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Gacaca ou insécurité : des Rwandais fuient au Burundi
(Syfia Grands Lacs/Burundi/Rwanda) Depuis deux mois, plusieurs centaines de Rwandais ont fui au Burundi. Par peur des Gacaca dit-on là d'où ils sont partis. Par crainte pour leur sécurité, affirment les réfugiés. Reportage dans les deux pays.
Plus de 400 réfugiés rwandais sont arrivés ces dernières semaines dans la seule commune de Bugabira, au nord du Burundi, près de la frontière rwandaise. Ce sont exclusivement des Hutus, visiblement pauvres et non scolarisés, âgés de 35 à 60 ans pour la plupart. Ils sont venus avec leurs femmes et leurs enfants, signe que leur fuite avait été bien préparée. Ce que confirment les habitants du secteur de Gishubi, du côté rwandais de la frontière. "Nous nous sommes levés un matin et nous avons vu que les voisins étaient partis", disent-ils en montrant deux petites maisons miséreuses aujourd'hui vides. Au Burundi, ils vivent sans comité ni représentant, éparpillés dans des familles burundaises qui accueillent chacune un ménage de 4 à 6 personnes et partagent le peu de provisions disponible pendant cette période de semis.
Côté rwandais, les gens ont peur de parler et les autorités, à tous les niveaux, tiennent le même langage : ceux qui fuient figurent sur la liste des accusés des Gacaca, ces tribunaux populaires qui se terminent à la fin de l'année. Les exilés craindraient d'être condamnés à de très lourdes peines de prison (19 à 30 ans). Parmi eux, des condamnés à des travaux d'intérêt général qui craignent de retourner en prison. Autre explication : c'est maintenant que ceux qui ont été condamnés à rembourser les biens endommagés pendant le génocide doivent payer, quitte à vendre leurs vaches, leurs champs, leurs forêts… Pour éviter d'avoir à le faire, les gens fuient pendant la nuit. L'un d'eux, arrivé en août, témoigne : "Lorsqu’on veut faire du mal à quelqu’un au Rwanda, on l’accuse d’être génocidaire et de fuir la justice. Moi, je me suis évadé de justesse parmi 7 autres captifs qu’on venait de sortir de chez eux vers 23 h 30. J’ai dû sauter la clôture et détaler."

Des cadavres dans la Kanyaru ?
Les réfugiés, pour leur part, affirment avoir fui le Rwanda par crainte pour leur sécurité après des violences subites par leurs voisins. "Des gens viennent frapper à la porte la nuit accompagnés parfois des Forces locales de défense. Ils vous emmènent et plus jamais on ne vous revoit, raconte C. N., un ancien prisonnier originaire d'une colline près de Nyanza, au sud du Rwanda. J’ai vu que le nombre de disparus augmentait terriblement et j’ai fui avec ma famille. "
La crainte de ces réfugiés est accentuée par la découverte de cadavres d’hommes, de femmes et d’adolescents flottant chaque semaine sur les eaux de la rivière Kanyaru, séparant le Rwanda et le Burundi, non loin de leur lieu de refuge. "Tous les trois jours au moins, raconte un chef de colline, un cadavre ou deux passent. Ce sont les bergers et les cultivateurs de ce marais qui en témoignent depuis le mois d’août." Habitants de cette région, administration et police burundaise, tous s’accordent sur l’existence de ces corps. "La population et des chefs de colline affirmaient que des corps flottaient. Personne n’y croyait au départ, explique un responsable de la police. Nous avons alors donné l’ordre de repêcher tout cadavre qu’on verrait. Deux jours après, on nous en apportait. On ne les a pas identifiés et personne ici du Rwanda ni du Burundi n’a reconnu avoir perdu un des siens." Au Rwanda, la population affirme qu’elle aussi a entendu parler de ces morts sans savoir qui ils sont.

Tension avec les autochtones
"Il n’a pas été facile de découvrir la présence des réfugiés, au départ. Ils semblaient ne pas vouloir se déclarer, comme s’ils craignaient l’autorité", constate un chef de poste de police burundais. De fait, ils ne se rendent jamais en ville, préférant rester dans les familles hôtes, qui sont parfois des parents. Parmi ceux qui partent, disent les Rwandais, il y a aussi des Burundais vivant au Rwanda. Les autorités leur ont refusé les nouvelles cartes d’identité rwandaise, leur demandant de passer par les services d’immigration s’ils veulent la nationalité. Selon Karekezi Léandre, maire du district Gisagara, frontalier avec le Burundi, ces Burundais croient qu’avec les élections de 2010 qui se préparent, ils vont être pourchassés. Quand ils passent la frontière, ils sont aussi pris pour des Rwandais.
Dans les régions d'accueil où ces fuyards arrivent depuis deux mois, la situation se tend. Les familles hôtes pauvres ont accepté de partager des provisions alimentaires déjà insuffisantes mais pour compléter les rations, les réfugiés mendient chez les voisins, mettant ainsi en jeux l’honneur de leurs hôtes, puisque mendier est déshonorant chez les Burundais.
La concurrence pour le travail agricole et de portage devient aussi de plus en plus rude, suscitant des mécontentements. Un réfugié, chef d'une famille affamée et sans ressource, accepte pour 0,4 $ un travail qu’un ouvrier burundais effectuerait pour deux fois plus cher. Sezikeye, un jeune de Kiri ne cache pas son émotion : "Nous allons les refouler de force s’ils ne veulent pas rentrer chez eux, où il n’y a même pas de guerre. Ils acceptent n’importe quel salaire, en toute occasion. Depuis qu’ils sont là, je n’ai plus de travail." Les prix des denrées alimentaires ne cessent aussi de monter. En deux mois, le prix d'un kilo de patate douce a doublé, atteignant 0,5 $. Sylvestre Nkeraguhiga, chef de colline de Kiri, estime que "l’Etat burundais devrait trouver vite la solution au problème des réfugiés rwandais."

Article publié le samedi 17 octobre 2009
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