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“Quand on m’empêche de faire mon métier, c’est comme si on m’ôtait le droit à la vie” - Reporters sans frontières



Tweet Le journaliste indépendant Samuel Obiang Mbana a été arrêté mercredi 26 mars à Malabo alors qu’il couvrait la répression musclée d’une manifestation étudiante par la police. Interrogé par Reporters sans frontières, il livre sa vision de la liberté de la presse dans le pays.

Le journaliste indépendant et correspondant de l’AFP, Africa Numéro 1, Deutsche Welle et de l’Agence africaine de presse à Malabo, Samuel Obiang Mbana a été arrêté le 26 mars 2015 par la police et retenu pendant huit heures au commissariat central de Malabo après avoir couvert une manifestation violemment réprimée. Il avait déjà été arrêté en 2010, pour un prétendu défaut d’accréditation alors qu’il tentait de couvrir, l’arrivée du président venu inaugurer le Parlement de la Communauté économique et monétaire des Etats de l’Afrique centrale (Cemac). En 2014, ses comptes Facebook et Yahoo avaient été piratés alors qu’il participait à un stage de formation journalistique en France.

Vous avez été arrêté par la police la semaine dernière alors que vous couvriez la répression d’une manifestation étudiante. Pouvez-vous nous raconter ce qui s’est passé ?

Je prenais des photos de la manifestation à l’université de Malabo alors que la police était en train d’arrêter des étudiants lors d’une intervention musclée. Les policiers m’ont arrêté et placé dans leur voiture. Ils étaient également en discussion animée avec au moins deux journalistes, une femme du magazine Ekos (un magazine privé détenu par des proches du pouvoir) et un homme qui travaille pour la télévision et la radio nationale. Mais eux n’ont pas été arrêtés.

Qu’est-ce qui vous était reproché ?

Les policiers m’ont reproché d’avoir pris des photos lors des arrestations d’étudiants. Mais ils ne m’ont pas interrogé. Ils m’ont confisqué mon appareil photo, ma carte de presse de Africa numéro 1, mon téléphone et mon passeport. Ils m’ont placé dans une cellule pendant huit heures. Je pense que leur intention était simplement de m’empêcher de faire mon travail. Quand j’ai quitté le commissariat, ils ont refusé de me rendre mon matériel et mes documents. Je suis passé deux jours plus tard les récupérer et mon téléphone avait disparu.

Ce n’est pas la première manifestation étudiante, et pourtant, très peu de médias couvrent ces événements...

Ces mécontentements étudiants ont commencé mi-2014. Et ils prennent depuis une ampleur sans précédent. Une soixantaine d’étudiants ont d’ailleurs été arrêtés en même temps que moi. Certains ont été relâchés mais d’autres sont encore détenus. Pourtant, les médias n’en ont pas parlé au journal du soir. La censure est totale. Par exemple, la Radio télévision nationale n’a même pas mentionné l’évènement. De façon générale, le gouvernement leur dit ce qu’ils peuvent publier ou ne pas publier. Or 90 % de la population équato-guinéenne s’informe grâce à ce média. Quant aux médias privés, ils sont tous très proches du gouvernement et vont aussi s’auto-censurer ou modérer leur propos afin de ne pas froisser les autorités. Par exemple Africa 24, qui se revendique pourtant panfricain et indépendant, a parlé de la grève des étudiants mais n’a pas parlé des arrestations commises par la police dans ce cadre.

Comment ressentez vous la censure en Guinée équatoriale ?

Le gouvernement contrôle la presse nationale, leur dit ce qu’ils peuvent publier ou pas. En tant qu’unique correspondant équato-guinéen pour la presse internationale, il me considère comme un traître pour le pays. Je fais mon travail, je donne l’information, mais ils ne veulent pas que ça sorte. Je reçois des menaces. Comme ils ne peuvent pas me contrôler, ils me mettent à l’écart. Par exemple, ils ont refusé mon accréditaiton pour couvrir la Coupe d’Afrique des Nations (CAN). Ils mettent les journalistes internationaux en garde contre moi. Il m’est donc difficile d’avoir accès à l’information de façon officielle.

Par ailleurs, le gouvernement va demander aux journalistes de l’extérieur de faire la publicité du régime, des infrastructures et des réussites économiques. Il a même créé un organe spécifiquement dédié à ce sujet, en 2013, le Conseil africain des médias regroupant des journalistes du continent. Son but est de “de promouvoir l’image d’une Afrique positive œuvrant pour des lendemains meilleurs”. Ce conseil a été doté d’une enveloppe d’un million de dollars. Les journalistes sont transportés en avions affrétés pour venir couvrir les grands évènements internationaux, comme les sommets de l’Union africaine (UA). Ils bénéficient même de subventions alors que ce n’est pas le cas de la presse équato-guinéenne. Le régime achète la presse. Mais moi je pose la question : est-ce le rôle de la presse de se transformer en armée d’images ? Moi je ne vis que de journalisme ; quand on m’empêche de faire mon métier, c’est comme si on m’ôtait le droit à la vie.

Plus d’information sur la Guinée équatoriale.


Article publié le mardi 31 mars 2015