend représenter et auquel l’accordéoniste Régis Gizavo avait consacré un disque en 1995.
Après avoir sorti plusieurs albums mettant en avant le beko, chant typique de son peuple, et un autre construit autour de la flûte (Flute Red Island, 2022), instrument pour lequel il se passionne et dont il collectionne les modèles glanés à travers le monde, le moment était venu pour lui de renouer avec le tsapiky.
Mettre le tsapiky en studio
Dans ce registre, que le Malgache Damily a contribué à faire connaitre sur le Vieux continent depuis une quinzaine d’années, la valeur ajoutée de Mikea réside à plusieurs niveaux : dans le chant, en y intégrant la « technique vocale » propre au beko (« je ne suis pas le premier à faire ce mélange », tient-il toutefois à préciser) ; dans les arrangements en apportant quelques nuances rock, blues, voire en faisant intervenir un saxophone « pour changer un peu » sur un passage où l’accordéon aurait été attendu. Ou même en sortant du périmètre du tsapiky pour épouser plus globalement les rythmes du Sud, comme le laisse entendre le sous-titre de l’album (South Mada Groove), en particulier sur le dernier titre à tendance électro, Teany Ndra Raty.
Mais la principale spécificité de ce projet, calibré pour le marché des musiques du monde sur lequel Madagascar a étrangement disparu depuis une décennie, tient aux choix effectués en termes de son et de sonorités : à une vision « roots », authentique de cette musique électrifiée par l’intermédiaire d’un groupe électrogène pour alimenter le matériel lorsqu’elle est dans son cadre naturel, Mikea oppose une autre approche. Dans son home studio où il a joué et enregistré presque tous les instruments avant de procéder au mixage, il a privilégié le travail de production, pour aboutir à une dizaine de morceaux qui respectent les codes du tsapiky et en soulignent la richesse potentielle.
Mikea Ça pique (2024)
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Article publié le lundi 8 juillet 2024
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